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Vent du Nord, un film de de Walid Mattar

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Vent du Nord est un premier film et il a toutes les qualités qu'on attend d'un long-métrage.

J'ai eu la chance de le découvrir à sa sortie et de participer à une discussion avec son réalisateur, organisée par le Rex de Chatenay-Malabry (92). Walid Mattar a réussi son pari : démontrer qu'il existe un parallèle entre deux pays différents et la destinée de deux personnages, un ouvrier vivant sur la Côte d'Opale et un tunisien au chômage.

Lui-même est né dans la banlieue de Tunis, exactement là où il a posé ses caméras, et ses images témoignent de la ressemblance (inattendue pour nous) entre les deux paysages.

Ça commence brièvement dans l’ambiance joyeuse d’une fête foraine et de feu d'artifices juste avant que la caméra ne s’arrête sur le visage de Hervé Lepoutre (Philippe Rebbot) qui emporte-pièce des morceaux de cuir dans l’usine de chaussures où il est ouvrier qualifié depuis 32 ans. Ce n'est pas tout le monde qui s'enorgueillir d'une telle longévité ... pourtant elle ne garantit rien quand les patrons veulent délocaliser pour faire encore plus de bénéfices. L'usine va être délocalisée. 
Le réalisateur pointe néanmoins combien le "traitement de faveur" consenti à l'ouvrier n'est pas si généreux qu'il en a l'air : 30 000 euros d’indemnités ... ce n'est même pas 1000 euros par année de travail. Il se fera mal voir de ses collègues qui avaient fait passer la consigne : on ne négocie pas. Henri aurait du mal à refuser ... Il sera le seul ouvrier à se résigner à partir de plein gré.

On découvre le fils à la maison, affalé devant des jeux vidéo, violents, cela va s'en dire. Pour le moment Vincent (Kacey Mottet Klein) réclame un panini et s’engueule avec son paternel : t’occupe pas de ma vie, je m’occupe pas de la tienne.

Hervé n’a comme refuge que le café (univers très masculin) et le PMU comme tentative de ligne d’horizon. Les syndicats organisent une grève et l’occupation de l’usine pour s'opposer à la délocalisation. La police charge, sectionne la chaîne fermant les portes, pulvérise des gaz lacrymogènes, matraque les ouvriers et embarque les plus récalcitrants. Hervé est malgré lui dans le groupe. Tous dans le même panier.

Une fois relâché l’homme doit subir les vexations du Pôle emploi. Quoi faire ? C’est peut-être l’occasion de réaliser un rêve. Hervé pêche pour son plaisir. Il va le faire pour gagner de quoi nourrir sa famille en devenant auto-entrepreneur. C’est parti pour une formation. Sauf que d’une part le métier de pêcheur relève de la Chambre de commerce et que d’autre part il est très cadré. Hervé ne remplit pas les conditions réglementaires. Par chance il n’est pas seul. Il est drôlement soutenu par sa femme Véronique (formidable Corinne Masiero) : Faut que tu te battes, nous on est fiers de toi.

Changement de lieu. Retour à l’usine dont on devine le déménagement. Des machines sont chargées dans un camion, puis un container, qu’une grue dépose sur un cargo qui débarque dans un port méditerranéen. On suit le trajet comme s'il s'agissait d'un dessin animé. C'est pourtant une triste réalité. Un dernier camion finit la course dans la banlieue de Tunis, dans un entrepôt qui deviendra la future usine où nous verrons plus tard des ouvriers effectuer les mêmes tâches que les français, avec plus ou moins de succès.

Hervé n'a pas vraiment le choix. Il s'oriente sur la débrouille. C’est Véronique qui trouve toujours des solutions. Elle va suggérer une association avec leur fils, ce qui aura pour conséquence de l’extirper du canapé. Le jeune qui jusque là ne foutait rien, ne savait rien faire sauf glander en attendant de partir à l’armée dans huit mois va se révéler. 

Véronique négociera aussi la vente du poisson. Suivront de jolies scènes pleines d’espoir où on assiste à la cohésion familiale autour du projet. Hervé transmet sa passion à son fils. La petite entreprise se développe gentiment et ne semble faire que du bonheur autour d’elle. Le trio la font tourner avec un naturel incroyable sans susciter la moindre jalousie.

On verra le couple célébrer l'anniversaire d'Hervé et s'offrir des vacances dans le seul lieu à portée de leur bourse ... en Tunisie, à quelques centaines de mètres de la nouvelle usine, dont ils ignorent la nouvelle adresse.

Un jour la police débarque et la sanction de commerce illégal tombe brutalement. Le bateau est saisie. Les images sont poignantes. On pense au spectacle Justice qui démontre combien une situation peut si vite se dégrader. Hervé retrouvera ses collègues d’infortune en acceptant un mi-temps, consistant à sécuriser la traversée des piétons.

De l’autre côté de la mer, la délocalisation ne créé pas davantage de richesse. Foued (Mohamed Amine Hamzaoui), pense trouver avec ce travail qui ne correspond pas à ses qualifications le moyen de soigner sa mère, et surtout de séduire la fille qu'il aime. Mais être payé 125 euros par mois sans sécurité d’emploi c’est de l’esclavage. Et ça ne suffit pas à pour régler toutes les dépenses. Avec en prime une déception amoureuse cuisante.

Foued n’entrevoit de son point de vue qu’une solution. Émigrer, clandestinement, vers l’Europe, où il est persuadé que la vie est plus facile. On le verra débarquer à Dunkerque, joyeux d’avoir réussi ... ignorant que l’herbe n'est pas plus verte. Elle est sèche partout dorénavant. Mais pour l’heure un feu d’artifices explose dans le ciel. Le spectateur comprend que la boucle est bouclée. Les trajectoires de Hervé et Foued se ressemblent et se répondent.
Les gens sont liés par le milieu social. Walid Mattar trouve la délocalisation profondément injuste et il a choisi le parti-pris de traiter la question par l’absurde. Il a construit le scénario comme une tranche de vie autour de deux ouvriers, l’un qui aspire à une histoire d’amour et l’autre qui se heurte à son fils. L'écriture comme la manière de filmer situent habilement le film entre documentaire et fiction. Sa préparation a té complexe et a pris en tout 4 ans/4 ans et demi.

Il n'a pas voulu introduire la question du religieux, à part la scène du thé et de la mouche, mais de manière sobre. On sait que la dictature a instauré un tourisme de masse (ce qui n'est pas original) et une économie très sensible au tourisme. La séquence des vacances dans un "grand" hôtel a toute sa place.

Il a particulièrement pensé le casting. Le rôle de Véronique a été écrit en sachant que Corinne Masiero l'interpréterait. Philippe Rebbot s’imposait, pour sa capacité à porter le rôle de l'ouvrier. Le jour de la perquisition et de la saisie du bateau il était triste toute la journée. Mais c'est un comédien capable aussi de ramener une certaine légèreté et de fait, certaines scènes sont malgré tout désopilantes.

Kacey Mottet Klein n'a que 17 ans, mais trente ans d’âge mental, nous confie le réalisateur. Il joue avec un naturel confondant et une facilité impressionnante (on peut lui prédire un avenir semblable à celui de Benoît Poelvoorde). Les seconds rôles sont majoritairement interprétés par des comédiens dont c'est la première expérience cinématographique. Leur présence est très forte. Cela se voit particulièrement avec le patron du café.

Mohamed Amine Hamzaoui est un rappeur connu en Tunisie. C’est son visage qui a intéressé le réalisateur. Tous ont le point commun de jouer beaucoup avec leurs émotions.

Le titre, Le vent du Nord c’est le souffle qui va dans le sens de la délocalisation, très froid, dangereux pour les pêcheurs. On ne peut rien faire contre le vent.

Walid Mattar a souligné combien le Maghreb a une vision dégradée de l’Europe alors qu'il ne faut pas confondre l’Occident et les occidentaux. Il s'insurge contre l'exploitation de l'homme. On utilise la misère des gens qui n’ont pas de droits. Payer un ouvrier 125 euros par mois, et sans aucune sécurité, ce n’est pas un emploi, c’est de l’esclavage et le travail dans cette usine est dégradant. Et on peut supposer que bientôt la délocalisation se poursuivra dans la même logique vers le Maroc et d'autres pays.

Il a tenu à ce que les dialogues tunisiens reflètent la réalité. Ils sont crus parce que c’est comme ça qu’on parle dans le pays, surtout les jeunes. Tant pis si des gens quittent la salle parce qu’ils ne sont pas prêts à se voir dans le miroir.

Le film a fait une belle sortie en Tunisie où Mohamed Amine Hamzaoui est très connu. Il a reçu trois prix. Malgré tout il n'a pas fait beaucoup d'entrées, tout simplement parce qu’il y a peu de salles de cinéma qui ont subsisté après la révolution. Les cinémas ont périclité pour plusieurs raisons. Ils se sont tournés vers la programmation de films érotiques ou pornographiques et ont été mal fréquentés. La dictature en a fermé beaucoup. De 90 on est passé à 15. Il y a peu de protection des droits d’auteur. Les DVD piratés ont tué les salles. Le succès de la parabole a donné le coup final.

Le réalisateur ébranle les certitudes d'un côté comme de l'autre de la Méditerranée. Il le fait avec humour, ce qui rend le film très sympathique. Les deux hommes  ne sont pas dans la même situation mais ils sont proches par leurs émotions. A-t-on le choix ou non de son destin ? La question est posée. Entre utopie et désillusions soufflée par la bourrasque de la mondialisation.

Vent du Nord, un film de Walid Mattar
Avec Philippe Rebbot (Hervé Lepoutre), Corinne Masiero (Véronique Lepoutre), Mohamed Amine Hamzaoui (Foued Ben Slimane), Kacey Mottet Klein (Vincent Lepoutre)
Drame, Belge, Français, Tunisien
Date de sortie 28 mars 2018 (1h 29 min)

Le monte-plat de Harold Pinter

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En ce jour de premier avril je recommande un spectacle imprégné par l'absurde, Le monte-plats que l'auteur Harold Pinter, avait sous-titré Quelques heures à tuer.

L'affiche montre deux personnages, manipulés comme des marionnettes, et vous remarquerez une balle posée à coté d'eux, une vraie balle (mais à blanc) tirée pendant le spectacle et que m'a donné Mathias Minne qui est l'un des quatre comédiens  Je veux bien croire que ce n'est pas une blague, et qu'elle portera chance.

Dans un sous-sol, deux tueurs à gages, Gus et Ben, attendent leur prochain "contrat". Ben lit le journal et Gus cherche à faire du thé. Le temps passe, provoquant ennui, impatience et pour finir tensions entre les deux compères. Soudain une enveloppe glisse sous la porte, un monte-plats se met en branle. C’est le début d’une série d’événements étranges et angoissants. Sont-ils observés ? Par qui ? Pourquoi ? Qui donne les ordres ? Avec cynisme et humour noir, Pinter dépeint une société asservie qui obéit aux ordres, aussi absurdes soient-ils. On aimerait croire que cette société n'est pas du tout la nôtre... même pas un peu.

Étienne Launay, le metteur en scène, (qui joue au Lucernaire dans un autre spectacle, l'Affaire Courteline) considère la pièce au-delà d’un théâtre de l’absurde. C'est selon lui un "théâtre de dérision" associant un univers comique et un rire grinçant au tragique de l’existence : J’ai la conviction que l’absurde reste aujourd’hui un excellent vecteur de vérité. Pinter nous plonge dans le tragique de l’Homme face à lui-même, et dans l’angoisse incessante du monde extérieur qui nous hante tous. Gus et Ben sont deux personnes "déviantes" au sens sociologique du terme, et qui interrogent forcément l’ordre imposé. L’un de mes désirs premiers est de placer le spectateur au centre de cette bulle propice au questionnement de l’être pour nous permettre d’avancer, je l’espère, dans notre quête de vérité.
Et pour ce faire il a eu une idée géniale, celle de diviser le plateau en deux et d'engager deux acteurs pour interpréter Ben et deux autres pour jouer Gus. Ainsi ce sont, à Jardin, Benjamin Kühn (Ben 1) et Simon Larvaron (Gus 1), et à Cour, le couple Bob Levasseur (Ben 2) et Mathias Minne (Gus 2). Si on considère aussi les espaces qui s'étendent derrière le rideau de fond et les deux coulisses ce sont en fait six espaces dans lesquelles évoluent les comédiens. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Il y a une étanchéité sans faille et les deux duos évoluent chacun dans leur zone, organisé en trois espaces. Depuis la salle on ne voit jamais plus d'un Gus et un Ben, mais pas nécessairement dans le même camp de base.
Ce dédoublement théâtralise l'action, relance l'attention et surtout démontre que personne n'est irremplaçable.
Le spectateur perçoit la tension qui monte entre les deux compères ... pas tant copain que ça à entendre les critiques qui fusent :
Tu t'intéresses à rien ! reproche le premier
- J'optimise mon temps dit l'autre (alors que le public entend qu'il tue le temps).

Les deux ne font pas la paire. On sent la suspicion qui se propage et on suppute que ça pourrait péter entre eux, même s'ils sont partenaires, apparemment.
- Quand est-ce qu'il va appeler ? Il y a quelque chose de beckettien dans ce théâtre. L'angoisse est nette, comme si quelque chose de pas clair était en train de se tramer. Il n'y a pas que le flotteur (de la chasse d'eau) qui grippe. Ce n'est pas en chantant Oh when the saints que l'optimiste va revenir.

Ajoutez à cela de drôle de bruitages (quand le monte-plats se met en branle) et une réplique clé qui revient en boucle comme un mantra : On fera exactement pareil.

Le message des allumettes à quoi ça rime s'il n'y a pas de gaz ? Quel rapport entre une chose et une autre ? On est en plein dans l'absurde, même quand on croit débusquer un semblant de logique.

Ta gueule ! hurle le premier. Le second s'énerve franchement : à quoi il joue, on a passé nos tests ! (il suppute une nouvelle mise à l'épreuve. On se dit que si on était le boss on se débarrasserait d'un tel élément, quoique que ultra touchant et sympathique). On se demande si tout n'est pas manigancé à l'instar de ce que Yohann Charrin a mis en scène dans son court-métrage Premier Jour (finaliste du Prix Polar SNCF 2017). On y voit Safia, jeune policière de 25 ans, qui subira une épreuve pour tester sa loyauté avant de l'intégrer définitivement dans la prestigieuse brigade du 36 quai des Orfèvres après 5 années de service à Clichy-sous-Bois. 

Elle se trouve confrontée, dès son premier jour, à un dangereux criminel qui met sa droiture à rude épreuve. Dans Le monte-plats la mécanique est implacable et l’absurde questionne la condition humaine. Une rencontre avec l’équipe artistique est programmée le vendredi 13 avril 2018 à l’issue de la représentation.

Le monte-plat de Harold Pinter
Mise en scène Etienne Launay
Avec Benjamin Kühn (Ben 1), Simon Larvaron (Gus 1), Bob Levasseur (Ben 2) et Mathias Minne  (Gus 2)
En co-réalisation entre la compagnie la Boite aux lettres et le Lucernaire
Du 28 mars au 20 mai 2018
Du mardi au samedi à 18 h 30, le dimanche 15 heures
Au Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris

La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Pierre-Louis Laugérias

Les Balades Electriques d'EVIE

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Il est probable que vous ne connaissez pas EVIE mais je gage qu'une fois que vous aurez entendu son timbre particulier vous n'aurez qu'une envie, l'écouter en boucle.

Son nouvel album, balades électriques, disponible depuis le le 30 mars (In Ouie Distribution) est porté par des mélodies qui s'inscrustent et des textes profonds que j'aime à tort et à travers (piste 1) qui nous embarquent en balade pieds et poings liés, comme Lola (piste 2) par ci par là.

Trois petits tours, et puis s'en va ... les personnages féminins chantés par EVIE sont attachants. On s'y reconnait. On a tous été un jour sur un pied de guerre, sur un quai de gare ... (piste 3).

Auteur compositeur interprète, EVIE (avec un trait sous le premier E) écrivait en anglais par pudeur, parce que c'était plus facile de dire les choses dans une langue étrangère. Par chance pour nous, elle s'exprime désormais en français et s’applique à trouver le mot juste pour exprimer de façon simple et universelle ce qui touche à l’intime. A des déchirures qui lui sont personnelles mais que l'on peut partager.

EVIE a chanté en anglais, puis en français, joué du piano, puis de la basse, traversé quelques orages et quelques tristesses que l’on devine ici et là au fil de ses mots. Elle a gardé le cap et la passion qu'elle chante d'une voix grave et claire.

D’abord chanteuse du groupe Time Factory, avec l’album No Borders (première partie de Feist et Rachid Taha), elle est devenue la voix féminine du duo Paris Brune en 2010 (L’oeil du Cyclone, Jive Epic). Elle a commencé un projet solo l'année suivante, reprenant pour l’occasion le surnom que quelques amis lui ont donné : EVIE. Elle a bien fait de quitter le rang ... comme le chante légèrement Lola, pour être cette voix qui montre la voie de ces promenades que l'on suit en sa compagnie avec beaucoup de plaisir.

Il y a de la révolte dans les paroles de ses chansons mais aussi une énergie communicative soutenue par ses musiciens, une violoncelliste et un guitariste alors qu'elle se réserve le clavier ou la basse – un instrument pour lequel elle dit être "tombée en amour" il y a quelques années déjà. Elle n'avait pas prévu d'enregistrer elle-même les basses pour cet album mais elle ut encouragée par l'équipe. Et c'est réussi ! Le riff de basse qui soutient Un dernier verre, en fait la démonstration.
Un cycle s'éteint, un autre s'ouvre, c'est clair (...) Ne plus regarder en arrière.

On approuve EVIE d'avoir emprunté ce chemin pour revenir en studio entre la Bourgogne et Paris pour enregistrer un nouvel opus, point d’orgue de sa collaboration depuis 2 ans avec ses deux musiciens, également présents sur scène.

Lʼalbum offre autant de balades que de révoltes, avec une certaine mélancolie (portée par le violoncelle) sur le monde urbain et ses habitants … les gares, les villes où se ruent des Foules absurdes. Les parisiens savent combien le métro a quelque chose d'absurde. C'est un univers un peu violent, anxiogène, qui pose la question de s'interroger sur l'opportunité de quitter la ville, en l'occurrence Paris qu'on peut tout autant détester et adorer.

Parce que la ville, la nuit, c'est aussi l'espoir de l'autre coté du bar où les regards cherchent l'âme soeur pendant une de ces balades électriques ... sur le rail de nos nuits blanches. (Electric Ballad piste 7)

Il y a d’un côté l’espoir, incarné aussi par La Ligne (piste 10) et ses envolées de cordes qui semblent tirer vers la lumière Ce fut le premier clip à sortir. Le titre représente bien l'album, basse, clavier, violoncelle, petite boucle électro, et surtout en parlant de l'avenir et d'un horizon qui se fait plus clair.

De l’autre, pointe le désenchantement. On y retrouve les thèmes de la rupture et du désamour (Game Over, piste 1), de l’abandon comme Sur un quai de gare (piste 3), acoustique au piano (le premier des instruments qu'elle a joué), chanson imaginée pour un enfant qui attend son père ou sa mère sur un quai toute sa vie, ou Et quand viendra le jour (piste 8), histoire d’une poupée de chiffon laissée dans un magasin de jouets.

En marge du reste de l’album, Des heures (piste 6), véritable plainte aux accents trip-hop, dévoile une atmosphère sonore de prédilection, également présente dans la chanson Puisque les clowns (piste 11), écrite suite aux attentats de Charlie Hebdo et qui clôture brillamment cet album.

Souhaitons à la jeune femme d’autres lendemains et de nouveaux horizons sonores, aussi intenses et poétiques, que ces balades électriques.

Elle sera en concert :
Le 4 avril au Cavern (75) - Avec Haakan
Le 5 avril à O'Gib (93) - sélection The Spring Board Show
Le 21 avril à La Passerelle (75) - soirée "J'ai rendez-vous avec"
Le 29 avril à Clermont Ferrand (63) - sélection Carrefour de la Chanson
Le 1er juin à la Guinguette de Coulanges-sur-Yonne (89)
Le 2 juin au Fournil de Lucy-sur-Cure (89)
Le 14 juillet à la Scène Faramine, Pierre Perthuis (89)

Les étrangers de Éric Pessan et Olivier de Solminihac

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Je devais rencontrer Eric Pessan et Olivier de Solminihac ce soir à La Mouette rieuse (qui est bien davantage qu'une librairie) pour en savoir davantage sur Les Étrangers, un roman qu'ils signent de leurs deux patronymes (les prénoms ne figurent pas sur la couverture, très sombre, éclairée d'une typographie orange) et qui paraîtra demain à l'Ecole des loisirs.

L'action démarre dans une gare mais ça n'a pas été de bonne augure pour Eric Pessan qui est resté à quai à Nantes. Seul Olivier a réussi à venir des Hauts de France où se déroule d'ailleurs l'histoire.

Les deux compères se connaissent de longue date même s'ils n'avaient pas encore travaillé ensemble. Leur collaboration est née de l’impossibilité dans laquelle Olivier s'engluait, dans la construction d’un roman associé à un gros travail d’archives et de documentation, trop lourd à faire avancer.

Il a voulu "passer à un autre projet", d’écriture cela va de soi, mais pas tout seul. Eric pouvait être le bon associé. Parce qu’ils ont ensemble des affinités, qu’ils ont tous les deux publiés à l’École des loisirs, donc dans un cadre connu de tous les deux. Et parce qu’Eric (aussi) a publié comme lui des ouvrages avec des plasticiens. Tout cela laissait pressentir qu’ils pourraient passer outre les difficultés s’il en survenait.

Eric donna immédiatement un accord de principe alors même qu’aucun des deux ne savait de quoi il pourrait être question, quelle thématique ils allaient explorer, ni quand ils seraient disponibles pour y travailler ensemble.

La situation de départ s'est construite en l’espace de quelques semaines : une gare désaffectée, des rails, un garçon de quinze ans et l’exigence d’écrire sur un thème d’actualité. Eric vivant à Nantes, Olivier à Dunkerque, les circonstances imposaient de fonctionner à distance, en écrivant chacun un chapitre, à tour de rôle.
Olivier se lança le premier et envoya son texte à Éric, en n’espérant pas une réponse avant deux semaines. Le deuxième chapitre arriva trois jours plus tard dans sa boite mail, prouvant que son compère s’était pris au jeu. L’émulation fut constante jusqu’au dernier chapitre qu’ils ont voulu faire ensemble. Ils se sont donné rendez-vous sur Messenger, entre 9 heures et 11 heures 15, s’accordant chacun cinq minutes pour écrire autant qu’il le voulait, et autant qu’il le pouvait. Voir le livre avancer sous leurs yeux est une chose très surprenante dont Olivier se souvient avec émotion et qu’il compare à un travail d’improvisation théâtrale.

Ils ont arrêté quand l’un a dit à l’autre, c’est ton tour mais je crois que la fin est arrivée. Plus tard Eric a juste voulu modifier une petite chose.  Il fallait bien que ce livre là aussi contienne une allusion à un des habitants de la fameuse tour (imaginaire, située à Saint-Herblain, près de Nantes) de dix-huit étages qui fournit systématiquement au moins un personnage à l'auteur. Et comme ils ne voulaient pas être prisonniers d’un dispositif, ils ont retravaillé ultérieurement sous le regard de leur éditrice, Véronique Haïtse.

Olivier a "naturellement" proposé de nous lire le premier chapitre dont on apprendra plus tard que c’est lui qui l’a écrit. Je note les ou/ou, et les points de suspension attisant l’envie d’en savoir plus. J’entends un tutoiement dont je me demande à qui il est adressé.

L'auteur reconnait que ce qu'il préfère dans l’écriture c’est la lecture, à voix nue ou sur une musique  (alors qu’il ne peut pas écrire en écoutant un morceau, même s’il a pu le passer 70 fois de suite juste avant). La lecture c’est le plaisir de l’interprétation et il nous en offre plusieurs moments ce soir.

L'écriture construit un roman haletant qui s’est tissé au fil des échanges entre les deux écrivains.  Quand Eric reprend la plume pour la deuxième fois (chapitre 4) il ignore totalement ce qui adviendra dans le suivant puisque c'est Olivier qui en aura la charge. La forme est par voie de conséquence plus tendue et le lecteur perçoit cette incertitude. Nous ne sommes pas dans un contexte classique où l'auteur peut nous balader sans perdre de vue la fin qu'il a déjà anticipée ... et nous entrainer dans une voie surréaliste comme on entrerait physiquement dans un rêve.

Basile ne sait pas ce qu'il fait là, nous dit-il (p. 24), nous non plus. Nous sommes pour une fois à égalité de suspense, l'auteur, le personnage, et moi. Chaque fin de chapitre prend une allure de main tendue que le début du suivant tarde un peu à saisir, dans un esprit de farouche indépendance :

Je crois que je sentais que cette histoire me dépassait, comme si ce n'était pas moi qui l'écrivais, que d'une certaine façon elle s'écrivait d'elle-même. (p. 30)

L'intrigue se déroule en une nuit, sauf le dernier chapitre. Basile grandit dans une relative solitude. Il sait que de nombreux migrants passent dans la région. Il a entendu parler des camps et des trafics, des jeunes gens qui s'accrochent sous les camions et en meurent parfois. Il sait tant et tant de choses qui le concernent si peu ! Tout change lorsqu'il croise quatre garçons dans une gare désaffectée. Ils sont à cran, ils se cachent, la police les cherche depuis qu'ils ont fui le centre pour mineurs isolés. Quand l'un d'entre eux se fait enlever par des passeurs, Basile n'a plus le choix. Il s'embarque dans une nuit sans fin à la recherche de ce garçon qu'il ne connaît pas, cet étranger, prisonnier de la mafia.

Le roman pose la question du courage. On ignore tellement de choses sur soi, qu'on ne peut pas présupposer de son courageux ou sa lâcheté lorsqu'on sera confronté à une situation extrême (p. 105). Chacun des deux auteurs a tendu des perches, pour amener le récit vers quelque chose qui provoquera une réaction ... ou pas. Il y a une part de jeu sourit Olivier qui se lève pour lire le chapitre 5.

On y remarque que les gamins en fuite portent les noms du premier vers du poème de Gérard de Nerval, El Desdichado : le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé. La poésie est la petite touche personnelle d'Olivier alors qu'Eric introduira des effets à la manière de Stephen King. De fait le chapitre 6 suinte de peur. Il est très fort pour glisser des marqueurs de l’époque contemporaine. Il n’hésite pas à employer des termes comme Facebook et IPhone alors qu’Olivier utilisera plus spontanément les mots messagerie et téléphone portable.

Malgré une écriture tremblée, qui va vite, et qui reste imprévisible, chacun s'est laissé influencer par l’autre, ami ou adversaire, si bien qu'au fil des mots le lecteur oubliera qu'il y a deux auteurs. Pourtant il y a eu peu de travail pour harmoniser les chapitres. Sans dévoiler le dernier chapitre, on devine (on est dans le domaine de la littérature jeunesse qui impose tout de même une fin positive) que Basile sera pris petit à petit dans une aventure qui l’amènera à sauver un migrant des griffes de la mafia. Le résultat n’est pas un ouvrage qui a une vocation documentaire mais Calais se trouve à 25 minutes de Dunkerque où réside Olivier. C’est un des aspects de son quotidien.

Eric Pessan a déjà publié une trentaine de livres. Plusieurs ont été chroniqués sur A bride abattue.  Olivier de Solminihac est né en 1976 à Lille. Il a publié lui aussi à l'Ecole des loisirs, mais aussi aux éditions de l’Olivier, et aux éditions Caedere. Il a écrit beaucoup de romans de littérature jeunesse et ado, et deux albums chez Sarbacane. Il avait déjà fait l’expérience de l'écriture continuée, au travers de 7 chapitres seulement, par 7 auteurs différents, pour un petit livre, aux allures de conte philosophique qu'il faut mettre entre toutes les jeunes mains, Le dur métier de loup, collection Mouche, Ecole des loisirs, 2012.

Tous deux se connaissent depuis 6-7 ans, s’étaient croisés quelques fois, avaient reconnu leurs affinités littéraires et entretiennent une estime réciproque. Leur véritable rencontre remonte à une résidence d’auteurs qui eut lieu à Béthune dans le cadre des Lettres Nomades (dont Olivier est administrateur de l’association organisatrice).
Les étrangers de Éric Pessan et Olivier de Solminihac, collection Medium (13 ans et +), Ecole des loisirs, à paraitre le 4 avril 2018, Photographie de couverture: Alex Majoli

La Mouette rieuse s'est ouverte il y a quelques mois au 17 bis rue Pavée, 75004 Paris

Un déjeuner au Layon, 139 rue du Château, 75014 Paris

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J'adore découvrir de nouveaux lieux, non pas parce qu'ils sont nouveaux mais parce que c'est là que j'ai le plus le sentiment de faire quelque chose de vraiment utile ... à condition bien entendu que je sois enthousiaste (au "pire" je n'écris rien), ce qui est largement le cas pour ce Layon situé 139 rue du Château dans le 14ème arrondissement, tout près de la maison où j'ai habité une dizaine d'années.

Deux passionnés y ont établi leur quartier en osant une association qui sorte des sentiers battus ... tout en choisissant pile un intitulé qui évoque ce chemin particulier, un petit sentier forestier.

Candyce Piotin, la parisienne, officie en salle et Phildera Diazabakana, le normand, est aux fourneaux. La première a exercé dans le luxe et est tombée en amour pour les vins. Le second est passé par l'école Auguste Escoffier, a fait escale au Citrus Etoile et chez la Mère Catherine, et ne sent pas de grandes limites à son inspiration.

Tous deux respectent la cuisine française qu'ils n'ont de cesse de dynamiser avec un ou deux ingrédients inattendus. Leur cuisine est un voyage que tout le monde a apprécié unanimement ce midi. Le restaurant affichait complet, et visiblement avec un certain nombre d'habitués.

Phildera est très soucieux de ménager la surprise. Ne comptez pas choisir en fonction de ce que vous voyez dans l'assiette de votre voisin. Le midi c'est possible mais le soir, deux tables proches ne recevront pas les mêmes plats. Ça implique la confiance mais c'est très malin. Hormis les obsessionnels qui mangent toujours la même chose (j'en connais, quelle tristesse) rien n'est plus agréable que d'être étonné.
Je connais le jus d'hibiscus. J'aurais pu me dispenser de goûter celui que la maman de Phildera prépare. Je me serais privée d'un réel plaisir. On sent la vanille et je parierais qu'il contient de la grenade. Il est excellent.
Le duo sait s'adapter à la clientèle, mais sans précipitation ni effet de mode. La musique est jazzy, plutôt douce, respectant les conversations. On prend le temps ici. La preuve, la pendule est encore à l'ancienne heure. Les codes sont brouillés.  Les plateaux de bois sont robustes. Il n'y a pas de nappe mais les serviettes sont en tissu. La décoration est raffinée. Le cuivre s'accorde au wax qui devient oeuvre d'art et garnit les corbeilles de pain, lequel vient de Thévenin, un boulanger installé dans la rue voisine, rue Daguerre, Porte d'Orléans, et à Saint Placide. Le pain blanc côtoie le pain aux graines, pour que le client choisisse selon sa préférence. Les deux relèvent de la gourmandise.

J'ai entendu dire que la cuisine du Layon était exotique. Elle est d'abord très française. Celui qui veut absolument un qualificatif devra se satisfaire du terme "néo-bistrot". Mais venons-en à ce que j'ai vu dans les assiettes.

L'entrée Terre et mer est osée, artistiquement dressée quoique sans chichi, gustativement très réussie. Candyce expliquera à chacun l'association : andouillette de canard, seiche rôtie, sur une purée d'artichaut. La seiche est mi-croquante, mi-fondante. Les chips d'artichaut apportent une note sucrée. La sauce tonato-câpres un peu d'amertume. On se laisse convaincre par sa suggestion de l'accompagner d'un verre d'AOP Tursan, Carpe Diem, Domaine Cazalet 2016, qui est un vin blanc des Landes produit avec le cépage Baroque. Sa minéralité est agréable.
Dans la salle du fond c'est la Crème tiède de carotte veloutée qui a la préférence et qui est servie avec cérémonial dans chaque assiette en versant la préparation en pichet de chez Revol.
Les plantations d'oiseau de paradis apportent une note de dépaysement tandis que la situation de l'endroit garantit l'intimité. La banquette et ses coussins colorés est très conviviale.
Un des convives est végan et ne pourra pas consommer ce velouté puisqu'il contient un produit laitier. Qu'à cela ne tienne, Phildera improvisera quelque chose de très appétissant :
Ayant la chance de pouvoir manger de tout, je gouterai à cette crème qui est un vrai délice. Et, soyons fou, à un jus de baobab ... mais qui, lui, sera le seul article à ne pas me séduire. Je pense que les adeptes des laits végétaux seraient par contre enchantés.
Poursuivons avec un Mulet rôti, fenouil, purée (orange) de patate douce et chips de patate douce ... mais blanche. L'assiette est encore une fois élégante. Le poisson est cuit selon les règles de l'art, assaisonné avec justesse et mesure. Jean-François Piège serait aux anges. On se régale. Candyce aurait volontiers recommandé un vin blanc plus sec mais nous resterons sur le Tursan.
Les "viandards" n'auront pas hésité. L'onglet-échalottes-oignons est pour eux. Je réalise une fois que l'assiette a été posée devant moi qu'on ne m'a pas demandé quel niveau de cuisson je souhaitais. Et pour cause, le chef sait comment faire pour que la viande soit merveilleusement fondante.
Entre bleu et saignant ... il faut inventer le terme de "violet". Le boeuf Angus a été choisi par le boucher de la  rue de la Sablière et sa chair est sublime. La purée d'oignons et la compotée d'échalotes agissent comme des condiments. Les pommes rôties sont très bonnes. L'échalote dite cuisse de poulet est moelleuse. Il n'y a rien à redire.
Tous les vins sont disponibles au verre; c'est un point très positif. Un AOC (peu tannique) Coteau de Varois, le Haut des Côtes 2015, Chateau des Annibal, domaine Vallot s'accordera très bien avec le plat.
On prolongera avec une tranche de la Terrine de roquefort maison, noix-abricots secs et ciboulette qui, dans quelques jours sera remplacée par un Brie dattes et noix. C'est une bonne idée de travailler le fromage plutôt que de le servir en plateau. Elle est présentée assaisonnée, en fine tranche avec un bouquet de mâche. Vous aurez remarqué la diversité de la vaisselle, terre cuite et porcelaine de la collection Serax au design signé d’artistes renommés comme Pieter Stochmans ou Pascal Naessens.
Un dessert (sucré) figure aussi à la carte. Une combinaison de Crumble, agrumes et sorbet ananas ... maison bien sûr.
Je vous encourage à déguster un des rhums arrangés que Candyce prépare elle-même en suivant des recettes familiales réunionnaises. Je me suis laissé convaincre par le Rhum 44, au parfum subtil de tangor, un agrume qui est suspendu au-dessus de l'alcool pendant le temps de la macération de 44 grains de café et 3 clous de girofle.
Phildera et Candyce sont en passe de réussir leur pari "d'être chez eux". La cuisine d'instinct du chef séduit parce qu'elle est élaborée, légère, inventive, et parfumée. Son inspiration prend racine dans la tradition gastronomique, dont il a parfaitement retenu les cuissons, et dans la complexité de ses origines (le chef est natif de Normandie mais d’origine congolaise) qui l'amène à oser des accords audacieux, mais sans folie.
Il en résulte une carte tout à fait abordable, tant sur le plan économique (deux formules à 19, 50€ et 24, 50€ au déjeuner) que gustatif. La preuve : ils  ne sont ouverts que depuis trois mois et affichent très souvent complet le soir, et même le midi depuis quelque temps. D'ailleurs trois tables en terrasse augmenteront la capacité d'accueil.
Le soir, l’offre se traduit en deux volets pour les gourmets. Le menu à Trois Temps proposé à 32€ par personne, comprend une entrée, un plat et un dessert. Le menu à Cinq Temps appelé aussi le menu dégustation à 44€ par personne comprend deux entrées, un poisson, une viande, un dessert ou une entrée, un poisson, une viande, un fromage et un dessert. Aucune indication ne sera donnée par l’équipe. Les convives devront seulement indiquer s’ils ont des allergies ou des préférences. À partir de ces éléments, et secondé en cuisine par Messie, le chef se lance dans ses créations bien inspirées. Il sait s’adapter aux désirs de ses clients, les surprendre et les voir repartir avec les papilles en émoi.
L’endroit peut être privatisé, particulièrement les jours de fermeture le dimanche et le lundi, pour des soirées privées, des dîners d’anniversaires...
Prenez donc le chemin du Layon le temps d’un déjeuner ... ou d’un dîner, mais sachez qu'il est prudent de réserver le soir, et même le midi.

Le Layon
139, rue du Château, 75014 Paris
Tél. : 09 83 36 40 42 www.le-layon.fr
Du mardi au samedi de 12h à 14h et de 19h à 22h30
Vendredi et Samedi 23h pour la dernière commande
Fermeture : dimanche et lundi

Poste restante à Locmaria de Lorraine Fouchet

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Je crois que je pourrais le dire de chaque nouveau livre de Lorraine Fouchet, il est mon préféré, et Poste restante à Locmaria n'échappe pas à la règle.

Elle nous embarque pour la troisième fois consécutive en Bretagne, sur sa très chère Ile de Groix pour des aventures où la tendresse ne reste pas poste restante, où les liens du sang n’accusent pas réception, où le bateau du courrier est porteur de bien des surprises, et où les boîtes aux lettres recèlent de lourds secrets.

Le roman n'est pas qu'insulaire. Il nous fait voyager sur le continent jusqu'à Venise et Rome, et même en Chine puisqu'on apprend que les boites aux lettres y sont rondes et vertes. Il nous fait aussi traverser les années, au moins 26, comme si on y était. Chassés-croisés et flash-backs sont multiples.

Lorraine est une auteure attentionnée. Elle glisse entre les lignes des hommages à peine voilés à des professions pour qui elle a beaucoup de respect (comme attaché de presse ou libraire p. 156), donne des conseils de lecture en citant un confrère (Alors voilà de Baptiste Beaulieu p. 185), fait référence à des faits d'actualité (comme les attentats du Bataclan p. 217) ... tout cela avec délicatesse et pertinence. Parfois en langage codé quand on réalise pourquoi elle a appelé son cocker Uriel ... et non Ponant.

Elle commence à habituer ses lecteurs aux goodies, vous savez ces petits suppléments destinés à faire plaisir aux consommateurs. Elle a commencé il y a quelques années par la liste des musiques associées à l'écriture. Cette fois j'ai découvert Michel Tonnerre (p. 86).

Vous trouverez aussi une recette de cake au romarin que j'ai testée et qui m'a épatée même si je n'ai pas rigoureusement suivi le processus. J'ai obtenu le plus beau cake de toute ma vie. Les fidèles lecteurs du blog mesureront l'ampleur du compliment puisque j'ai souvent publié mes déboires avec ce type de gâteau, dont Julie Andrieu m'avait conseillé de demander la recette à Yannick Alléno, ce que j'ai jamais osé et que je n'ai plus besoin de faire maintenant.

Rassurez-vous, je vous donne cette recette en fin d'article. Mais revenons à Groix, qui est je commence à le croire, une osasis de paix au milieu du chaos (p. 158).

C'est que Chiara est dans une grande tourmente depuis qu'elle a appris que son père n'est peut-être pas son père, ce qui pour une orpheline est malgré tout un choc.

Ce qui est très bien tricoté par Lorraine c'est que notre jeune femme n'est pas la seule à s'interroger sur ses origines. Elle rencontrera un jeune homme qui a une problématique semblable.

La question de l'usurpation d'identité est au coeur du roman qui par moment m'a fait penser à ce que je considère comme un des meilleurs films de Spielberg, Arrête-moi si tu peux, et qui est inspiré d'une histoire vraie.

Résoudre l'énigme de ses origines revient à ouvrir une boite de Pandore, à moins de se contenter de son père officiel, comme Gabin se contente de son père inconnu (p. 195). Le garçon est poète et il a la bonne formule : on a tous le choix d'inventer nos vies.

La poésie occupe une place de premier ordre dans le livre (je suppute que dans le prochain il y aura un index des citations). Je savais que Paul Eluard s'appelait Eugène Grindel mais j'ai appris le véritable nom d'Apollinaire.

Je ne voudrais pas trop vous en dire sur ce roman qui se lit comme un policier romantique (je viens d'inventer le terme spécialement pour Lorraine qui me semble en faire sa spécialité).

Il appartient à cette grande catégorie des feel-good qui mettent du baume au coeur sur les blessures de la vie, et nous en avons tous. Après avoir soigné les corps, Lorraine soigne nos âmes. Elle démonte aussi les préjugés, par exemple la croyance que les familles italiennes sont toutes des familles soudées. Par contre la population de Groix a une solidarité sans faille !

Il faut ouvrir cette Poste restante qui réveille les souvenirs et réhabilite le courrier, le vrai, celui d'avant Internet et les smartphones, qu'on attendait plusieurs jours, qui partait dans des enveloppes parfois agrémentées d'un petit dessin ou d'une formule du type : Facteur presse le pas, l'amitié n'attend pas.

Poste restante à Locmaria de Lorraine Fouchet, chez Héloïse d'Ormesson, en librairie le 5 avril 2018
Et maintenant la recette du Cake de Brigitte de Lomener (qui pour moi restera le Cake de Lorraine)

3 oeufs
150 grammes de farine
un demi-sachet de levure
110 de sucre
125 de beurre salé (puisque c'est une recette bretonne)
une poignée de canneberges macérées 48 heures dans du Cognac (parce que j'en ai)
une autre poignée de pistaches (surtout pas salées) grossièrement écrasées
trois cuillères à soupe de clémentine confite hachée (parce que ce sont les seuls fruits confits que j'ai sous la main)
une cuillère à soupe de romarin frais

Vous pouvez vérifier avec la recette du livre, je n'ai pas pris les mêmes ingrédients mais j'ai conservé l'esprit ... sauf la pincée de sel que je n'ajoute pas à la pâte. Le beurre en contient largement suffisamment. Je ne veux pas risquer l'hypertension.

Je n'ai pas non plus suivi le même déroulé. Je commence toujours par mélanger oeufs battus et sucre, puis beurre, farine, et enfin les fruits confits.
La cuisson recommandée m'a semblé farfelue mais j'ai tenté le coup : 15 minutes à 180° puis 50 à 110°.
C'est ainsi que j'ai obtenu le plus beau cake de toute ma vie. Le secret tant cherché depuis des années réside-t-il dans le mode de cuisson ou dans le romarin ?

Born to try, le second album des Part Time friends

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C'est en découvrant Born To Try, ce nouvel album des Part-Time Friends que je me suis aperçue que je n'avais jusque là d'eux qu'un piètre (au sens de réduit) échantillon de leur talent, un CD de 4 titres, Art Counter, Home, Johnny Johnny et Keep on Walking. 

Forcément, puisque je l'avais chroniqué en avant-première et que le CD complet n'était pas encore dans les bacs. Mais je m'en souvenais si bien que lorsque j'ai entendu l'autre jour Pauline parler de son nouvel album sur une radio périphérique (vous savez celles qui diffusent en hertz, mais qui doublent quand même la mise en s'installant aussi sur le web) je me suis dit : mais je connais. Ah, ils sont de retour !

Le précédent s'intitulait Fingers Crossed et de fait tous les espoirs leur étaient permis, mais ils ne le savaient pas et ont bien failli arrêter. Pourtant sur cet album figurait Here We Are, une chanson pop-folk qui a tourné la tête de l’agence Les Gaulois. C'est elle qui a été choisie pour accompagner leur film publicitaire de lancement de la nouvelle Citroën C3 en octobre 2016. Ironie du sort, ce film s'intitulait Marry me alors que les Part Time Friends sont des amis, à temps partiel, mais on peut dire pleinement.

Pauline et Florent se sont souvent sentis perdus dans un monde trop grand pour eux - à l'image de la pochette de l'album shootée au Japon et signée du photographe australien Ben Thomas, fraichement nommé "Hasselblad Master 2018". Ils se sont aussi un instant perdus de vus mais suivez leur regard, ils sont désormais soudés comme jamais.

Comme vous ne les connaissez peut-être pas, ou que vous avez oublié ce que j'ai écrit il y a déjà 4 ans, on va commencer par quelques images et du son. J'adore le swing d'Understand, mais il n'est pas disponible alors regardons le clip de Streets and Stories, une chanson qui a été enregistrée à Los Angeles, à l'issue d'un atelier d'écriture, à l'invitation d'un éditeur américain. Le texte anglais est magnifique. espérons que les francophones décrypteront les paroles, si belles .. parce que si crush signifie écraser il peux aussi dire avoir le coup de foudre pour :
I can crush your dreams
I can make them real


Pauline Lopez de Ayora et Florent Biolchini se connaissent depuis l'enfance. Leur amitié a connu des hauts et des bas, ils ne s'en cachent pas. Ils ont même donné ce nom d'Amis à temps partielà leur duo en 2007. Ces deux là ne manquent pas d'humour comme vous avez pu le constater dans la vidéo. Ils ont aussi une immense sensibilité et leur cuirasse n'est pas imperméable à la critique. Alors ne nous privons pas de dire très fort qu'on les aime, eux et ce qu'ils font.

Cet album a été enregistré comme le précédent à Monmouth (Pays de Galles), et avec la même équipe. Mais le réalisateur, Tom Manning, venant de s'offrir le mythique studio Monnow Valley où il travaillait comme assistant, les conditions étaient devenues idéales.

Il commence par le bourdonnant Ghost Away qui est très vite entêtant, et qui annonce la couleur : ils ont la ferme intention d'éloigner les fantômes. Et, fait nouveau, ils chantent tous les deux d'une seule voix. Florent s'y fait davantage entendre. Chaque titre est un message à décrypter. S'ils sont encore à l'unisson sur la piste 2, Born to try m'évoque tout de même la sonorité de Keep on walking du précédent album.

La voix de Pauline prend plus d'espace sur Understand (piste 3) qui est sans nul doute le mot clé de l'album car on le trouvait dans la première phrase du premier titre. Chacun chante en écho et c'est très beau.

Here That Sound, coécrit avec Dan Black, rappelle l'esthétique folk du premier album. Florent et Pauline s'adressent à nous alternativement pour nous livrer leur manifeste musical. La voix de Pauline est de retour, et on retrouve intacte le timbre charmant d'Art counter, du premier album.

Streets and Stories insuffle de la fraicheur et donne envie de les rejoindre sur un parquet imaginaire et danser de joie.

Et ça continue encore et encore ...en passant par les si douces paroles de Glitter in my eyes

We were friends for like a million years
(...) No I don’t cry
I just have some glitter in my eye
No I won’t cry
It’s not easy for me to say goodbye

Les onze titres ont chacun leur couleur et s'enchaînent en nous surprenant à chaque fois, même si on reconnait leur univers pop si harmonieux. Le folk n'est jamais très loin mais prendre le pouvoir;

La certitude ne fait plus de doute. Il y aura de nombreux autres albums parce qu'on ne les croit pas un instant quand ils chantent (piste 11) We are not a band anymore. Pauline et Florent sont nés pour essayer et marquer chaque essai.

Born to try, par les Part Time Friends, chez Un Plan Simple / Sony Music, depuis le 30 mars 2018

Une ombre au tableau de Myriam Chirousse

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Myriam Chirousse, dont j'avais adoré Le Sanglier, revient avec une autre histoire de famille, qui se déroule cette fois dans le monde privilégié d'une résidence haut de gamme de la Côte d’Azur. Tout est dans les apparences et elles sont trompeuses.

Le cadre serait idyllique s'il n'y avait pas Une ombre au tableau de la cage dorée où s'installe la famille de Melissa.

Est-ce parce que la jeune femme est ostéopathe qu'elle est si intuitive ? Elle a développé un don particulier qui pourrait devenir un handicap, celui de trouver le cheveu sous le papier chez tout le monde et à tout instant ? Elle fait à elle-même des observations anecdotiques qui s'avèrent être des signaux (de détresse ...).

Le roman évolue assez vite dans l'univers du thriller psychologique, dans une atmosphère qui fait penser à un film de François Ozon. Il est assez bien résumé par l'auteure (p. 159) comme le récit d'un long dérapage sur les bandes blanches du quotidien, lesquelles sont très glissantes, comme tout un chacun peut en avoir fait l'expérience un jour de pluie ou de verglas.

La piscine qui illustre la couverture est un lieu stratégique. Un rêve qui peut virer au cauchemar si on cache une vérité qui n'est pas encourageante. C'est ce que fait Greg Delgado, employé de banque, lorsqu'il veut convaincre sa femme d'acheter la villa qu'il vient de visiter. Lui dire qu’un enfant s’est noyé dans la piscine ferait capoter son projet.

Le couple emménage. La chaleur devient caniculaire. Melissa souffre de maux de tête provoqués par les choses tapies dans les coins ténébreux de la conscience. Elle supporte mal l'arrogance de la réussite. Son intuition voudrait la mettre en garde contre Edith, la présidente de la copropriété qui semble avoir le bras très long. Mais pour cela il faudrait qu'elle-même n'ait rien à cacher.

Melissa aura de quoi s'inquiéter ... l'écriture de Myriam Chirousse est très psychologique. Elle a l'art de donner envie de tourner les pages : il est des nuit où le tic-tac des horloges ralentit et le temps s'enroule sur lui-même comme un serpent sous une souche jusqu'à ne plus bouger. Tout se mélange dans le noir, les âges de la vie s'agglutinent en une seule boule d'existence qui vous colle aux doigts comme de la pâte à pain. (p. 73)

Née à Cagnes-sur-mer en 1973, Myriam Chirousse a suivi des études de lettres et de philosophie tout en écrivant, en parallèle, ses premiers contes pour enfants et des nouvelles. En 2000, elle quitte la France pour l'Espagne où elle travaille comme professeur de français et traductrice. Son premier roman, Miel et vin, paraît en 2009. De retour en France, elle se consacre à la traduction et à l'écriture. Elle a publié Le Cantique des Elfes (2011, roman jeunesse), La Paupière du Jour (2013) Le Sanglier (2016).

Une ombre au tableau de Myriam Chirousse, chez Buchet-Chastel, en librairie depuis le 5 avril 2018

L'Affaire Courteline par la Compagnie de la Boite à lettres

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Imaginez des vêtements qui pendent à Cour comme à Jardin. Et six comédiens perchés sur six tabourets, en pleine crise de fou rire. Qui commence par conter des blagues finit souvent par mentir dit l'un d'eux.

Amusez-vous, foutez-vous d'tout (...) La vie après tout est si courte... Cette chanson date tout de même de 1934 mais nous sommes nombreux parmi le public à l'avoir déjà entendue. Il faut dire que les paroles sont du grand Sacha Guitry (et de W. Heymans), musique de A. Willemetz, créée par Henri Garat et tirée de l'opérette Florestan 1er, Prince de Monaco.

Le spectacle alterne les saynètes et les chansons, chorégraphiées à la perfection. Le rythme est soutenu. Heureusement que les comédiens ne sont pas tous mobilisés par chaque scène parce que ce serait épuisant pour eux.

C'est une des qualités de cette Affaire Courteline que de permettre les changements de rôle et donc de personnages. Une autre est de nous faire entendre ce texte si savoureux, même après tant d'années, et qui a du inspirer plus d'un humoriste : S'il fallait tolérer aux autres tout ce qu'on se permet à soi-même, la vie ne serait plus tenable

On est étonné de découvrir qu'il y avait déjà des frotteurs dans les autobus, que l'employé, qui est loin d'être modèle, ose justifier une absence de 15 jours avec une mauvaise foi désarmante, je n'peux pas m'tuer pour 200 francs par mois. Plus tard un autre de ces personnages truculents prononcera une autre de ces répliques qui réjouissent le public : je ne vois nulle honte à être un vieux cochon mais beaucoup de ridicule à être un vieux imbécile. Ce sont tous des phénomènes. On a envie de se souvenir de chaque réplique pour la recaser ultérieurement. Cette dame à la drôle de philosophie est impayable : je ne pense jamais, ça me fatigue, ou si je pense je ne pense à rien.
Ils s'appellent Sigismond, monsieur Badin, les Proute, Bezuche, Eponine, Champignon, Canuche... Leurs dialogues sont, c'est vrai, truffés de mots à double entente (sic). Quand l'un affirme Plus je crois en ce que je ne comprends pas, son voisin répond : je ne crois qu'à l'absurde.

Les chansons sont de très jolis moments. Comme Je n'suis pas bien portant, écrite en 1932 par un comique troupier, Gaston Ouvrard, qui la chanta pendant soixante ans. On entendra aussi la chanson la plus connue de Colette Renard Les Nuits d'une demoiselle, régulièrement reprise par des artistes contemporains comme Victoria Abril, Clothilde Courau, Jeanne Cherhal ou Mathilde pour son premier album après The Voice. Ce pas de quatre aura été très applaudi, ce qui est mérité.

La Compagnie La Boîte aux Lettres nous régale une fois de plus, après son très réjouissant “Le jeu de l’Amour et du Hasard“, de Marivaux, en 2017 et qui m'avait enthousiasmée. La mise en scène de Salomé Villiers était très réussie. Elle est cette fois Chichichette.
C'est un grand plaisir que nous offre une vraie troupe sous la direction de Betrand Mounier (qui interprète aussi le rôle de Sigismond). On remarque Etienne Launay (Champignon) qui est aussi le metteur en scène du Monte-plats, un étage au-dessus, dans ce même théâtre, dans un style très différent. Et bien entendu la pétillante Isabelle De Botton, dans un autre registre que son précédent spectacle, la Parisienne d'Alexandrie.

Offrez-vous cette Affaire Courteline qui éreinte les travers de la bourgeoisie de la fin du XIX° siècle. C'est un joli divertissement. Les comédiens vous donnent l'argument en reprenant pour le final la première chanson :
On n'est pas ici-bas
Pour se faire du tracas.
Amusez-vous, foutez-vous d'tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou… 
L'Affaire Courteline
Mise en scène par Bertrand Mounier (primé aux P'tits Molières) du 21 mars au 6 mai 2018
Avec Isabelle de Botton, Salome Villiers (ou Raphaëlle Lemann), Philippe Perrussel, Etienne Launay et François Nambot et Pierre Helie.
Au théâtre Lucernaire
Du mardi au samedi à 19h et le dimanche à 15h.
53 rue Notre-Dame-des-Champs - 75006 Paris
01 45 44 57 34
Photos © Franck Harscouet

Anonyme de Luc Fivet, au Ver à Soie

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Je me souvenais de son nom et de celui de son éditeur, le Ver à Soie, peu banal. Il figurait dans la première sélection du Prix Hors concours et ça a du bon d'être conservatrice, j'ai retrouvé très vite mes notes de lecture. Sur l'extrait de Marche ou rêve, j'avais tracé deux étoiles et mentionné "fondamental". Luc Fivet ne fut hélas pas retenu.

Il est de nouveau dans la prochaine sélection Hors concours, toujours présenté par le même éditeur. Je n'ai pas attendu le recueil des extraits pour livre son ouvrage en entier. Je n'ai pas été déçue. Son écriture s'enracine chez Kafka et Beckett dans la tradition du roman noir qui, je dois le reconnaitre, commence drôlement et s'assombrit au fil des pages, allant jusqu'à me flanquer concrètement la trouille.

Un soir, vous rentrez du travail. Un inconnu attend à la porte de votre domicile. Un brave type comme il en existe des millions. Un anonyme. Sauf que celui-là demande un euro pour vous laisser rentrer chez vous. Un petit euro. Surtout, n’acceptez pas. Car cet inconnu va ruiner votre vie.

Luc Fivet nous interroge sur le don et sur l'anodin. C'est le premier euro qui compte dans cette histoire d'engrenage.

Bonté, faiblesse, bêtise, même pas de chantage, l'homme se croit donc libre et autonome, il se trompe, il est déjà sous emprise. On nage dans le paralogique en se demandant si nous ne serions pas nous aussi d'une certaine façon menacée par de nombreux amis ... ne serait-ce que les opérateurs de téléphonie qui taxent chacune de nos conversations.

Anonyme est un conte philosophique en forme de thriller qui interroge sur la cohabitation dans un monde où chacun joue sa survie ?

Âgé d’une cinquantaine d’années, Luc Fivet a d’abord mené une carrière d’auteur-compositeur-interprète et d’auteur dramatique avant de se consacrer pleinement à la littérature. Ses thrillers, où se mêlent suspense et musique, art et Histoire, rencontrent un succès toujours croissant. Il organise également des conférences sur la littérature et propose son expertise comme coach littéraire. Il anime un blog qui offre une série d’analyses de grands polars, thrillers et romans noirs.

Anonyme de Luc Fivet, au Ver à Soie, en librairie depuis le 15 mars 2018

Se régaler à l'italienne avec Casa Azzurra

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J'avais testé les différentes mozarella de Casa Azzurra il y a pile un an. Fidèle à sa tradition d'innovation la marque italienne présente des nouveautés pour 2018 que j'ai pu cuisiner.

La plus étonnante, de mon point de vue, concerne la pâte à pizza que Casa Azzurra est allée chercher dans le sud de l'Italie, dans la région des Pouilles, et qu'elle a retenue pour son respect des méthodes de production traditionnelles. Préparée avec du levain naturel de la ville d'Ostuni, de l’huile d'olive extra et du sel de mer, la pâte est levée pendant 24 heures, pour un 

Autant je suis plutôt sceptique sur ce type de produit, autant j'ai été séduite par la pâte Casa Azzurra. Pour son goût, sa texture, son fini léger et croustillant, et bien sur l'absence d'arômes artificiels.
L'emballage a l'avantage de donner la marche à suivre pour sortir une pizza réussie. Il n'y a rien à redire.
On pose la pâte sur une tourtière. On tartine de purée de tomates. On dispose des cercles d'oignon frais. On ajoute de la mozarella puis des tranches de tomate fraiche et on enfourne.
Ensuite on décorera en disposant, selon ce qu'on aime, du jambon, quelques olives et la roquette (qui n'aurait pas supporté la cuisson).
J'avais de l'excellent Prosciutto di Parma. Ce fut un régal.
Après le succès de la Burrata di Bufala en 2017, voici la Burrata di Puglia, 100% au lait de vache des Pouilles, sa région d’origine, au format généreux et à la texture onctueuse et au goût authentique.
Celle-ci est merveilleuse à déguster le plus naturellement possible.
Tomates, asperges et roquette suffisent ...
Les enfants avaient dévoré l'an dernier les billes de 20g de mozzarella di bufala. A la réflexion elles sont idéales pour la préparation de salades parce qu'elles conservent le moelleux de la mozarella. Cette fois j'ai choisi de les poser sur un taboulé au pesto, avec des lamelles de poivrons confit.
On peut aussi, pour varier, associer avec du saumon.
La tresse demeure le "nec plus ultra" avec sa texture si particulière (mais qui peut dérouter). Elle est façonnée à la main pour lui donner sa forme traditionnelle, typique et inimitable. Coupée en morceaux irréguliers, elle sublime n'importe quelle entrée.
Voire même un plat complet si on le compose comme ici en déstructurant le burger. Le pain est toasté et servi en accompagnement comme s'il s'agissait de grosses frites. La viande haché a cuit sur la plancha ainsi que des quartiers de pomme. On reconnaitra des tagliatelles de carotte et de concombre, des lamelles de fenouil, des olives noires, quelques feuilles de roquette et une sauce à la coriandre.
Pour 2018, Casa Azzurra propose une autre nouveauté en accord avec l’air du temps. Il s'agit de bouchées croquantes réalisées uniquement à partir de fromages 100% italien et cuites au four – garanties sans gluten ni lactose et en haute teneur en protéines, calcium et phosphore. Ces Crisp'Italy sont idéales à l’apéritif, en salade ou dans les soupes en remplacement des croutons. Buon appetito !

Madame Marguerite interprétée par Stéphanie Bataille

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Madame Marguerite est devenue un monument de la création théâtrale contemporaine depuis qu'Annie Girardot l'a immortalisée en 1974, dans une adaptation faite par par Jean-Loup Dabadie, dans une mise en scène de Jorge Lavelli.

Il a fallu du culot à Stéphanie Bataille pour relever le défi de la succession. Elle a eu l'excellente idée pour cela de revenir au texte en proposant quarante après, une nouvelle incarnation, plus proche de l’originale, plus drôle qu’amusante, plus tragique que militante... bref sauvage, telle qu’elle est sortie de ma tête lorsque j’écrivis ce texte en 1970, en a dit l'auteur brésilien.

C'est en connaissant le point de vue de Roberto Athayde que je me suis décidée à aller la voir. C'est un choc dont il ne faut surtout pas se priver.

La comédienne arrive dans la salle avec la démarche classique de l'enseignante qui a ses élèves à l'oeil, à l'affut du moindre chuchotement. La salle est encore totalement éclairée. Le plus infime mouvement parmi le public ne pourrait pas lui échapper. Elle fronce les sourcil à la première alerte, se retourne, fait trois pas en avant, lâche son cabas sur le bureau, se retourne encore et fustige du regard le premier rang d'où s'échappent des rires mal contenus.
Elle aligne les livres dans un ordre maniaque. Je suis votre nouvelle maitresse, articule-t-elle et pour que vous vous rappeliez de son nom madame Marguerite va l'écrire au tableau. Elle parlera souvent ainsi d'elle à la troisième personne. La craie grince, la graphie est mal lisible. Ce ne sera pas notre seul motif de surprise.
L'école est votre second foyer. L'obéissance est la reine de toutes les vertus. Soudain un spasme de douleur lui vrille la nuque. On devine qu'elle souffre d'une grave maladie. Elle parle fort, roule des yeux, exige le silence. Puis elle se relâche, les pieds sur le bureau, pour énoncer les trois grands principes de la biologie.

Prise isolément, chacune de ses affirmations est exacte. Bout à bout cela donne un monologue surréaliste et décalé par rapport à la situation de départ (une classe de fin d'école primaire). Si elle insiste sur la mortalité de chacun c'est sans doute qu'elle a été confrontée à des morts brutales. N'oublions pas que le texte a été écrit alors que le Brésil était sous occupation militaire. Dans un tel contexte la mise en garde de madame Marguerite : tout le monde veut commander tout le monde, prend une couleur particulière. On comprend qu'elle ajoute : le pire est toujours à venir.

Le spectacle est ponctué de moments d'humour dont sa manière d'expliquer la division est un moment d'anthologie. La définition de la division est hélas souvent vérifiable : diviser veut dire chacun veut avoir plus que l'autre.

Elle frappe dans ses mains, tape sur ses cuisses, fustige la grammaire, malmène le squelette. Madame Marguerite s'emporte, sous le coup d'une attaque de théorie. A nous public de ne pas oublier que l'auteur a écrit ce texte à 18 ans pour dénoncer la dictature militaire.

S'il y a quelques leçons à retenir ce serait l'injonction de toujours chercher à faire le bien et ce proverbe africain avec lequel Stéphanie Bataille nous renvoie dans le monde réel : si t’avances tu meurs, si tu recules tu meurs, alors pourquoi t’avance pas ?

J'ai retrouvé l'extravagance que j'avais remarqué dans le rôle de Peggy Guggenheim, déjà un seule en scène il y a six ans. Stéphanie Bataille, alias Madame Marguerite, nous distrait de tout sauf de la folie du pouvoir et de l’importance de l’éducation.
Stéphanie Bataille et son metteur en scène Anne Bouvier ont eu raison de revenir à la version originale du texte, traduit en français par l’auteur lui-même. Roberto Athayde a participé à leur travail avec la joie de redonner une nouvelle vie à son œuvre, en résonance avec chaque époque.

Anne Bouvier avait en 2013 mis en scène au Ciné XIII Théâtre le succès adapté du roman de Grégoire Delacourt La Liste de mes Envies nominé aux Molières 2014 dans la catégorie Seul en Scène. Et Darius avec Clémentine Célarié qui fut une création Avignon 2016 puis repris à Paris au Théâtre des Mathurins.

Stéphanie Bataille avait écrit en 2003 un one-woman show intitulé Les Hommes mis en scène par Roger Louret qu’elle jouera à Paris et en province pendant trois ans. Après avoir interprété Les Monologues du Vagin en France ou encore aux États-Unis aux côtés de Jane Fonda, elle incarne la collectionneuse d’art et mécène Peggy Guggenheim dans la mise en scène de Christophe Lidon. Cette pièce crée en 2011 au Théâtre de la Huchette sera reprise au Théâtre Montparnasse et au Théâtre Michel. Sous la direction de Michel Fau, elle incarne Madame Durand-Bénéchol dans le succès Fleur de Cactus puis dans Peau de Vache au Théâtre Antoine ; scène qu’elle codirigera avec Laurent Ruquier et Jean-Marc Dumontet de 2011 à 2017. Cette année, elle rejoint le Théâtre Marigny où elle assure la direction artistique. En parallèle, soucieuse de la place et de la condition de la femme dans le monde, elle devient une des premières marraines de l’association Ni Putes Ni Soumises.

Madame Marguerite de Roberto Athayde
Mise en scène Anne Bouvier
Avec Stéphanie Bataille
Lumières Denis Koransky
Costumes Elisabeth Tavernier
Décors Emmanuel Charles
Production jean-Marc Dumontet
En coréalisation avec le Théâtre du Lucernaire
Actuellement au Poche Montparnasse
Du 39 mars au 30 mai 2018
du mardi au samedi à 19 heures
le dimanche à 17 h 30
75 boulevard du Montparnasse - 75014 Paris

Une famille très française de Maëlle Guillaud

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J'ai ouvert Une famille très française un soir, poussée par la curiosité, puisque j'avais tant aimé le premier roman de Maëlle GuillaudLucie ou la vocation.

Je n'avais que l'intention d'en lire quelques pages, pour me faire une idée, et décider de la place qu'il occuperait dans la PAL (Pile des livres à lire).

J'aurais voulu passer toute la nuit avec Charlotte. Mes yeux ont fini par capituler et j'ai rouvert le roman le matin suivant pour que la jeune fille accompagne mon petit déjeuner. Bravo pour ce second qui est aussi puissant que le premier, différent certes, même si je trouve des points communs.

Vous vous demandez qui est Charlotte ? C'est la jeune fille de la couverture, qui vous scrute avant de décider si elle peut ou non vous faire confiance.

Elle vit en Savoie avec des parents qu'elle adore – quoique le tempérament exubérant de sa mère, d'origine séfarade, la mette bien souvent dans des situations terriblement embarrassantes (sans parler de sa grand-mère!). Elle se surprend parfois à préférer ceux de sa meilleure amie Jane, dont l'éducation, l'élégance et la réussite l'éblouissent.
Invitée chez Jane, le rêve vire rapidement au cauchemar le jour où Bernard, le père de son amie, entraîne Charlotte dans un tragique accident. Terrorisée, elle garde le silence.
Maëlle Guillaud a conçu un livre où sont tissées plusieurs intrigues qui ne se dénoueront qu'à la toute fin. Elle amène le lecteur à prendre parti, c'est très net, pour la famille de Charlotte qui dégage une forte sympathie et une joie de vivre presque communicative. Mais en amenant le lecteur à regarder les Duchesnais avec les yeux de Charlotte, ce qui nous fait osciller sans cesse et espérer qu'il y a au moins un ange parmi les démons, Gabriel par exemple puisqu'elle lui a donné ce prénom là.

Charlotte a les complexes naturels de son âge, son corps, ses rondeurs alimentées par les pâtisseries de sa grand-mère, ses cheveux (trop) frisés. Elle idéalise Jane, sa silhouette, sa famille, et bien entendu son frère Gabriel dont elle tombera amoureuse, sans penser un seul instant qu'il y a peut-être une autre personne qui a de forts sentiments à son égard.

Charlotte est attirée par la famille très française de Jane parce que sa camarade représente la soeur qu'elle aurait voulu avoir. Et parce qu'elle suppose que les parents de son amie ne risquent pas de la mettre mal à l'aise comme le fait sa mère dont elle craint la moindre initiative. C'est que que Marcelle est jusqu'au bout des ongles la mère juive dans toute sa splendeur.

L'auteure excelle dans les descriptions tout autant que dans les dialogues qui ont la couleur des plats du Sud. On imagine très bien leur transposition sur grand écran, pourvu que le jeu des acteurs ne soit pas caricatural (le casting ne sera pas facile). Parce que c'est une des forces du roman, rien n'est excessif. La mère de Charlotte a une conception bien particulière de la vie, assumant ses contradictions, ne pouvant pas envisager un Noël sans sapin. Elle est foncièrement généreuse et aimante. Elle est juste débordante dans son amour sans voir qu'il pourrait y avoir un problème, et surtout pas de l'embarras : honte de moi qui lui a donné la vie ? (p. 32)

La jeune fille admire d'ailleurs sa mère : c'est de l'acier, elle ne plie jamais ! (p. 33) Elle adore sa grand-mère et est très proche de son père, médecin, et très soucieux de ses patients. Il est toujours amoureux fou de Marcelle, qu'il compare à une sirène (p. 29). Je recommande la scène du marché. La soirée de Pessah entre les deux familles est aussi un morceau d'anthologie (p. 48). Le père est lui aussi capable de beaucoup de fantaisie, inventant le nom d'une fête qui n'existe pas pour railler des invités trop "conformes" et qui prétendent en couinant ne pas être des sauvages, eux. On savoure régulièrement des dialogues de pure folie. Ça claque. C'est un régal. La confrontation entre les deux univers est extrêmement théâtrale.

On passe vite du rire à l'émotion. Les moments de pure angoisse que traverse Charlotte sont décrits avec beaucoup de réalisme. Elle a beau se persuader que la pensée magique calme tout, même les plus grandes angoisses (p. 155) on comprend que les ravages de la peur laissent des traces. La jeune fille ne manque pas de sujets pour alimenter ses cauchemars. Le souvenir de l'accident, évidemment, mais aussi l'attitude du père de Jane dont le comportement à son égard est tendancieux à plus d'un titre.

Ce qui est bien vu aussi, c'est comment les inquiétudes minent la conscience de Charlotte. Mentir par omission, est-ce trahir ? Elle met en cause ce qu'elle a ressenti. Pourtant elle n'a pas rêvé. (p. 28). Parce que lorsque l'incroyable nous arrive, nous n'y croyons pas. Elle ira jusqu'à douter de sa propre existence, face à son reflet dans la glace (p. 58).

Jane admire elle aussi son père : Papa, rien ne lui résiste, il obtient tout ce qu'il veut (p. 64), y compris de faire admettre son fils dans une grande école sur un simple appel téléphonique. Cet homme au sourire carnassier est le diable et elle vient de passer un pacte avec lui (p. 69) car parler de cet accident risquerait de nuire à son amie. Très vite elle est dans l'étau du conflit de loyauté entre cet homme et sa propre famille. La situation se complique encore plus lorsqu'elle connait ses premiers émois amoureux avec Gabriel, le frère de son amie.

Le regard qu'il pose sur son univers lui fait prendre conscience de sa spécificité. Jamais avant lui personne n'avait trouvé "marrant" d'accrocher des tapis aux murs ni d'avoir des arrières-grands-parents que l'on pourrait confondre avec le roi et la reine du Maroc.

Charlotte préfère se voir à travers le regard de Jane, de cette famille si française qui ne connait rien des difficultés de l'exil, de l'adaptation, rien des épreuves de la vie, elle en est persuadée. (p. 76) Elle est ensorcelée.

A ceci près qu'elle sait quand même qu'il y a une première faille, puis une autre, et peut-être une troisième. Il y aura quelques évènements qui vont éclairer sa conscience et l'amener à choisir son camp.

Adepte de la pensée magique, Charlotte répète que le diable n'apparait qu'à celui qui le craint. (p. 150). Elle ajuste constamment sa vison des choses. Cette famille si française qui la fascine depuis le premier jour est-elle un leurre ? 

Le chemin sera long jusqu'à ce que Charlotte comprenne qu'elle est comme un tapis, tissé de mille et un fils, franco-marocains, judéo-chrétiens. Si française, finalement. (p. 188)

Il faut aussi souligner la qualité d'une écriture qui ne fait pas que citer des anecdotes mais qui éclaire vraiment le lecteur sur les racines d'une tradition, ses rites et ses cérémonies ... qu'il ne faut pas assimiler à du folklore. Le roman est aussi très bien documenté, notamment sur les questions médicales et j'ai souri en lisant les remerciements à une autre auteure de l'écurie d'Héloise d'Ormesson, Lorraine Fouchet, qui fut urgentiste.  Je n'avais pas soupçonné son aide et j'étais admirative, en lisant certains passages, des connaissances de Maëlle en médecine. J'aurais pu me douter pourtant !

Maëlle Guillaud a écrit un roman, certes, mais de telles confrontations existent dans la "vraie" vie. Les mariages dit mixtes sont une richesse à condition que les protagonistes sachent faire preuve de tolérance à l'égard de la singularité, ce qui manque cruellement aux Duchesnais. Leur étroitesse d'esprit s'ajoute à la lâcheté ... à moins qu'on ne puisse pas les mettre tous les quatre dans le même panier.

Une famille très française de Maëlle Guillaud, chez Héloise d'Ormesson, en librairie le 12 avril 2018

Perrine Perez, Celle qui a dit non

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C'est avec une certaine émotion que je suis allée voir Perrine Perez puisque je savais que les Feux de la Rampe allaient fermer dans les tout prochains jours. Les quatre salles de ce théâtre accueillaient des artistes qui auront un peu de mal à faire programmer ailleurs leurs spectacles du jour au lendemain.

Si l'humoriste est un peu celle que nous voyons sur scène elle devrait rapidement rebondir. En prononçant un simple mot, "non", le jour de son mariage, son personnage s'est retrouvé sans mec (une évidence !), sans maison, sans boulot, sans argent mais ... libre !

C'est le parcours tumultueux et drôle d'une jeune femme qui prend enfin sa vie en main qu'elle nous raconte sur scène avec ce qu'il faut d'autodérision pour être d'emblée sympathique.

Ça commence bien ... avec les trompettes de la marche nuptiale de Mendelssohn  qui se reconnait aux premiers accords. Sauf que c'est plutôt la chanson de KT Tunstall (Black Horse And The Cherry Tree) qui mériterait de figurer dans la play-list de la cérémonie. Car dès que la jeune femme est invitée à s'exprimer elle lâchera un tonitruant On s'en fout qui a du plomber l'ambiance le jour J. Et générer un peu de désordre dans l'assemblée.

Elle fait défiler une galerie de personnages très typés, parmi lesquels sa grand-mère emphysémateuse au dernier stade, mais néanmoins adepte des speed-datings, un père baroudeur, une petite soeur, une mère qui a la voix de Fanny Ardant ... le tout sans aucun accessoire, si ce n'est un costume de cafard dont elle se débarrasse si vite qu'on jurerait qu'elle a suivi un stage auprès d'Arturo Brachetti.

C'est l'école du One man show, parrainée par Anne Roumanoff, qu'elle a faite, en parallèle de son travail et elle a commencé prudemment  en multipliant les scènes ouvertes. Lors d’un showcase au Feux de la Rampe, en 2015, elle rencontre Csaba Zombori, avec qui elle écrira le spectacle en s'attachant à raconter une histoire en puisant dans son propre vécu mais aussi dans les idées qu'elle note dans un carnet depuis des années. Elle peut alors lâcher un job où ce qu'elle aimait c'était plus ses collègues que le contenu de sa mission.

La morosité n'est pas de mise avec elle, bien au contraire. Ses mésaventures nous font rire et nous réjouissent. Elle démontre que dire non revient à dire oui ... à tout le reste.

Son rapport au public semble couler de source. Elle parle vite, change de voix avec une apparente facilité mais elle ne perd pas de vue chaque spectateur avec qui elle est capable d'interagir. A la toute fin du spectacle, manifestemetn émue, c'est elle qui nous filme avec son portable pour immortaliser l'instant.

Souhaitons à cette enfant des Feux de la rampe d'être sollicitée très vite par une autre scène. Un talent comme le sien ne doit pas rester caché très longtemps. D'ici là nous la suivrons sur les réseaux sociaux.
Celle qui a dit non
Ecrit par Csaba Zombori et Perrine Perez
Mis en scène par Csaba Zombori
Avec Perrine Perez
Au Théâtre les Feux de la Rampe, 34 rue Richer 75009 Paris
Tous les vendredis à 21h30
(en attente d'un accueil dans une autre salle)

Une vie choisie de Marc Simoncini

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L'autobiographie est un genre littéraire malaisée et qui, c'est une évidence, dépend de l'originalité de la vie qui est racontée. En cela celle de Marc Simoncini est un vrai tourbillon.

La première moitié d'Une vie choisie est un vrai régal de lecture parce qu'il raconte ses péripéties avec beaucoup de verve. On pourrait presque songer qu'il les minimise tant elles sont fortes et susceptibles de sembler "exagérées".

Il le reconnait volontiers : j’ai trop d’idées, je vais trop vite, je ne suis pas concentré, pas efficace et pas organisé.

C'est précisément le propre du créatif que d'avoir une pensée qui fuse dans toutes les directions. Il en est l'incarnation parfaite. Sa trajectoire professionnelle est emblématique de son tempérament, en premier lieu de son énergie et de son courage.

L'homme estime avoir eu de la chance, mais celle-ci n'est pas arrivée par hasard. Le lecteur sera bluffé surtout par la quantité de travail dont il a fait preuve en toutes circonstances. Ce n'est pas quelqu'un qui se repose sur ses lauriers.

Pourtant il en a eu. Beaucoup s'en seraient satisfaits et aurait été tentés de prendre leur retraite bien avant l'âge habituel. Il raconte tout, la sortie un peu rapide du système scolaire, les chantiers de travaux publics où il commence à travailler, la salle de billard où il installe ses premiers bureaux, l’aventure Minitel, de 3615 GAY à Meetic, la création de iFrance, le rachat de son principal concurrent. On peine parfois à le suivre. Il y a matière à transformer ses confidences en un long métrage. On ne peut qu'être admiratif d'un tel parcours.

Avoir eu l'idée de créer un site de rencontres payant alors qu’internet était encore le royaume du gratuit relevait du génie parce qu'il avait analysé la problématique, ce besoin de sécurité que les autres sites n'offraient pas, et surtout cerné le potentiel à développer. L'immense succès de Meetic fut au rendez-vous. On ne soupçonne pas toute la logistique humaine qui est derrière pour déjouer les ruses des fakes (les faux profils) et les percées des prostitué(e)s.

Marc Simoncini semble ne jamais s'arrêter. Il a également créé sa maison de production (Reborn Production) et développé une marque française de vélos très haut de gamme (Heroïn). Loin d'être égoïste, ce chef d'entreprise soutient activement les jeunes, à travers son fonds d'investissements Jaïna et l'École Européenne des Métiers de l'Internet (EEMI) qu'il a ouverte en septembre 2011 avec Jacques-Antoine Granjon (Vente-privee.com) et Xavier Niel (Free). Il a annoncé qu'il fera don de l’intégralité des sommes résultant de l’exploitation de son livre à https://epic.foundation (ni .fr, ni .com).

Si la première partie se lit facilement, les montages financiers qu'il évoque dans la seconde sont, de mon point de vue, moins passionnants. Sa vie quitte le domaine du choix pour entrer dans celui de l'obligation, à toujours plus, toujours mieux ... même si on devine que Marc ne perd pas ses qualités humaines.

A l'instar de Perrine Perez dont je présentais le spectacle hier, le témoignage de Marc Simoncini est une leçon pour les jeunes, prouvant qu'il est possible de se construire en se fiant à ses intuitions (pourvu qu'elles soient les bonnes et qu'on ait tout de même soit le soutien d'une banque, soit celui de sa famille). Tout le monde n'est pas pour autant capable de supporter la frénésie des roadshows pour lever des fonds et d'enchainer des nuits sans dormir pour boucler les négociations.

Il rend aussi régulièrement hommage à sa compagne qui a certainement joué un rôle fondamental auprès de lui. Son récit a valeur d'exemple ... et d'encouragement au travail aussi.

Une vie choisie de Marc Simoncini, chez Grasset, en librairie depuis le 7 mars 2018
Livre chroniqué dans le cadre d'une Masse critique de Babelio que je remercie.

Le Cercle de Whitechapel

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Le Cercle de Whitechapel pourrait être une tragédie tant les faits qui ont eu lieu dans le Londres de la fin du XIX° siècle ont été sanglants. Mais c'est une comédie policière que Julien Lefebvre a choisi d'écrire en faisant intervenir quelques personnages emblématiques de la scène littéraire.

Je me suis dit dans les cinq dernières minutes que bon sang, c'était bien sûr, en comprenant qui était le criminel mais ne comptez pas sur moi pour vous le révéler.

Il vous semblera peut-être absurde que je parle du spectacle ici puisque la série des représentations parisiennes s'achève aujourd'hui mais Paris n'est pas la France. Le spectacle a le potentiel pour faire une belle tournée ou être repris la saison prochaine. Scrutez les programmes : le Cercle n'est pas mort !

Le décor imaginé par Margaux Van Den Plas et Corentin Richard reconstitue un atelier d'artiste londonien, propice à une certaine angoisse avec ses caisses renversées et des vitres opaques laissant entrevoir quelques ombres, devant un austère mur de briques. Les costumes créés par Axel Boursier sont parfait de réalisme.
Il est 23 heures, Arthur Conan Doyle (Ludovic Laroche) est le premier sur les lieux. Ce n'est pas encore le célébrissime auteur de romans policiers. Il exerce encore la médecine mais son esprit affuté est sollicité pour déméler une énigme que va soumettre un certain Sir Herbert Gréville (Pierre-Arnaud Juin) à un aréopage de fortes personnalités. Parmi elles, une femme (ça je peux vous le dire) qui s'avèrera lui être très liée, Mary Lawson (Stéphanie Bassibey) qui ambitionne de devenir la première femme médecin d'Angleterre. Ajoutons Bram Stoker (Jérôme Paquatte), administrateur d’un théâtre prestigieux, qui n'a pas encore écrit Dracula mais qui se passionne déjà pour l’hypnose et l’au-delà. Et Georges-Bernard Shaw (Nicolas Saint-Georges), brillant journaliste, futur Prix Nobel et auteur à succès. Son humour sarcastique apportera du piment à la résolution de l'enquête.

Celle-ci est complexe : sans aveux ni témoins il n'y a pas de crime. Pourtant les morts se multiplient.

La situation est inédite : un tueur d'une nouvelle sorte appelle un nouveau genre d'enquêteur. Et l'auteur justifie ainsi son parti-pris. Il fait vivre au public une sorte de reconstitution pleine de rebondissements, ponctuée de scènes tragiques, comiques, pittoresques ... associant intelligemment tous les ingrédients de la comédie.

On assiste aussi à une passe d'armes très réaliste et impressionnante. C'est le but. Mais comme Rien n'est impressionnant quand on a détruit les illusions ce n'est qu'à la toute fin que nous comprendrons qu'on nous a peut-être menés en bateau. Le voyage fut si beau qu'on approuve et qu'on ressort du théâtre avec le sentiment d'appartenir désormais à ce Cercle qui ne révélera que son plaisir du théâtre.
Le Cercle de Whitechapel de Julien Lefebvre
Mis en scène par Jean-Laurent Silvi
Avec Jérôme Paquatte (Bram Stocker), Nicolas Saint-Georges (George Bernard Shaw), Ludovic Laroche (Arthur Conan Doyle), Pierre-Arnaud Juin (Sir Herbert Greville), Stéphanie Bassibey (Mary Lawson)
Décors de Margaux Van Den Plas et Corentin Richard
Costumes d'Axel Boursier
Musiques d'Hervé Devolder
Du 31 janvier au 15 avril 2018
Du mardi au samedi à 21 heures
le dimanche à 18 heures
Au Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris

La petite sirène de la Compagnie Parciparla

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Les enfants aussi méritent d'aller au théâtre. J'avais beaucoup apprécié, déjà au Lucernaire, Le Petit Poilu illustré aux dernières vacances. Profitez de celles-ci pour les emmener voir La Petite Sirène, inspiré du conte de Hans Christian Andersen.

La Compagnie Parciparla n'a pas lésiné sur les costumes ni sur les personnages. Cinq comédiens interprètent une douzaine de rôles avec des tenues très marquées et des voix typées de manière à faciliter le repérage par le jeune public.

Ils interviennent tout de suite en s’adressant aux grands, afin de leur rappeler d'éteindre les portables, et aux petits : si on veux parler on attend la fin du spectacle. Êtes-vous venus avec vos yeux ? Vos oreilles ? Votre cœur ?

J’espère que vous aimez le poisson, ajoute le comédien avec malice.

Il y a 181 ans, un homme, Hans Christian Andersen a écrit Den Lille Havfrue, autrement dit la petite sirène, que la compagnie rebaptise Siriella. Leur texte est une vraie adaptation, jouant allègrement avec les mots tant pour les noms des personnages, la grand-mère devient Grandmarée, que dans les dialogues : c’est du bulot, on l'attend de nageoire ferme, on se réunit pour un concile à bulles ... Ce n'est pas à 5 ans que l'on décryptera cet humour mais les adultes apprécieront.

Les comédiens communiquent une belle joie de vivre. Certaines entrées sont très réussies, notamment lorqu'intervient la méduse. Les pas de danse sont entrainants. Le parti-pris de mise en scène fait quasiment l'impasse sur le décor mais pas sur les accessoires, ce qui installe bien l'univers sous-marin.

Les principaux thèmes du conte sont traités avec modernité, La curiosité de l’ailleurs, l’acceptation de sa différence, la combativité, la quête de l’amour, les concessions que l'on serait prêt à faire pour réaliser son rêve ...

On félicite Freddy Viau d'avoir présenté une héroïne aventurière, combative et entêtée. La troupe parvient à finir sur une note optimiste pour ne pas heurter la sensibilité enfantine : Siriella a l’éternité pour continuer à aimer alors ce n’est pas triste.

A voir en famille, en poursuivant par la lecture du conte original et d'autres grands classiques de l'auteur danois (Le vilain petit canard, Les habits neufs de l'empereur ...).
La petite sirène
Adapté et mis en scène par Freddy Viau
Avec Clémence Viandier ou Éloïse Bloch (Siriella), Emma Darmon ou Laetitia Richard (Ligie, la soeur, la sorcière, la femme du pêcheur), Angélique Fridblatt ou Marie-Béatrice Dardenne (Grandmarée, Aglaopée la soeur, le marin), James Groguelin ou Alexandre Cattez (le prince, un garde), Romain Ogerau ou Régis Chaussard (le roi de la mer, Zigotti, le pêcheur)
Du 17 février au 6 mai 2018
Les mercredi et samedi à 15 heures, Dimanche à 11 heures
Pendant les vacances scolaires, du mardi au samedi à 15 heures, et toujours le dimanche à 11 heures
A partir de 5 ans au Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris

Accords mets-vins Lamothe-Bergeron

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Thierry Dufroux, le chef du Bistrot Belhara, avait préparé un déjeuner "sur mesure" autour des vins du Château Lamothe Bergeron, classé Cru Bourgeois en 1932, en compagnie de Laurent Mery qui est le Directeur Général du Domaine.

Le consommateur est de plus en plus sensible à la manière dont s'effectue le travail de la vigne. Sans nécessairement exiger une certification bio, il sera plus enclin à se tourner vers des vignobles qui pratiquent la culture raisonnée et qui communiquent sur leur pratique.

Il n'est pas suffisant de dire que tous les vins sont AOC Haut-médoc. Au château on annonce une taille Guyot double, l'ébourgeonnage, un enherbement adapté à chaque parcelle, l'effeuillage, des vendanges en vert. Les vendanges sont mécaniques mais la sélection est  manuelle sur table de tri. On explique que la fermentation s'effectue en cuves inox thermorégulées suivie d'un élevage de 12 à 18 mois en barrique de chêne 100% français, dont un tiers de bois neuf, origine Allier.

Il pourra aussi privilégier des domaines qui ont réfléchi aussi en terme d’œnotourisme. Ainsi un parcours initiatique a été créé à Cussac-Fort-Médoc, à quelques centaines de mètres de l'estuaire de la Gironde, avec des offres de produits réfléchies pour les familles, le jeune public, les amateurs ou les connaisseurs confirmés.
Depuis juillet 2015, le château ouvre ses portes. Il dispose désormais d’un espace de réception, d’une salle de séminaire, de quatre chambres, de bureaux, d’un office, d’une salle de dégustation et d’une boutique. Un parcours de visite basé sur de la scénographie a été créé et récompensé quelques mois plus tard aux Best Of Wine Tourism.  Avant le moment attendu de la dégustation le visiteur fera une escale nature dans un observatoire à oiseaux, où il se se laissera porter par son imaginaire pour découvrir tout simplement le vignoble de la propriété, son terroir, ses vignes...
A défaut de nous rendre sur place nous avons accompagné une planche de charcuteries avec un fond du délicat mais prometteur 2017 défini par des conditions climatiques particulières. Un hiver et un début de printemps historiquement doux a eu pour conséquence un débourrement très précoce de la vigne. Sa croissance a été très rapide en avril. Le gel de la fin du mois mit un coup de frein à l'évolution. par chance la floraison fut rapide et homogène, avec des averses salutaires en mai. L'été fut chaud et sec, favorisant une véraison rapide puis une bonne évolution de la maturité des grappes jusqu'aux vendanges. Les vins sont équilibrés, colorés et fruités, avec des arômes de fruits rouges très présents et plaisants.

Pour suivre nous avons apprécié combien le Haut Médoc pouvait s'accorder avec une cuisine un peu plus typée Sud-ouest, comme une Crème de maïs, chorizo de chez Maïté, morilles, coriandre fraiche. Avec cette fois le 2015, un millésime élégant et aérien.
On remonte deux ans en arrière avec un 2013 pour accompagner une Fricassée gourmande-céleri boule-chistorra-pied de cochon-jambon de Bayonne et poulpe de roche. La météo enchaina les caprices qui ont mis à rude épreuve le travail de la vigne. Ce millésime n'est pas annoncé comme exceptionnel (la récolte de Merlot a été faible) mais l'élevage a permis de préserver la finesse et la rondeur des tannins pour le rendre à la fois gourmand et vivace. Il connaitra probablement son apogée dans 5 ans.
C'est 2014 qui a été choisi pour l'Epaule de veau cuisinée confite 7 heures avec oignons rouges, pommes de terre cacaotées, anchois Cantabrique. Ce millésime développe une large palette d'arômes. Le poivre blanc surprend le nez, précédent une bouche suave et des tannins fondus. L'accord avec le plat est réussi, la viande étant elle-même ultra fondante. La touche cacaotée, qui ne me surprend pas parce que je connais ce type de recette pour l'avoir expérimentée cet été au Mexique, est tout à fait à propos.
En dessert le chef a servi sa spécialité, le Soufflé léger cuit à la minute, dont il varie le parfum. Ce fut aujourd'hui Grand-Marnier. L'appareil est versé sur un disque de biscuit imbibé d'alcool. C'est une fin de repas sublime.
Le Bistrot Belhara fait partie de ces restaurants qui, à l'instar du Château Lamothe-Bergeron ne masque pas son travail. Les produits utilisés et les noms des fournisseurs sont encadrés sur le bar, et tout un chacun peut s'emparer de la liste pour connaitre les provenances.
Le vignoble du domaine s’étend aujourd’hui sur 67 hectares et bénéficie d’un terroir de graves garonnaises. Le suivi du vignoble, planté en cépages traditionnels du Médoc ; Cabernet Sauvignon, Merlot, Cabernet Franc et Petit Verdot ainsi que les vinifications sont assurés en étroite collaboration avec Hubert de Boüard de Laforest, œnologue-conseil.
Aujourd'hui, comme l'a très bien compris Laurent Mery, l’excellence et le raffinement ne suffisent plus à garantir la commercialisation des vins. L'histoire du domaine s'appuie sur les innovations impulsées par Jacques de Bergeron, qui fut conseiller au Parlement de Bordeaux jusqu’en 1790, date de sa dissolution.

Suite à cette carrière politique, il s'est livré à des expérimentations et a rédigé des essais sur la culture de la vigne, les engrais, la lutte contre les dunes, les insectes, l’utilisation de l’acacia pour la fabrication des carassons ou encore la plantation d’arbres exotiques. Il a publié en 1796 une technique de greffe pour la vigne, qui porte toujours le nom de "méthode Bergeron".

Le château est ouvert 7 jours sur 7 en saison (d’avril à octobre) et du lundi au vendredi le reste de l’année. Les visites sont payantes (à partir de 8€ par personne) et peuvent être complétées par des activités gourmandes (ateliers vins et macarons, panier pique-nique...). La preuve est faite qu'un château peut ambitionner de devenir une référence et une étape de séjour pour les amoureux du vin.

Le château Lamothe-Bergeron
49 chemin des Graves – 33460 Cussac-Fort-Médoc Tél : +33 (0)5 56 58 94 77

Bistrot Belhara
23, Rue Duvivier, 75007 Paris - 01 45 51 41 77

L'être ou ne pas l'être par Les Voyageurs Sans Bagage

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Un spectacle réussi sans aucun décor, c'est ce que démontre la dynamique troupe des Voyageurs Sans Bagage qui ne s'encombrent quasiment pas davantage d'accessoires. Par contre les costumes d'Anaïs Tossings sont inventifs et comptent pour beaucoup dans la crédibilité des personnages.

Comment ne pas penser à Shakespeare en découvrant le titre, L'être ou ne pas l'être. la référence est intentionnelle. la pièce démarre par une tirade de Richard III, seul en scène, dont on se demande s'il est sérieux ou non. Le comédien (Rachid Hirchi qui est également l’un des fondateurs de la compagnie), estropié, touchant, s'adresse au public, captant le plus de regards possible.

C'est un dictateur avide de pouvoir, prêt à tout pour arriver à ses fins. Soudainement assoiffé d’honorabilité littéraire, le tyran décide d’enfermer son créateur (Shakespeare) jusqu'à ce que celui-ci réécrive son histoire. Heureusement l'écrivain peut compter sur l’aide d’autres personnages dont Lady Anne, cheffe des révolutionnaires ainsi qu’Hamlet et Mercutio pour mettre en place un plan pour le faire libérer. Au même moment, Juliette est recueillie et adoptée par Richard III qui n’est pas indifférent à ses charmes. Le beau Roméo quant à lui, revient d’un long voyage au Japon sensé lui faire oublier son amour perdu, Rosaline.
Les postures déclenchent autant de rires que les formules dont l'humour est un mix de références culturelles, théâtrales ou empruntées à l'univers de la pop, également de détournements, d'anachronismes, jeux de mots et néologismes :
14 heures, ... drôle d'heure pour une rencontre
 ça va chier, je fais du standhuppe
on ne fait pas d'amelette sans casser des oeufs
Harry Plotteur
je jugule, je suis jugulateur précoce
ou t'es papa où t'es ? (on pense à un autre belge, Stromae)
Le rythme ne connait pas de temps mort. Les comédiens dansent en s'inspirant d'une chorégraphie de Mickaël Jackson sous la direction de Valérie Cornélis. Quand le personnage de Shakespeare regarde un film, ce ne peut être que Shakespeare in love, ... évidemment.
À travers les grands thèmes qu’il aborde, l’amour, la loyauté, la trahison, la quête de pouvoir ou encore la manipulation, ce spectacle moderne démontre l’intemporalité de l’oeuvre de Shakespeare.

Catesby, le fidèle serviteur de Richard III est interprété par Mohamed Ouachen qui est un comédien déjà célèbre sur la scène culturelle belge. Jeune actrice du Conservatoire royal de Bruxelles, Anaïs Tossings a participé à de nombreuses productions théâtrales. Elle interprète un personnage clé de la pièce, Lady Anne et signe les costumes. Véritable touche-à-tout, Barbara Borguet est Juliette, l’héroïne emblématique de l’histoire d’amour la plus célèbre du monde. Acteur en Tunisie et humoriste en France, Nidhal Saadi a été découvert lors de l’émission "On ne demande qu’à en rire" avant de partager la scène de l’Olympia avec Guy Bedos et Michel Boujenah et de prendre ici le costume d'Hamlet.

Shakespeare est Martin Goossens, également membre du collectif Arbatache. Ophélie est jouée par Nihale Touati, sortie du Conservatoire royal de Bruxelles. Yassin El Achouchi est monté pour la première fois sur scène dans le cadre d'un projet proposant à des pères de famille des quartiers du centre de Bruxelles d’endosser le rôle de comédien avec pour mission d’exprimer leurs messages à leurs enfants. Il est Mercutio, l’un des plus proches amis de Roméo. Comédien, auteur et réalisateur, Fionn Perry a suivi des études de cinématographie et a déjà réalisé plusieurs projets de web-séries 

Le spectacle plait. La force des applaudissements à chaque tombée de rideau est un signe qui ne trompe pas. Jusqu'au final, très inventif.

Mohamed Allouchi est éducateur de rue. Son objectif de départ a été de faire du théâtre pour tous, populaire et de qualité en utilisant l'humour comme arme de rassemblement massif, pour lutter contre les inégalités. Il a fondé une troupe en se nourrissant de la force des différences et de la complémentarité des membres de l'équipe.  On comprend la capacité des Voyageurs sans bagageà rassembler un public cosmopolite, abonné comme néophyte, provenant de diverses classes sociales et de toutes les origines.

Leur ambition est aussi d'attirer la jeunesse au théâtre, d'où le soin qu'ils apportent dans l'écriture des dialogues et leur projet de poursuivre l'aventure en adaptant pour le cinéma leur première spectacle, créé il y a huit ans,  "La vie c’est comme un arbre".
L'être ou ne pas l'être
Ecrit et mis en scène par Mohamed et Oussamah Allouchi
Avec Yassin El Achouchi, Barbara Borguet, Martin Goossens, Rachid Hirchi, Mohamed Ouachen, Fionn Perry, Nidhal Saadi, Anaïs Tossings et Nihale Touati.
Costumes : Anaïs Tossings
Sons et lumières : Denis Longree Chorégraphies : Valérie Cornelis
En coproduction avec l’Espace Magh
Au Grand Point Virgule
Du 14 au 22 Avril 2018
Et cet été en Avignon

Patrick et ses fantômes au Casino de Paris

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Patrick Poivre d’Arvor n'aime pas que la littérature. Il est aussi féru de musique et invite le public à partager ses airs préférés, le temps d'une soirée dans le salon d'une suite d'un grand hôtel canadien

La musique aurait un tel pouvoir que les notes seraient capables de ressusciter un moment leur créateur. C'est le point de départ du scénario imaginé par Jean-Claude Dumesnil, écrit par Normand Chaurette (dont j'avais beaucoup apprécié Les Reines).

Je n'aime pas beaucoup ce terme de fantômes parce qu'il n'a pas une connotation très positive. Il me semble que le terme d'invité ou d'ami auraient mieux convenu. Quoiqu'il en soit le résultat est sympathique et pédagogique.

L'orchestre de 24 musiciens est excellent, ce qui n'est pas la moindre des qualités du spectacle. C'est même essentiel. Et les cinq comédiens, Patrick inclus, sont dans le ton qui convient même s'il est tout à fait regrettable qu'on ait sonorisé leur voix, nuisant au naturel qui aurait prévalu dans l'intimité d'un salon. Le réglage des micros est une opération délicate et trop souvent la conversation semblait sortir d'un tunnel. Par contre la musique a été admirablement jouée toute la soirée.
Le spectateur remarque sans surprise plusieurs piles de livres sur la scène et en découvre davantage une fois le rideau rouge levé. Patrick Poivre d’Arvor est installé dans un fauteuil, écoutant de la musique quand un oiseau géant lui apparait brusquement.

Il s'agit de Papageno l'oiseleur de "La flûte enchantée" de Mozart qui, ... le scénario est cousu de fil blanc, offrira une flute à l'écrivain qui saura par magie l'employer pour faire revenir du passé ses compositeurs préférés en jouant les premières notes de la "Symphonie Pastorale" de Beethoven.

Le premier sera Bach, surpris d'être d'être encore tant connu et apprécié si longtemps après sa mort. La musique de cet homme au nom prédestiné (signifiant petit ruisseau) coule comme une source intarissable, jaillissant impétueusement sur la roche.

Mozart ne tardera pas à le rejoindre et, ce qui est bien conçu dans cette approche, c'est la manière dont les dialogues se nouent entre tous les protagonistes. Nous aurions pu les voir surgir successivement et indépendamment. L'auteur a choisi de les faire dialoguer, qui plus est avec humour.

Dans la seconde partie ce seront majoritairement Beethoven puis Satie qui seront à l'honneur. Normand Chaurette reprend des anecdotes connues comme celle de l'araignée qui aurait été la meilleure amie du compositeur allemand. Il fait allusion à la jalousie qui l'opposait à Rossini (qui cependant est absent physiquement de la soirée).

Les échanges sont brefs mais précis, pédagogiques sans être donneurs de leçon. Quelques rares morceaux sont resitués dans leur contexte, comme la "Symphonie héroïque" inspirée de la vie de Bonaparte (avant qu'il ne devienne le tyran que l'on connait) et composée à la demande de Bernadote.

Le public apprécie en toute logique et chante de bon coeur la la laà la demande de Patrick.

On peut néanmoins regretter que la musique du XX° siècle ait si peu été représentée ce soir. Nous avons à peine entendu Bartok, Boulez ou Messian, préférant sans doute un choix plus consensuel avec Satie qui préconisait d'entendre la musique avec son coeur. Il est néanmoins juste de nous rappeler que la misère lui inspira une "Messe des pauvres".

Au cours de la soirée nos oreilles auront été enchantées par des airs plutôt connus, si bien que les titres des morceaux n'étaient pas systématiquement annoncés (et leur liste ne figure malheureusement pas dans le programme). Outre ceux précédemment évoqués il y eut des morceaux plus ou moins célèbres : Jésus que ma joie demeure, l'air de la reine de la Nuit, Don Giovanni, la Traviata de Verdi, une valse extraite de La Chauve Souris de Johann Strauss, une sonate pour piano de Beethoven, quelques mesures de l'inévitable 5ème Symphonie, une Gymnopédie, La Sonatine bureaucratique pour piano d'Erik Satie, qui parodie la Sonatine op. 36 n° 1 de Muzio Clementi, et bien d'autres encore ...

Il ne fait pas de doute que les musiciens sont éternels. Et qu'un tel spectacle peut se partager en famille tant il est accessible à tous les âges. On se surprend même en partant à rêver à une suite ...
Patrick et ses fantômes
Spectacle écrit par Normand Chaurette
Sur une idée originale de Jean-Claude Dumesnil
Mis en scène par Normand Chouinard
Direction musicale de Jean-Pascal Hamelin
Avec Patrick Poivre d’Arvor, Vincent Bilodeau (Bach), André Robitaille (Mozart / Papageno), Sylvain Massé (Beethoven), Gilbert Lachance (Erik Satie)
Du 17 avril au 13 mai 2018
Du mercredi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 15 heures
Au Casino de Paris
16, rue de Clichy
75009 Paris
Tel : 08 92 69 89 26
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