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L'attrape-souci de Catherine Faye

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2001 a marqué les esprits à cause de l’explosion des tours jumelles. Mais il a pu se passer bien d'autres événements terribles. Pour moi c’est l’année du premier infarctus de mon père. Pour Lucien c’est la perte de sa mère. J’écris perte et non pas mort parce que c’est le mot juste.

Dans la librairie de Buenos Aires où il entre avec sa mère, il est captivé par de mystérieuses petites boîtes jaunes renfermant de minuscules poupées que sa mère lui présente comme attrape-souci. Selon une légende, si on leur confie ses soucis avant de s’endormir, le lendemain, ils se sont envolés. Alors qu'il hésite entre plusieurs boites, c’est sa mère qui s’est envolée. Disparue. Lucien part à sa recherche. Se perd. Les vrais soucis commencent.

Au fil de ses errances, rebaptisé Lucio par ses compagnons de route, il fait des rencontres singulières. Cartonniers, prostituées, gamins des rues avec qui il se lie, un temps.

Nous allons partager sa vie trois ans durant et suivre l'enquête qu'il mène cahin-caha mais avec détermination sans faille pour retrouver sa mère. C'est un livre qu'on ne lâche pas. Le gamin est sérieux mais c'est encore un enfant. Le talent de Catherine Faye est de nous ouvrir sa tête et son cœur. Chaque scène se déroule devant nous comme si nous étions là-bas, dans ce bout du monde où il serait faux de croire qu’il n’y a plus rien

Ce roman est riche, exotique, envoûtant. Il explose de couleurs et d’odeurs. Les personnages sont extrêmes et pourtant l'auteure les rend cohérents. Commençons par la mère, qui n'aura pas transmis à son fils que des incertitudes. La vie a du joli tu sais, lui avait-elle dit un jour. Sans rien ajouter. Venant d'elle, une phrase douce, c'était une prouesse, alors il fallait s'en satisfaire. (p. 125)

Le parcours de Lucien est difficile mais il y aura des rencontres providentielles qui contrebalanceront des départs. Il saura partager avec le lecteur tous les jolis moments, rendant la pauvreté joyeuse, capable de jongler avec des balles et des bouteilles en plastique pour gagner le minimum qui lui permettra de tenir encore un peu.

Catherine Faye a monté une fiction purement incroyable dont on ne perd pas une ligne tant elle est captivante. Le gamin a une personnalité façonnée par une capacité de résilience qui n'est pas tout à fait celle que Boris Cyrulnik a pointée. Pour ce (grand) psychiatre recevoir de l'amour, de qui que ce soit, peut permettre de réparer des blessures d'enfance.

Ce qui est prodigieux dans le tempérament de Lucien c'est qu'on a le sentiment qu'il est naturellement résilient. Il s'est trouvé une technique pour chasser les idées noires, des raconte-à-moi dont il nous donne le secret (p. 219). Ce gamin français, le petit negrito parisien, devenu argentin par nécessité, n’a que onze ans et déjà une intense capacité d'empathie pour tous les personnages extravagants dont il croise la route.

A la moitié du livre les aventures sont loin d'être terminées comme en témoignent des bribes de cauchemars récurrents. Mais Lucien arrive (p. 148) dans la jardinerie foisonnante d'Arrigo qui se laisse deviner sur la couverture. C'est son métier de faire pousser les graines et aucune n'est mauvaise. L'enfant qui a grandi sans père va rencontrer un homme et une femme (mystérieuse Adela) qui l'aideront à se construire et surtout à ne pas devenir, une fois grand, l’esclave d’un autre (p. 266).

Peux-t-on effacer le passé, ...  gommer un enfant ? On saura très tard le fin mot de la tragédie qui a poussé sa mère à l’abandon. On évitera de la juger parce que rien n'est tout blanc ou tout noir. Une femme qui dit à son enfant Porte-toi bonheur. Et attrape ta vie (p. 288) est-elle foncièrement mauvaise ?

Dale, approuverait Lucien ...

Catherine Faye, journaliste indépendante, a passé son enfance à l’étranger, notamment en Argentine. Dans ses récits, ce sont les parcours atypiques, les histoires de vies qui la guident. L’Attrape-souci est son premier roman.
L'attrape-souci de Catherine Faye, Mazarine, janvier 2018
Repéré par les 68 premières fois, c'est le premier de la sélection de l'hiver 2018 que je chronique.

Le petit Poilu illustré

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Beaucoup d'enfants sont venus. Le premier rang leur est réservé. La représentation est très familiale et c'est réjouissant de constater que l'Histoire est un intérêt capable de remplir une salle. Peut-être aussi la réputation du Petit Poilu illustré y est pour beaucoup parce que franchement le spectacle mérite le Prix d'excellence.

Ferdinand (à gauche sur la photo) et Paul ont pour mission de revenir sur terre pour raconter la Grande Guerre (j'ai cru entendre le mot galère), celle de 14-18, en étant drôles.

Une force surnaturelle les fait redescendre sur terre, en costume d'époque, dans une chambre d'enfants encombrée de jouets ... qu'ils vont judicieusement utiliser pour mimer les actions les plus caractéristiques de cette catastrophe dont ils vont rappeler les chiffres accablants : 970 000 morts militaires, huit millions de civils, quarante si on inclut les blessés. Rien n'est comparable au séisme de cette Première Guerre mondiale.

On oublie trop l'ampleur de ces données. Il faut dire que la création du Mémorial de Falaiseà la mémoire des victimes civiles de toutes les guerres n'a que deux ans d'existence.

Nos deux loustics ont fait du cabaret avant la guerre. Ils connaissent les ficelles pour faire rire, que ce soit le comique de répétition comme celui de la pantomine. Pour le moment ils commenceront en musique, l’un à la trompette, le second à l’accordéon avec une polka plutôt festive. C'est que nos soldats étaient partis joyeusement, avec la fleur au fusil pour certains, pour se mesurer aux Boches, comme on disait alors ... nos ennemis de l'époque. Ils font bien de le préciser.
Ils découpent l'histoire en chapitres dont le premier concerne les causes de la guerre. La vie était douce pour la population et l’époque heureuse à l’été 1914. Les deux compères se boxent dans le parc  pour enfants pour mimer les querelles entre les pays de la Triple Entente s'opposant contre ceux de la Triple Alliance puis cherchant une raison qui semblerait légitime pour déclarer la guerre (qu'ils se feront plus tard sur un plateau d'échecs avec des figurines). La jalousie autour de la possession de l’Alsace Lorraine est le prétexte et c’est une poupée qui représente symboliquement la région volée ou perdue selon qu’on adopte le point de vue de l’Allemagne, par le comédien en casque à pointe, ou celui de la France par celui qui porte haut-de-forme.
La mobilisation générale va offrir des mois de vacances gratuites nous dit un militaire avec un humour corrosif alors que retentit l'ouverture de l'opéra de Guillaume Tell. les soldats, joyeux d'en découdre avec l'ennemi entonnent avec enthousiasme la victoire en chantant. Ils partent en train en agitant les drapeaux.

On apprend ou on révise ce que l'on sait déjà : l'armement en fusil Lebel, robuste, fiable et précis mais qui pouvait avoir des enrayements s'il était mal utilisé. Et surtout l'équipement en pantalon rouge qui faisait des soldats des cibles idéales.

La vie n'est pas joyeuse sous 30 kg de paquetage à trimbaler sur 50 km. Pourtant la bataille de la Marne se déploie sur la musique d’Ivanohé. Entre le 45 et le 12 septembre 1914 on enregistre 256000 pertes allemandes, 227 000 du côté des forces françaises et 37 000 chez les britanniques que l’on oublie trop souvent. La France a "gagné" et je suis mort, dit Paul. Bien sûr puisqu'il portait un pantalon rouge. Les enfants parmi le public rient de cette bêtise purement "incroyable".

Ensuite ? ... On a creusé des tranchées, ... comme les allemands. La musique suit le mouvement. C'est le rap des terrassiers, qui témoigne de la difficulté de creuser dans la boue. Cherche son chat, qu'il appelle Mitzi ou Minou, selon le coté où il se trouve. Les petits chats sont morts ...

Les comédiens fredonnent Douce nuit (les enfants rient sans comprendre). Des voix se répondent, criant Joyeux Noël, proposant du chocolat. Les adultes savent que la trêve malheureusement n'aura pas l'aboutissement espéré. Le film de Christian Carion, sorti en 2005, le démontre douloureusement et devrait être au programme des collèges.

Les militaires, bien planqués loin du Front voulait gagner des batailles. La paix ne les intéressait pas. Joffre n'a pas apprécié. Il a exigé le barbelé dans le no man's land. la guerre s'éternise. Nous sommes tous condamnés, tous sacrifiés. Il faut aller plus vite, plus loin, plus fort.

L'émotion est palpable derrière les rires qui ne sont alors que des sourires. Le fil des évènements continue de se dérouler jusqu'aux adieux, sous le drapeau déployé. Le traité de paix est signé le 28 juin 19 à Versailles.

L'ultime message des deux poilus avant de réintégrer leur place au paradis sera : Ne nous oubliez pas, après avoir érigé leur monument (funéraire) à la gloire des poilus et joué un dernier air d'accordéon. Qui sait que le dernier combattant de cette grande et terrible guerre a disparu en 2011 ? Mon grand-père était l'un d'entre eux et il ne voulait jamais en parler. Le traumatisme était trop fort.
Le travail de mise en scène, d'éclairages (souvent astucieusement avec des spots bleu, blanc, rouge) ... tout est soigné, juste, émouvant sans être larmoyant, drôle sans verser dans le caustique ou l'irrévérencieux, faisant la juste palce à l'humain comme à l'absurde. C'est le seul spectacle jeune public labelisé et recommandé par la Mission du Centenaire de la Grande Guerre.
Ce petit bijou, facile à comprendre, rassemble un large public à partir de 7 ans. J'ai vu dans la salle de très jeunes lecteurs si passionnés qu'ils étaient venus avec leurs munitions pour tromper l'attente.
Après plus de 220 représentations à Paris et en province, le spectacle est installé au Lucernaire jusqu'au 24 mars 2018. Par chance une longue tournée est déjà annoncée sur le site de la compagnie.

Le petit Poilu illustré
La Grande Guerre racontée aux plus jeunes
D’Alexandre Letondeur
Mise en scène : Ned Grujic
Avec : Alexandre Letondeur et Romain Puyuelo
Mise en Lumière Mathilde Mottier et François Vila
Du 17 janvier au 24 mars, les mercredi et samedi à 14h30
Et pendant les vacances scolaires (du mardi 20 février au 4 mars) à 14h30 et les dimanche à 14h00
Au Théâtre du Lucernaire (salle rouge)
53 rue Notre-Dame des Champs - 75006 Paris

Papa va bientôt rentrer

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Encore une histoire inspirée par une guerre. Ce n'est plus la Première Guerre mondiale comme avec le Petit poilu illustré.

Ç'aurait pu être la guerre d'Afghanistan car l'auteur est parti de l'anecdote des papas plats (flat daddies) que le gouvernement américain faisait parvenir aux familles, comme si posséder une reproduction grandeur nature de son père ou de son mari pouvait compenser l'absence.

Finalement Jean Franco a choisi de situer Papa va bientôt rentrer dans le contexte de la guerre du Vietnam, ce qui permet de voyager dans l'Amérique (conformiste) des années 70, lesquelles ont décidément le vent en poupe. Au moins trois spectacles ont un décor comparable, et les comédiennes semblent avoir la même garde-robe avec des grands motifs orangés, (créés par Juliette Chanaud).

Quoiqu'il en soit cette pièce est une heureuse surprise et on se demande bien pourquoi l'auteur a laissé passer quelques années avant de la proposer à José Paul pour la mettre en scène au Théâtre de Paris, lequel a dû attendre longtemps avant que les trois comédiens soient libres en même temps.

La pièce se déroule sur 24 heures, et 8 mois plus tard. Un drapeau américain en berne dans la cuisine ne laisse pas de doute. Nous sommes aux US, précisément dans l'état du Maine. Il est 13 h 50 et on a compris que la pendule va jouer un rôle important.

Le réfrigérateur fait penser à la cuisine de Sur la route de Madison. On parie qu’on va boire de la bière, on ne sait pas encore laquelle, mais j'ai appris que chaque élément est authentique. L'assistante de José Paul est revenue des US avec une valise pleine de produits ... d'époque bien sur. Le décorateur (Edouard Laug) joue la carte réaliste et c'est parfait.

En l’absence de leurs maris, combattants au Vietnam, deux voisines, Mia (Marie-Julie Baup à gauche), et Suzan (Lysiane Meis à droite), se retrouvent quotidiennement pour bavarder, passer le temps, se soutenir, se serrer les coudes dans le même esprit que celui qui nous rassemblait après les attentats il y a deux ans. Mia engloutit les pots de beurre de peanuts, Suzanne se noie dans l'alcool. La première a une petite fille de 10 mois qui va bientôt marcher et réclamer son papa. Coup de chance les deux femmes pensent que Paul comme Richard vont bientôt rentrer parce que cette guerre absurde (elles le sont toutes) est sur le point de se terminer.
Ce n'est pas le papa officiel qui arrive mais l’ex petit-ami de Mia dont on surprend les acrobaties derrière la vitre avant qu'il n'entre par effraction.
Il est en désertion, donc en danger de cour martiale. Mia a tiré un trait sur ses engagements mais elle demeure attachée à son ancien amoureux et elle n'a pas le coeur de le condamner. La situation est compliquée et tout va se dérouler sous les yeux du mari, brave papa plat silencieux.
La pièce est une vraie comédie romantique, très agréable à suivre. Il y a de l'émotion positive, sans doute parce que l'auteur venait d'être papa quand il l'a écrite. Elle a aussi le mérite de pointer les premières tentatives d'émancipation féminine dans la bouche de la "moderne" Mia. Le personnage de Suzan est plus conformiste mais son amie éveillera sa conscience politique.

L'Amérique conquérante est égratignée par l'auteur et ce n'est que justice. En quoi la guerre du Vietnam pourrait revendiquer une quelconque légitimité ? Elle n'a rien à voir avec la religions ou une quelconque protection. C'est une volonté de conquête par un pays qui n'est pas une démocratie mais un empire.
Les opinions des personnages évolueront au fil du temps. Ils ne sont pas statiques et perdus dans leurs discussions. On les voit vivre, cuisiner (l'odeur de l'omelette chatouille nos papilles et on se demande si ce ne serait pas de la vraie Bud qui est ouverte).
Peut-être deviennent-ils plus matures. Être adulte serait ne plus avoir de certitude, nous a confié Marie-Julie Baup après le spectacle. Les choix musicaux de José Paul sont précis. On entendra le magnifique Saigon Bride de Joan Baez avant de terminer, huit mois plus tard sur les paroles de Lou Reed, Just a perfect day.

La direction d'acteurs est d'une grande justesse. Elle est le résultat de deux mois de répétition (en commençant avec le texte su, le metteur en scène en fait un principe). Mais aussi d'une belle entente de toute l'équipe qui s'appuie chaque soir sur deux principes toltèques (décidément le Mexique gouverne le monde) qui sont ne faites pas de supposition et faites toujours de votre mieux.

On peut voir dans la grande salle une autre pièce mise en scène par José Paul, plus impressionnante en terme de décor, la Garçonnière, qui est une reprise, et qui sera programmée en première partie de la prochaine cérémonie des Molières.
.... petite revanche pour José Paul (à droite sur la photo à coté de l'auteur), souvent nominé, jamais moliérisé.
Papa va bientôt rentrer 
De Jean Franco, collaboration à l'écriture Jean-Yves Roan
Mis en scène par José Paul
Avec Marie-Julie Baup, Lysiane Meis et Benoit Moret
Du 12 janvier au 21 avril 2018
Du mardi au samedi à 21h Les samedis à 17h00 Les dimanches à 15h00
Au Théâtre de Paris - Salle Réjane
15, rue Blanche  75009   Paris
Tél. location : 01.42.80.01.81

Pour la petite histoire c'est bien la Budweiser (qui doit son nom à une ville tchèque) brassée à partir de malts de riz et d'orge et peu houblonnée, qui est sur la table. Surnommée la reine des bières, cette lager figure parmi les plus vendues dans le monde.

Les loyautés

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La couverture prend tout son sens une fois le livre refermé. Quelle claque ! J'avais énormément aimé D'après une histoire vraie, laquelle ne l'était pas tant que ça ... vraie. Mais je retrouve avec ce nouveau roman la force de la plume de No et moi, ou des Heures souterraines.

Il est bouleversant dès les premières lignes. La manière que Delphine de Vigan a de nous faire toucher le désespoir de la transparente Cécile ou la conviction d'Hélène. Elle brosse de superbes portraits de femmes car on remarquera que les hommes sont plutôt minables (William, le père d'Hélène), déchus (le père de Théo) ou fades (le collègue Frédéric). Les femmes peuvent être agaçantes, mais elles portent la vie et la défendent, sauf la prof de sport, madame Berthelot, odieuse, mais qui n'est pas un personnage principal.

Même si l'analyse d'Hélène est pour partie erronée (Théo n'est pas à proprement parler un enfant maltraité physiquement) il est malmené psychiquement et au bout du compte sa santé est réellement en danger).
Hélène, professeure de SVT, est alertée par le comportement de Théo qui lui évoque ce qu'elle a connu elle-même enfant, à savoir la maltraitance. Elle mobilise l'infirmière scolaire qui ne trouve rien de concluant. Frédéric, son collègue, craint que la jeune femme ne se mêle de ce qui ne la regarde pas. Le pré-ado ne se plaint de rien et ses résultats scolaires sont excellents au début de l'histoire. Les parents sont insaisissables.
Le lecteur saisit tout de suite la gravité de la situation. Delphine de Vigan peint une société à la dérive où la loyauté envers les adultes mène les enfants à la catastrophe. Elle écrit avec la densité d’un roman policier parce qu'on a compris que c'est un compte à rebours qui s'est déclenché. Rien ne dit qu'Hélène parviendra à éviter le pire.

Tous les éducateurs savent qu'un enfant maltraité ne se plaindra pas avec des mots. Aucune souffrance ne le poussera à remettre en cause ses parents, encore moins à les dénoncer, parce que ce serait leur faire du mal. C’est ce qu’on appelle le conflit de loyauté. Quand on a des soupçons on ruse en faisant dessiner l’enfant ou en lui demandant de raconter l’histoire d’un personnage imaginaire dans laquelle on décrypte  ... ou pas. 

Curieusement les gens dont c’est le métier, ou en tout cas qui ont le pouvoir comme infirmière, psy scolaire ... médecin, e font jamais de signalement au procureur de la république. Ils se retranchent derrière secret et neutralité. Mais ils sont très forts par contre pour culpabiliser les enseignants et leur rappeler leur devoir de signalement. Il est assez logique qu'Hélène "bidouille", quitte à franchir la ligne jaune. Parce qu'elle sait que (p. 157) que les enfants protègent leurs parents et quel pacte de silence les conduit parfois jusqu'à la mort. Elle le sait parce qu'elle a vécu une enfance terrible.

Delphine de Vigan montre que la maltraitance se propage d'autant "mieux" que personne ne communique avec personne. Aucun personnage n’a de vie de couple. Ils sont soit célibataire, soit séparés, soit en couple mais murés dans le silence pour protéger une femme malade ou une vie intérieure pas très jolie jolie. Ils ont tous l’air normaux. Est-ce que la vie de "famille" dite "normale" (au sens mathématique) serait devenue ainsi ?

Cécile le reconnait (p. 42) William pense toujours que je me fais des idées. Je ne sais pas quand nous avons cessé de parler. Il y a longtemps, c'est certain. Plus tard elle se souvient de l'atmosphère mortifère qui régnait à la maison quand elle était enfant (p. 66). L'histoire se répète souvent en matière de maltraitance.

Quand Théo retrouve sa mère après un week-end chez son père pour en dire le moins possible il faisait semblant de ne pas comprendre les questions, ou bien répondait de manière évasive. (...) Il lui semblait accueillir la souffrance de sa mère dans son propre corps (p. 53). Et quand il arrive chez son père il a la peur au ventre (p. 72) parce qu'il le sait au bord du désastre (p. 95). Cette terreur il ne peut la partager avec personne, même pas avec son meilleur ami Mathis. Par contre il l'entraine sur la voie dangereuse de l'alcoolisme.

Les chapitres alternent les points de vue exprimés par les deux femmes Hélène et Cécile qui parlent à la première personne et ceux des ados Mathis et Théo que l'auteur fait vivre à la troisième personne, ce qui instaure une distance et symbolise la difficulté à les atteindre.

L'auteure dépeint l'addiction à l'alcool avec beaucoup de finesse et là aussi de justesse. Le résultat est extrêmement prenant. Si un roman mérite l'expression d'écriture à l'os c'est bien celui-là. On n'est pas près de l'oublier.

Les loyautés, de Delphine de Vigan, chez JC Lattès. En librairie depuis le 3 janvier 2018

Le lauréat

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Je sais parfaitement que tout le monde ne l'aime pas mais j'ai a-do-ré le Lauréat. Ce n'est pas une question de nostalgie envers le film avant-gardiste (mythique je sais, très choquant il y a 50 ans), ou la musique de Simon & Garfunkel (on aime toujours autant Mrs Robinson qu'on entend aussi dans le Livre de ma mèreà l'Atelier) ou celle de Lou Reed (dont Perfect day fait un carton dans les théâtres) ni d'admiration pour la carrière d'Anne Parillaud.

Pas davantage pour les ramages orangés d'une des robes portées par Françoise Lépine (à l'instar de Marie-Lise Fayet dans Papa va bientôt rentrer ou Mélanie Doutey dans Douce-amère). Tout le monde semble avoir les mêmes idées au même moment. Il faut dire que les années 60-70 inspirent les metteurs en scène.

Ce qui m'enthousiasme dans le travail dirigé par Stéphane Cottin c'est la cohérence entre l'adaptation, la scénographie, la direction d'acteurs (quelle bonne idée de faire jouer des rôles trsè différents à plusieurs d'entre eux), la bande son, et le recours (intelligent, et ce n'est pas toujours le cas) à la vidéo qui nous offre ce qui est annoncé : une comédie de mœurs sur l’Amérique des années 60 aussi drôle que touchante. Car on rit beaucoup.

J'ai entendu beaucoup de critiques sur le jeu d'Anne Parillaud. Elle campe une Mrs Robinson à la diction mécanique, d'une maigreur inquiétante, et c'est ce qui rend touchant son personnage de mante religieuse alcoolique, désabusée et manipulatrice.

Benjamin ... est magistralement interprété par Arthur Fenwick, qui réussit à faire oublier Dustin Hoffman, qui fut le créateur du rôle au cinéma.
Brillant élève tout juste diplômé, Benjamin Braddock rentre en Californie pour fêter son succès en famille. A 21 ans, il a tout pour envisager un avenir radieux et pourtant quelque chose cloche… Lors de la party organisée par ses parents en son honneur, Mrs Robinson, une amie de la famille, alcoolique notoire et ayant plus de deux fois son âge, s’offre à lui avec autant de soudaineté que de désinvolture. S’ouvre alors devant lui une porte dont il ne sait s’il s’agit d’une issue de secours ou d’une voie sans issue.
La photo de Ben en "lauréat" est en surimpression sur le mur de la maison familiale qui coulisse au début de la pièce, révélant le jeune homme, assis sur son lit, en combinaison et masque de plongée. Son père (Marc Fayet) lui demande gentiment et avec une patience incroyable de bien vouloir descendre mais le garçon refuse catégoriquement : Je n'ai pas envie de voir Mrs Robinson (il prononce son nom à l'américaine), ni personne.

Le père énumère ses résultats. Le ton est légèrement surjoué, en décalage avec la nonchalance de Benjamin qui soudain bondit et précise, agacé, qu'il n'est pas major de sa promotion, mais ex-aequo.  Le paternel encaisse, décontenancé (comme je le fus avant de me faire rembarrer par mon fils qui ne voulait pas qu'on le pense major, donc le meilleur, puisqu'il n'était "que" ex-aequo. La ressemblance s'arrête là. Il n'y a pas de Mrs Robinson dans notre entourage).

Ces bourgeois américains sont tous grotesques, et c'est bien rendu. Ben qui est malgré tout un "bon" fils accepte de mot fétiche suggéré par son paternel : polypropylène qu'il emploiera plus tard.

Arrive la femme du meilleur ami de son père qui demande en minaudant s'il y a un cendrier dans cette chambre. On lui répond que non, ce qui ne l'empêche pas d'écraser sa cigarette sur le lit ... Qu'est-ce que tu penses de moi ? Tu savais que j'étais alcoolique ?

Benjamin a des interrogations plus métaphysiques : Je quitte la maison, je vais voir le monde. Je veux des gens simples, courageux ... normaux, vrais.

Il est sur-diplômé. Elle est dotée d'une intelligence difficile à assumer pur une femme dans l'Amérique puritaine des années 60. Ils sont tous deux différemment désabusés. Les mots font écho pour l'un comme pour l'autre aux paroles de la chanson de Lou Reed.

Just a perfect day (Rien qu'une journée idéale)
You make me forget myself (Avec toi je m'oublie)
I thought I was someone else (Je pense être quelqu'un d'autre)
Someone good (Quelqu'un de bien)

Sauf que cela ne se passe pas comme ça. On entend les premières accords de guitare de la chanson si célèbre que Simon & Garfunkel avaient écrite pour le film, Mrs Robinson. C'est très bien ainsi mais ceux qui en connaissent les paroles (We'd like to help you learn to help yourselfNous aimerions vous aider à apprendre à vous débrouiller toute seule) peuvent davantage savourer le sens caché.

Le public applaudit chaque scène comme s'il s'agissait d'une pièce de boulevard. C'est assez sympathique, mais dérangeant. Benjamin reviendra lessivé, dit-il. Ses mésaventures en tant que pompier à Kalua‘aha ne sont pas glorieuses et sa mère le voit en plein déficit d'illusions.

Les parents ainsi que le mari de Mrs Robinson vont jouer plusieurs rôles secondaires qui les révèlent dans des registres très différents. La mère (Françoise Lépine) fera plus tard un numéro de Pole Dance (une spécialité apparue dans les années 50) plutôt étonnant et très réussi, enchainant spin et drop.

On verra aussi Benjamin à nouveau en surimpression sur le mur, à l'oeuvre en plongée ... preuve qu'il utilise finalement la fameuse combinaison.

On entendra l'émouvante chanson Nights in White Satin, non pas dans la version iitiatle des Moody Blues mais dans celle de Bashung.

La rencontre a finalement lieu entre Mrs Robinson et son jeune amant. Ils se déshabillent dans la pénombre avant de tirer pudiquement les rideaux dans un cadrage qui évoque un tableau de Hopper. Ce qui est autorisé pour les hommes ne l'est pas encore tout à fait pour les femmes et le film fut jugé sulfureux. Toujours est-il que si la femme l'initie à la transgression l'élève dépassera la maitresse.

La chanson d'Herman's Hermits, No Milk Today (1966) malgré son air entrainant est sans doute prémonitoire :
No milk today, my love has gone away (pas de lait ce matin, mon amour est parti)
The end of my hopes, the end of all my dreams (La fin de mes espoirs, la fin de tous mes rêves)

Sound of silence (présente elle aussi sur la BO du film) est une autre évidence.

Le personnage de Mrs Robinson est très complexe. Vous remarquerez qu'elle n'a pas de prénom, ce qui instaure une distance. Le mari existe peu. Il travaille toute la journée, il rentre tard, il prend deux temestas et c'est le matin.

Le film la montrant à coté de Benjamin dans l'Alfa Romeo Spider rouge vif est plutôt touchant, sauf qu'on a du mal à croire qu'elle a le double de son âge tant elle parait jeune (pour le film le problème était un peu différent, c'est Dustin Hoffman qui était trop vieux pour le rôle). La courbe de l'écran apporte quelque chose de singulier aux images. La chanson Sugar, Sugar (écrite par Jeff Barry et Andy Kim, attribuée à tort aux Archies) s'accorde avec la langueur avec laquelle la femme se fait désirer :
Honey, Oh, Sugar, Sugar.
You are my candy girl, and you got me wanting you.

I just can't believe the loveliness of loving you.
(I just can't believe it's true).
Arrive alors ce plan où Benjamin est assis sur le lit, avec son bouquet de fleurs, dans la posture immortalisée par Bill Murray dans Lost in translation. Les deux amants se provoquent.

La mère autorise sa fille à sortir avec n'importe quel garçon ... sauf Benjamin. De nouveau la voix grave de Bashung résonne, pour chanter cette fois Michelle ma belle ...

On voit Benjamin rouler vers Berkeley où bien sûr il séduira la fille, provoquant une colère sans fond chez la mère qui menace de mots orduriers : pourriture, déchet, merde.

Benjamin est trainé chez un psy où toute la famille est assise sur les fameux tabourets transformables orange Tam Tam, dessinés par Henry Massonnet et moulés ... en polypropylène (puisque le mot est magique).

Mon Dieu, tout est de ma faute, pleure la mère de Benjamin qui reprend la route, à tombeau ouvert pour tenter de stopper le mariage d'Elaine.

Le décor a changé une ultime fois, laissant apparaitre un autel, des cierges, une croix, alors que les orgues jouent le morceau rituel pour l'occasion.

Très amère, Mrs Robinson condamnera Benjamin : Tu n'avais pas la moindre chance.

On sort du théâtre avec plein d'images et de chansons en tête. Et la forte envie de les réécouter en boucle. Alors on mettra sur la platine On reconnait le tube de 1966 (écrit par Lou Reed) Sunday Morning pour The Velvet Underground :
Sunday morning, praise the dawning
Dimanche matin, rend grâce à l'aube
(...)
It's just the wasted years so close behind
C'est juste les années gaspillées tout juste derrière

Le lauréat, d'après le roman de Charles Webb

Adaptation Terry Johnson
Version française Christopher Thompson
Mise en scène Stéphane Cottin
Avec Anne Parillaud, Arthur Fenwick, Marc Fayet, Françoise Lépine, Jean-Michel Lahmi, Adèle Bernier
Décor Catherine Bluwal et Stéphane Cottin
Costumes Chouchane Abello-Tcherpachian
Lumières Marie-Hélène Pinon
Vidéo Léonard
Au Théâtre Montparnasse
31 Rue de la Gaîté - 75014 Paris
01.43.22.77.74
Du mardi au samedi à 20h30, matinée le dimanche à 15h30

Les prix du brigadier 2017 (décernés en 2018)

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Danielle Mathieu-Bouillon, Présidente de l'Association de la Régie Théâtrale, et Stéphane Hillel, Président de l'Association pour le Soutien du Théâtre Privé ont présidé la remise des Prix du Brigadier 2017, qui a eu lieu aujourd'hui au Théâtre Montparnasse, dirigé par Myriam Feune de Colombi, dans un morceau du décor du Lauréat.

La Présidente de l'ART a confié sa crainte quant au niveau des finances du fonds de soutien, redoutant que le ministère, comme la ville de Paris (dont l'adjoint au maire Bruno Juillard n'a pas pu venir cette année ... ce dont il s'est excusé dans un adorable texto lu à la salle). Son dynamisme a vite repris le dessus pour rappeler combien il était précieux de collecter des fonds qui permettent de conserver la mémoire du théâtre et s'est adressé à tous les présents : mes chéris ne jetez rien !

Le Brigadier est un prix modeste mais symboliquement puissant. Créé en 1960 il est la plus ancienne récompense accordée au théâtre. C'est la seule que Jean Anouilh accepta de recevoir.
Il est le bâton magique avec lequel frapper les trois coups annonce quelque chose d'autre en permettant la poésie du spectacle, de plus en plus essentielle à une époque où les gens ont les yeux rivés sur leurs écrans. Finalement le théâtre demeure un des rares endroits où les téléphones sont éteints et où une assemblée partage quelque chose d'unique, car aucune représentation ne ressemble à une autre.

L'an dernier, Catherine Hiegel, Anne Delbée et Michael Lonsdale. La première magicienne de cette oeuvre à recevoir le Prix pour 2017, est Dominique Valadié, pour son rôle dans Au but de Thomas Bernard, présenté au Poche Montparnasse.

Née en 1952 à Nice, la comédienne, qui a aussi une formation de danseuse, a suivi le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Au théâtre, elle a travaillé aux côtés d’Antoine Vitez (où elle fut une Agnès mémorable), Daniel Benoin, Michel Didym et Alain Françon, notamment dans La Dame de chez Maxim’s (Molière de la meilleure actrice), et plus récemment Le Temps et la chambre de Botho Strauss. En 1993, elle devient professeur au CNSAD. Au cinéma, elle a joué sous la direction d’Agnès Jaoui, Benoît Jacquot, ou encore Bertrand Blier.
C'est une actrice qui peut "tout" faire, de la Môme Crevetteà Hedda Gabler. Elle est venue spécialement d'Angers où elle est en répétition pour recevoir cette distinction des mains de Nicolas Vaude que j'avais beaucoup apprécié l'an dernier, dans Pour un oui ou pour un non, dans ce même théâtre (et qui est actuellement à l'affiche de La collection au Théâtre de Paris) où elle a joué Au but, et dont elle se réjouira qu'il sera honoré tout à l'heure, parce que c'est presque un cabaret où on a le plaisir de jouer très près d'un public particulier.
Un Brigadier d’honneur est remis à André Dussolier pour Novencento et l'ensemble de sa carrière. Né un 17 février à Annecy, étudiant en lettres, il monte à Paris à 23 ans. Ses parents, n'appartiennent pas à la "famille" du théâtre et sont probablement surpris de son 1er Prix de conservatoire (à égalité avec Francis Perrin) qui lui vaut d'être immédiatement engagé à la Comédie française, où il est remarqué par François Truffaut pour Une belle fille comme moi (avec Bernadette Lafont).

Sa carrière est une alternance entre théâtre et cinéma. Il a joué en 45 ans de carrière dans autant de pièces que de films, au moins 130 et a reçu 3 Césars. Ce sont des chiffres dont ses parents, fonctionnaires au Trésor public, auraient eu de quoi être fiers.
Il est classé numéro 4 au Top ten des acteurs préférés des français. Il avait préparé son petit compliment, rappelant le mot de Roland Dubillard en réponse aux acteurs qui ont le trac et le palpitant qui cogne à 160 : vous avez oublié votre parachute, tant mieux car alors vous ferez vos preuves.
Il nous promet de continuer ce métier aussi longtemps que durera sa vie, et ce fut un énorme plaisir que de le voir jouer un extrait des Diablogues, mimant à la perfection cette vieille actrice qui après avoir posé le pied gauche par terre, elle levait le pied droit, et hop, elle le posait devant le pied gauche. Et à ce moment-là, couic ! Au lieu de continuer à se servir de son pied droit, comme on s’y attendait n’est-ce pas, puisqu’elle avait commencé à remuer celui-là, il n’y a pas de raison pour qu’elle change. Eh ben non, elle laissait son pied droit par terre, et zioup, voilà son pied gauche qui s’envole, médusé on était.

Il fut fourmidiable, évidemment ... ! Il quitta la scène en souhaitant l'abolition de la frontière entre théâtre public (où est né Novecento) et privé.

Troisième et dernier brigadier pour le Théâtre de Poche-Montparnasse (75 boulevard du Montparnasse) et Philippe Tesson pour la qualité de sa programmation que j'avais surpris un peu plus tôt, dans sa pose habituelle, les lunettes sur le front, ne perdant pas une miette de la cérémonie depuis une baignoire.
Il est né en 1928 dans l'Aisne (comme mes grands-parents, je l'ignorais) et c'est en quelque sorte un beau cadeau d'anniversaire à cet homme dont l'énergie créatrice est passée par Combat, le Quotidien de Paris (et le Quotidien du Médecin qu'il fonda en 1971 avec sa femme Marie-Claude), les Critiques littéraires et j'en oublie forcément ... car il est quasiment partout.
C'est un critique de théâtre très précis et c'est aussi un  excellent programmateur. Alors que Myriam Feune de Colombi s'est déclarée grisée, charmée, émue et honorée de lui remettre ce prix, Philippe répond comme d'habitude en faisant une pirouette c'est tout ? Jamais je n'aurais cru me produire sur une scène de théâtre avec vous. On peut faire un petit Marivaux ...

Il a rendu hommage à Renée Delmas et Etienne Bierry qui ont animé le Poche de 1956 jusqu'en 2012, date à laquelle il a repris les lieux et entamé une série de travaux.
Je me souviens des confidences de ce couple extraordinaire que j'ai plusieurs fois rencontré, notamment à la Tempête. D'un endroit réputé pour être minuscule mais chargé d'histoire, Philippe Tesson a fait un théâtre avec deux salles, une petite et une autre, ... petite aussi, qui ouvrent le 15 janvier 2013. La programmation est audacieuse et de qualité. La direction est assurée par Stéphanie Tesson et Charlotte Rondelez.

L'homme est assurément très honoré de l'honneur qui lui est fait ... malgré les réserves entendues dans le sous-texte sur sa légitimité. Son discours mérite d'être retranscrit : ce n'est pas que je me mésestime, je suis très lucide à mon âge, mais je ne suis pas parfaitement à l'aise. J'ai toujours été un peu complexé devant vous qui appartenez à un monde auquel je n'ai pas accès, cette famille du théâtre, tellement unie comme vous aimez le dire, ça m'impressionne, je me sens batard.

J'étais à l'origine entrepreneur, c'es vrai, surtout journaliste (toujours indépendant d'un groupe de presse), un commentateur, un juge, et pire, un critique. En 15 ans au Canard Enchainé j'ai écrit conformément à l'esprit du journal. En 15 ans à l'Express j'ai écrit conformément aussi à l'esprit de l'hebdomadaire. En 25 ans au Figaro magazine, j'ai cultivé la non-conformité.

J'ai passé l'âge de la passion, de la justice  de l'indépendance aux autres. Cela fait donc 60 ans que je suis assis dans un fauteuil à vous regarder, vous écouter, vous admirer, vous juger, vous applaudir .... jusqu'à 3 à 4 fois par semaine. cela doit faire 12 000 pièces, et c'est absolument énorme. Je reçois donc le Brigadier du spectateur, moi l'imbécile heureux, le batard qui ne suis pas de la famille. Vous êtes des étoiles quand je suis le ver de terre même si nous respirons le même air. Ce brigadier d'honneur me légitime et me rend très heureux, moi qui aime infiniment le théâtre.

Et le plus satisfaisant est que j'incarne le Poche, qui fêtera bientôt les 5 ans non pas de sa restauration, mais d'un nouvel envol, après avoir présenté environ 150 pièces. Philippe Tesson a salué l'équipe dont personne n'est parti depuis la réouverture, égrenant les noms des collaborateurs, en profitant avec malice pour rappeler que Histoire du soldat (où le rôle du diable est tenu par le formidable Licinio Da Silva qui est aussi le responsable du bar-foyer) joue jusqu'au 15 mars. Il citera plus tard mademoiselle Julie et le Tour du théâtre de Christophe barbier.

On s'entend si bien au Poche qu'il n'est pas nécessaire d'y publier des notes de services. Tout peut y faire théâtre. Nous ne sommes pas adeptes de la catégorisation. Quel malheur d le diviser, même dans son statut. Le théâtre doit être le miroir le plus fidèle de l'abondance de la vie dans ce qu'elle a de poétique, rare, mystérieux, joyeux, banal ou pas, un point c'est tout.
Stéphanie l'a rejoint pour les saluts en n'omettant pas un petit mot pour les absents, sa maman marie-Claude et Etienne Bierry qui leur avait présenté le Poche comme une baraque, au fond de l'impasse de la liberté, ce que ce lieu magique est toujours.

Chaque théâtre l'est à sa manière. Celui que dirige Myriam tout autanti, avec au foyer les affiches des grands succès et les tableaux le représentant comme celui-ci, fidèle à ce qu'il est.
La nostalgie cohabite avec le progrès. J'ai remarqué dans le hall un distributeur automatique de captations de la COPAT qui entretiennent la mémoire du théâtre.

Le Salon des Artistes Français fait le bilan de l'édition 2018

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Le Salon des Artistes Français a clôturé lundi 19 février 2018, dans le cadre d’Art Capital, sa 228ème édition avec une belle fréquentation de près de 33 000 visiteurs sous la verrière du Grand Palais et une ambiance générale positive, en augmentation par rapport à 2017.

Le grand froid n'a pas dissuadé les amateurs d'art comme les professionnels de venir découvrir des oeuvres qui témoignent de la richesse de la création contemporaine.

Du 14 au 18 février 2018, ont ainsi été réunis 650 artistes français et internationaux issus de 30 pays et représentant quelques 1 500 œuvres réparties en 5 sections. Cette année, le nouveau programme culturel accueillait une délégation d’artistes hongrois, une exposition de Street-Art, des visites guidées et une conférence sur l’histoire du Salon.

Parmi les partenaires, figurait le restaurant étoilé Lasserre dont le "nouveau" chef est Michel Roth (que j'avais connu au Ritz). Une reconstitution d'un salon était attractive sous la coupole même si le menu n'y figurait qu'à titre informatif.
Pour Martine Delaleuf, Présidente de la Société des Artistes Français cette édition confirme l’intention principale du Salon : faire découvrir les artistes d’aujourd’hui et toucher un public qui n’a pas l’occasion de venir dans les ateliers, ce qui donne une ambiance particulière dans les allées du Grand Palais tout en permettant aux collectionneurs, galeristes, médias et amateurs d’art de prendre le pouls de ce qui se fait de nos jours, en peinture, sculpture, gravure, photographie et architecture.

C'était exactement mon état d'esprit, même si je regrette de n'avoir pas exploré chaque section. J'ai laissé mon regard se poser sur ce qui attirait mon oeil, ce qui ne signifie pas que ce que je n'ai pas retenu ne méritait pas de l'être, je pense à l'architecture et à la gravure où je regrette de ne pas m'être attardée.

C'est d'abord la photographie qui m'a interpelée sans doute en raison de ce mur d'images réalisé par David Lebrun, médaille de bronze 2015, qui a eu la jolie idée de réaliser le plus possible de portraits des artistes :

Sylvain Harrivel, nouveau Président de la section, se réjouit du cru 2018 : Cette année, nous avons exposé une large représentation des techniques qu’offre le medium photographique : argentique, numérique, photographie plastique, figuration, abstraction… 36 artistes qui ont à cœur de valoriser la photographie d’art. Ne voyez pas de palmarès dans ce qui va suivre. Les photos se suivent dans l'ordre de la découverte des oeuvres.
François Chéry, médaille d'or 2011, Le dernier iceberg, numérique (120x80), photo prise à la Fondation Vuitton. Votée par bulletin secret, François Chery a reçu une médaille d’honneur  pour récompenser sa carrière dans sa globalité et son investissement auprès de la Société des Artistes Français. 
Afsaneh Afkhami photographe Auteur,  médaillée d'honneur du Salon des Artistes Français en 2015,  L'esprit de l'envol, numérique (160x180) Daniel Stokes danseur de l'Opéra de ParisTechnique Numérique / surimpression / peinture numérique et conception par l'auteur
Samir Tlatlila colonne à reboucher, numérique (50x75)
Marta CoulsonMidnight rain 2, numérique (140x105)

La section peinture est toujours la plus importante d'un point de vue quantitatif. Le peintre Nelson Guerra, médaillé d’honneur 2017, expose chaque année au Salon depuis 1992.
Nelson Guerra,  Hommage à la médecine, huile, et Arrivée au sprint, huile
Marion Cadet, médaille de bronze 2014, humeur n°25, huile (114x195)
Jean-Claude Hiolle, médaille d'argent 1990, Honfleur le port-reflets, huile (130x97)
TatisLibertas, huile (114x195)
Juliana Wildner, Peonis sweetness, huile
Benoît Dechelle, médaille de bronze 2015, Crocodile coincé, acrylique (146x97)
Louis-Charles Benoit-Latour Oko huile 130x89 (vous retrouverez la sculpture qui est présentée juste devant en gros plan plus bas)
Christine Bourgeaud Versin, médaille de bronze 2012, Attachment, techniques mixtes (122x190)
Une délégation d’artistes hongrois a été invitée à exposer peintures et sculptures. Comme on le remarque des sculptures pouvaient être positionnées en dehors de l'espace qui est dédié à cet art sur le Salon. Comme le pointe un des exposants, exposer au Grand Palais est un véritable privilège. Mais, exposer parmi les Artistes Français, où sont passés Auguste Rodin, Aristide Maillol ou encore Auguste Bartholdi… quel honneur ! 

Laetitia-May Le GuélaffRaven, faïence noire-patine-métal (28x15x31)
Kazik Gasior, médaille d'argent 2015, Coeur brisé, bois-pierre-ambre (60x20x60)
Isabelle Panelas-Huard, médaille d'or 2012, semblait s'amuser avec son Rhino, un bronze magnifiquement patiné dont elle a eu l'inspiration en visitant le zoo de la Palmyre avec ses enfants. Juste à coté on pouvait aussi admirer lunapic, bronze (65 de hauteur).
La mosaïque présentait des oeuvres très originales comme celle de MoohaGoutte, papier sur toile (116x89) dont j'ai positionné un gros plan plus bas.
Armand Cherbit, médaille d'or 2000, Controverse sur la jetée de Cabourg (132x94)
Parmi les nouveaux exposants du Salon des Artistes Français, citons notamment Ymas, champion olympique et artiste masqué : Je suis heureux et très fier d’avoir été sélectionné par le jury cette année pour exposer mon œuvre ‘Hommage au Désespéré’ (réalisé en lego avec 14 000 pièces (194x175)). En restant anonyme, je préfère que le public s’intéresse à mes compositions parce qu’elles plaisent et non parce que je suis médaillé olympique. Je suis donc très honoré d’avoir eu cette chance et je remercie le jury pour la médaille de bronze qui m’a été remise pour ce travail.

Cette année, le Salon a bousculé les codes en présentant une exposition Street-art en collaboration avec Spray Collection. Philippe Danjean, l’un des collectionneurs-fondateurs s'est réjoui que les visiteurs habitués au Salon historique aient pu apercevoir un échantillon de l’art urbain alors que,  réciproquement, certains collectionneurs de street-art ont eu l’occasion de découvrir pour la première fois le Salon.
Philippe Echaroux, Cuba Libre 2015

Depuis l’année dernière, un système de Mention a été mis en place dans le but de valoriser l’audace, la maitrise et la qualité technique de certains artistes dans chaque section.

De nombreux prix privés sont également venus récompensés les artistes dans chaque section ; Prix de la Fondation Taylor, Prix Géant des Beaux-arts, Prix de Société française de gravure, Prix Maison Européenne de Photographie… ainsi que plusieurs prix décernés par la Société des Amis des Artistes Français, l’Association amicale des paysagistes français ou encore par l’Académie des Beaux-arts…

Rendez-vosu est d'ores et déjà donné en février 2019.

Guérisseur mis en scène par Benoît Lavigne

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La scène est bordée d'une enfilade de chaises métalliques aux couleurs fanées. On se demande si nous n'allons pas être invités à y prendre place un instant. Mais nous ne sommes pas dans une de ces salles de spectacles miteuses où se produisait Francis Hardy, guérisseur de son état mais avant tout artiste. On s'y croirait pourtant.

Assis de trois quarts, l'homme marmonne, ou parle-t-il une langue étrangère ? Il énumère tous les villages reculés d’Écosse et du Pays de Galles en train de mourir où il se produit comme guérisseur. Leurs noms, nous dit-il, ont un pouvoir hypnotique et apporte l'apaisement de leur incantation.

Lui qui se présentait comme le 7ème fils d'un 7ème fils est en fait l'enfant unique d'un sergent. Les initiales de son nom, FH pourrait signifier franc et hardi. On s'apercevra qu'il ment comme un arracheur de dents. Si la franchise n'est pas son fort, il maitrise par contre la hardiesse.

Il pratique la guérison par l'imposition de ses mains et consent, en mimant les gestes qu'il fait sur des gens en proie au désespoir, que oui, de temps en temps ça a marché. Mais neuf fois sur dix il ne se passe rien. Pourtant, avec sa compagne Grace et son imprésario Teddy, il assure chaque soir le spectacle de ses dons exceptionnels, recourant au whisky pour calmer ses angoisses, entre l'absurde et l'essentiel. De retour en Irlande, dans un pub de Ballybeg, la vie de ces trois saltimbanques va soudainement basculer...

Créée en avril 1979 à New York, la pièce a été montée en 1986 au Lucernaire par Laurent Terzieff et jamais rejouée en France depuis cette date. Guérisseur fait de nouveau entendre la voix de Brian Friel(1929 - 2015), le Tchekhov irlandais dans cette pièce mystérieuse et envoûtante.

Chacun des trois protagonistes viendra nous raconter "sa" version de l'histoire. Le guérisseur, interprété par Xavier Gallais – en alternance avec Thomas Durand, est le premier sur scène. Il m'a parfois fait penser au personnage interprété par Gregory Gadebois, autre grand comédien, dans Mon âme par toi guérie.

On ne sait pas encore si ses paroles sont justes ou déformées. Il semble effondré d'avoir raté la mort de sa mère d'un peu plus d'une heure. Il danse, boit, les chaises se fracassent. Il arrive à l'épisode de l'homme tombé d'un échafaudage et paralysé.

Arrive ensuite sa femme Grace (Bérangère Gallotqui se lance elle aussi dans l'incantation. Elle est bouleversante dans sa détresse. C'est là que le bébé est enterré, loin de tout, point final. On devine que le pardon n'est pas de mise. Quel talent pour faire mal !

Elle s'en va, revient, et donne sa version d'une guérison avant d'en venir elle aussi au moment où l'homme est arrivé dans son fauteuil roulant. Elle a souffert d'un manque de reconnaissance de son compagnon dont elle aurait tant voulu les mains sur elle ...

L'impresario Teddy (Hervé Jouval) apporte sa joie de vivre en dansant à la manière de Fred Astaire. Il a le goût des formules : Une vie entière dans le show biz fait de vous un philosophe. Mais ses paroles ne sont pas plus claires que celles des deux précédents. Il refuse de travailler avec ses amis : faut pas que tu les mélanges (au boulot) même si ça te démange.

Etait-il ami avec Harry et/ou Grace ? On peut légitimement s'interroger sur la question. Quand Harry revient pour un quatrième monologue on se demande s'ils tous les trois vécu la même chose. Certes non. Mais ce dont personne ne doute c'est que ces trois là sont en manque d’amour et désespérés.

Alain Delahaye a entrepris de traduire toute l’œuvre théâtrale de Brian Friel. Douze volumes ont été publiés à ce jour. On lui doit aussi la version française de nombreux films, dont Le Patient Anglais, Billy Elliot, Looking for Richard, ainsi que de la série Game of Thrones. Il a raison de le souligner. Guérisseur n'offre pas de réelle intrigue, pas de dialogues, et pourtant le spectateur a l’impression d’un théâtre extraordinairement vivant, d’une richesse humaine inépuisable. Mais Dans le détail les récits divergent parfois profondément, et il devient vite impossible de connaître l’exacte vérité à propos du pouvoir mystérieux de cet Irlandais.

Pour Benoît Lavigne la métaphore est claire. Le guérisseur c’est l’artiste qui doit tous les soirs envoûter son public, capter son imagination, et lui faire croire à l’impossible. Brian Friel nous livre ainsi une réflexion inquiète (mais souvent pleine d’humour) sur le rôle de l’artiste, sur la solitude et sur la douleur de vivre. En ce sens Guérisseur est une pièce unique en son genre que Benoît Lavigne a mise en scène avec sobriété et intelligence.

Il est par ailleurs le directeur du Lucernaire, qui est bien plus qu’un théâtre. C’est aussi trois salles de cinéma Art et Essai, un restaurant, un bar, une librairie, une école de théâtre et une galerie d’exposition. Il appartient aux éditions de l’Harmattan. Il fonctionne à plus de 95% en recettes propres et est membre de l’Association de Soutien pour le Théâtre Privé.
Guérisseur de Brian Friel
Texte français de Alain Delahaye
Mis en scène par Benoît Lavigne
Avec Xavier Gallais ou Thomas Durand, Bérangère Gallot et Hervé Jouval
Au Théâtre Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
Du 31 janvier au 14 avril 2018
Du mardi au samedi à 19 heures

Le livre de ma mère

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Le journal de ma mère est un texte magnifique que Patrick Timsit rêvait depuis des années d'interpréter. Je m'attendais donc à quelque chose de particulier, dans une mise en scène extrêmement soignée. 

Si le comédien déploie une sensibilité hors pair je quitte néanmoins la salle animée par une relative (et rare) colère. Quelle idée de l'avoir équipé d’un micro ? Le pauvre serait-il devenu aphone? Aurait-il peur de n’être pas entendu dans ce théâtre dont l’acoustique est juste parfaite ?

L’appareil, réglé plein pot durant les premières minutes, suggérait la pièce radiophonique. Comme il fut difficile pour les spectateurs à l’audition normale de se projeter dans l’intimité de la confidence !

La béquille ne s'accorde pas avec le parti-pris de mise en scène puisque Dominique Pitoiset lui fait interpréter le rôle d'un acteur qui répète son rôle, texte à la main, auquel il se réfère très souvent (alors que j'aurais parié qu'il le connaissait par coeur). A-t-on déjà vu des comédiens équipés de micro en répétition ?

Il serait Albert Cohen dans son bureau d'écrivain, en Suisse. L'incongruité provient alors de la présence d'un écran de cinéma en fond de scène, lequel n'existe que dans les bureaux des producteurs de cinéma ou chez les grands patrons d'agence de publicité.

On verra pendant un peu plus d'une heure Patrick Timsit arpenter la scène, s'asseoir, se relever, déclencher avec une télécommande la mise en route d'images, comme si nous assistions à une conférence touristique. Encore une fois rien ne nous place sur le terrain de la confidence. La première image annonce Le livre de ma mère ... on n'en doutait pas.

Le récit est autant écrit à la gloire de la mère qu'il est autobiographique. On apprend l'arrivée de Albert Cohen à cinq ans, venant de Corfou avec sa famille. On était des rien-du-tout sociaux.

Le texte est sublime. Nos douleurs sont une ile déserte. Les mots consolent mais ils ne me rendront pas ma mère. La peine du fils est immense. La plainte, elle est morte reviendra en boucle et il égrènera bientôt la litanie des jamais plus. Le public est enthousiaste, applaudit l'arrivée du comédien a tout rompre, et rit sans réserve aux blagues juives. Du type les mariages qui commencent par de l'amour c'est mauvais signe.

Décor et lumières ne méritent pas davantage le compliment. La lecture du dossier de presse m’apprend que le metteur en scène a cumulé les postes. Manque de budget ou volonté de tout contrôler ? L’intelligentsia pourra lui tresser des couronnes parce que c’est Cohen, parce que c’est Timsit, je continuerai à regretter qu’il n’y ait pas eu de direction d’acteur mais juste une mise en place. Je m’en étonne d’autant plus que je sais que le comédien échafaude ce projet depuis une dizaine d’années.

Il y a cependant un superbe instant de théâtre et gloire à celui (ou celle) qui en a eu l’idée: le fils débouchonne la bouteille d’eau, s’accroupit et pose le bouchon de plastique sur le sol qui soudain devient cette tombe dont il vient de nous parler en termes émouvants : ... on a eu la gentille pensée de lui mettre dessus une lourde dalle de marbre, un presse-mort, pour être bien sûr qu'elle ne s'en ira pas.

Encore faut-il connaitre la coutume voulant que pour montrer que quelqu'un est venu se recueillir sur une tombe, on dépose une petite pierre, puisque les fleurs sont interdites dans la religion juive, ce que j'avais appris lors d'un séjour à Berlin.

Cette marque d'honneur est éternelle (à l'inverse des fleurs qui pourrissent rapidement). J'ai donc été extrêmement choquée qu'à la fin de la pièce le comédien ramasse le bouchon et le pose sur le bureau.

La musique est choisie avec soin. On entendra Smile de Nat King Cole sur des images familiales de vacances au bord de la mer filmées en super 8. Ce sera plus tard Mrs Robinson de Simon & Garfunkel (que l'on entend beaucoup au théâtre en ce moment) juste avant d'enchainer sur un sirtaki. On fait un saut dans le temps avec la chanson d'Arno (1995) qui célèbre de sa voix profonde et rauque Dans les yeux de ma mère au travers de paroles parfois crues et de mots peu élégants.

C'est une sorte de contrepoint à l'écriture de Cohen alors que bien entendu les deux textes ne sont pas du tout de la même époque. L'amour d'une mère serait-il universel ? Albert Cohen voyait dans les yeux de sa mère : une folie de tendresse, une divine folie. C’est la maternité. C’est la majesté de l’amour, la loi sublime, un regard de Dieu. Soudain, elle m’apparaît comme la preuve de Dieu.

J'ai mal compris (décidément) l'emploi du Petit train des Rita Mitsouko pour accompagner la fin du spectacle. Certes on voit alors les images d'une locomotive tirant un serpentin de wagons (Odyssey Smoking-petit train sur l'eau de Tang Nannan) mais est-ce parce que la chanson aborde le thème très grave et douloureux de la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale que Dominique Pitoiset l'a choisie ?

Cette chanson écrite en 1988 était dédiée à Sam Ringer, le père de Catherine, qui avait été l’une des victimes. Et je ne pense pas que la mère d'Albert Cohen, décédée à Marseille en janvier 1943, ait été déportée.

Le spectacle s'achève sur le désespoir de l'écrivain : Je suis un poussin sans poule. Il exhorte les garçons à être doux chaque jour avec leur mère.

Son ultime geste est de changer de cravate ... pour en porter une de couleur vive, signe de la fin du deuil ? Ce n'est pas certain puisque la musique de Nat King Cole revient. Mais au cas où on en douterait le comédien saisit la télécommande pour afficher le mot FIN sur l'écran;

Mon conseil : cassez une graine au Bistrot du théâtre (à l’étage) et enchaînez avec Baby. La maternité est au centre des préoccupations de l’Atelier. Après la mère bien réelle d’Albert Cohen c’est la question de la procréation pour autrui qu'Hélène Vincent met brillamment en scène.

Le livre de ma mère
De Albert Cohen
Mise en scène, conception lumières et scénographie de Dominique Pitoiset
Avec Patrick Timsit
Au Théâtre de l'Atelier
1 place Charles Dullin - 75018 Paris
Jusqu'au 17 mars 2018 à 19h du mardi au samedi
Représentations supplémentaires :
À 16h, les samedis 10 et 17 mars et à 19h, lundi 12 mars.

Coco, le dessin animé

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Je suis sortie enchantée de la projection de Coco parce que c'est une belle histoire, pleine de rebondissements et parce que j'ai retrouvé tous les codes de la culture mexicaine.

Ils ne sautent peut-être pas aux yeux du public français mais pour moi qui ai passé cinq semaines l'été dernier dans ce pays chaque détail résonnait avec un souvenir, jusqu'à la scène de baignade dans un cénote (vaste puit souterrain) où j'ai eu la chance de nager lors de mon séjour.

Les guirlandes de papier découpé m'y avaient enchantée et j'ai trouvé très logique qu'on les découvre dès le générique.

On est tout de suite dans l’ambiance, en pleine préparation de El Dia de los Muertos, la fête des morts si importante au Mexique et qui se déroule sur deux jours, les 1er et 2 novembre, alors que la Toussaint (dont l'importance n'est pas comparable) ne dure qu'une journée. La fête des morts mexicaine reflète un double héritage, celui des Aztèques, avec leurs traditions pré-colombiennes, et celui des conquistadors espagnols, avec leurs traditions catholiques.

Certains se souviennent peut-être de la scène d'ouverture de Spectre, le James Bond 2015. Déjà, en temps "ordinaire" les crânes et les bougies sont partout.

L’arrière-arrière-grand-mère de Miguel, un garçonnet d'une douzaine d'années, a connu un épisode difficile avec le départ de son mari chanteur et guitariste Ernesto de la Cruz. Elle a décidé après cela d'une part de bannir la musique de sa vie (et de celle de ses descendants) et de faire un métier qui n'a rien à voir avec cet art.

Elle a lancé un atelier de confection de chaussures qui emploie toute la famille, de mère en fils. L'enfant nous raconte qu'elle aurait pu choisir de faire des pinatas, ou des masques pailletés pour couvrir le visage des catcheurs (deux grandes spécialités mexicaines)... en nous montrant en papier découpé ce que cela aurait donné mais non, ce sont les chaussures qui ont eu sa préférence.

On voit le petit garçon cirer des chaussures dans la rue, comme on peut en rencontrer aujourd'hui à chaque coin de rue dans tout le Mexique (même si ce sont maintenant des adultes). De la même façon toutes les femmes portent au quotidien des tuniques ou des robes brodées de fleurs multicolores ... et c'est ce qui m'avait tant surprise partout dans ce pays qui explose littéralement de couleurs.

Le réalisateur Lee Unkrich (c'est lui qui a fait Toy Storyinsiste sur l'importance de la cohésion familiale qui effectivement est essentielle dans ce pays. C'est une obligation de se souvenir des êtres aimés, et de transmettre leur histoire à la nouvelle génération. Mais si un ancêtre a fait quelque chose de répréhensible il est légitime de le bannir. C'est ce qui est arrivé à Ernesto, le créateur de la chanson Ne m’oublie pas que sa fille, (qui est Mama Coco, la grand-mère de Miguel) chantonne encore parfois même si sur la photo qui la représente à coté de son père, celui-ci a la tête déchirée.

Miguel adore son abuelita qui est touchante dans ses efforts pour maintenir une mémoire qui s'estompe de jour en jour. Elle mérite pleinement d'avoir donné son nom au titre du film.

Il montre aussi combien la musique est vitale au Mexique. A partir de 17 heures, en se rendant Plaza Garibaldi à Mexico on peut louer les service de mariachis (musiciens traditionnels, vêtus des mêmes costumes que ceux qui sont portés dans le film) pour animer une fête, un anniversaire, ou tout simplement jouer la sérénade devant un couple d'amoureux. La famille de Coco est sans doute la seule à détester la musique et le petit enfant ne peut pas se retenir de tenter de jouer de la guitare et de chanter, quitte à s'attirer des ennuis.

Ce jour des ancêtres lui donne l'occasion de partir à la recherche de son aïeul.  Sur sa route, il va faire la rencontre d'Hector, qui va lui proposer son aide. Il est présenté comme un arnaqueur mais le spectateur pourrait avoir une surprise.

Les personnages sont touchants et absolument pas effrayants alors que majoritairement ils n'ont pas de peau sur leurs os, puisque ce sont des squelettes. Ce type de représentation est banal au Mexique où la mort est une compagne "ordinaire". Je m'y suis fait photographier dans un cercueil, le sourire aux lèvres, en sortant de la visite du musée des Momias de Guanajuato. J'ai vu des squelettes gigantesques dans toutes les villes, ici à Oaxaca.
Sur les bords des routes les restaurants mettent souvent en scène une marionnette en pleine action. Elles sont rarement effrayantes, plutôt joyeuses, voire même mutines. Il y en a de gigantesques dans toutes les maisons où Frida Kahlo a habité. Cette célébrité emblématique des femmes de caractère est très présente dans le dessin animé.
Le mexicain ne redoute pas la mort qui n'est qu'une étape vers l'au-delà. Je n'ai pas vécu de Dias de los muertos mais j'imagine l'effervescence puisque déjà en temps ordinaire ces représentations sont visibles partout. Des poignées de pétales de fleurs sont jetées pour guider les ancêtres vers leur famille depuis les tombes des cimetières où on va manger, danser, chanter, et réciter des prières, avant de défiler dans les rues. Pour avoir le droit de revenir, quelques heures durant la nuit, il faut que leur photo soit honorée sur l'autel par leur famille, en faisant danser la flamme d'une bougie à coté d'une offrande, des fleurs, ou des fruits, ou le plat qu'ils aimaient le plus déguster, par exemple ces tamales, qui sont des papillotes végétales à base de maïs (dont on peut se régaler au Zicatela).

Malgré les réticences familiales, Miguel sait qu’il a un talent et fait tout son possible pour le faire fructifier, quitte à s’entraîner en cachette. C’est justement en voulant participer au concours de talents, pourtant défendu par sa grand-mère, qu’il est propulsé dans le royaume des morts. Miguel y cherchera cet arrière-arrière grand-père dont il se sent si proche. Sa présence détonne dans le monde des squelettes où il est vite connu sous le nom d'enfant vivant. Je ne vais pas spolier le rebondissement final mais je voudrais insister sur l'importance de la pensée magique, notamment au travers des animaux fantastiques que sont les Alebrijes sculptés dans le bois de copal et peints de mille couleurs et que l'on trouve particulièrement dans la région de Oaxaca.
Dans le monde "réel" le chien de Miguel est de son coté assez particulier, ne serait-ce déjà que par son nom, Dante, qui est évidemment un clin d’oeil à l'enfer.

C'est la Poste centrale de Mexico qui a inspiré au réalisateur le décor de la gare qui assure le transit entre les deux mondes et quiconque est allé y poster un courrier la retrouve telle qu'elle est :
Lee Unkrich réussit à raconter une histoire précise culturellement, respectueuse, sans clichés et stéréotypes. Il a fait avec son équipe de nombreux voyages au Mexique durant plus de six ans pour collecter des éléments authentiques et cela se sent. L'essence même de ce que représente la cérémonie de Dia de los muertos est bien restituée.
On va donc suivre les péripéties de Miguel qui rêve de devenir musicien professionnel comme son idole : Ernesto de la Cruz. La musique est de fait très importante (et très réussie) dans le dessin animé. On remarquera que la volonté individuelle peut s'effacer devant l'intérêt familial car comme le dit Miguel : Rien n’est plus important que la famille. Et le petit garçon est alors prêt à sacrifier ses ambitions si c'est une condition rédhibitoire pour réintégrer les monde des vivants à la fin d'une nuit dont les couleurs sont celles que l'on peut admirer là-bas :
Coco est un film d'animation lumineux, magique, émouvant, capable de toucher un large public parce qu'il ne suscite aucune peur. Il n'est pas nécessaire de connaitre la signification des codes pour le comprendre mais un décryptage est une aide qui peut donner envie d'aller plus loin dans la découverte de ce que le Mexique a de fantastique.
Certains reprocheront à ce dernier Pixar d'user d'un ressort dramatique un peu trop similaire à Vaiana : La Légende du bout du monde, que l'on avait découvert l'an dernier. C'est encore un enfant qui doit faire face à la volonté familiale, forcément contraire à la sienne. Mais il pose avec justesse la question du pardon ... lequel n'est peut-être pas "obligatoire" pourvu qu'on puisse oublier afin de se libérer d'un lourd secret de famille.

Je n'ai qu'un regret : avoir été contrainte de le regarder en version française. J'aurais largement préféré une VO sous-titrée même si les personnages s'expriment avec un joli accent très réaliste et emploient de ci de là quelques mots d'espagnol. Espérons que cette version figurera sur le DVD.

D'ici là, et pour compléter ce billet, je vous propose la bande-annonce du film qui est sorti sur les écrans le 29 novembre 2017.

Cantate pour Lou Von Salomé

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Cantate pour Lou est à l'affiche depuis un moment mais une série de contretemps m'a contrainte à venir plusieurs fois pour voir le spectacle, en faisant démentir l'adage jamais deux sans trois puisque la représentation a bien eu lieu ce soir.

Les dates sont maintenant restreintes mais vous pouvez toujours voir la pièce jusqu'au 26 mars, les dimanche (15h) ou lundi (20 h).

Le travail d'écriture entrepris par Bérengère Dautun, qui signe sa première pièce est remarquable et elle a eu pleinement raison (à l’heure où, comme elle le souligne, certains droits de la femme -acquis depuis des années- risquent d’être remis en cause) de retracer la destinée de cette grande figure féminine chez qui tout était exceptionnel : beauté, intelligence, amour de la vie. 
Bérengère est une comédienne exceptionnelle dont je découvre à chaque fois une facette différente.

Le duo qu'elle compose avec Sylvia Roux (qui est aussi la directrice du théâtre) fonctionne parfaitement pour faire vivre une quinzaine de personnages aussi célèbres que déterminants. Il faut dire qu'elle sont complices depuis un moment puisqu'elles ont joué dans Compartiment fumeuses, qui est repris en ce moment dans ce même Studio Hébertot.

La scénographie retenue est simple mais permet d'installer des atmosphères différentes, évoquant chacune un épisode particulier de la vie par la projection d'images sur un immense voile blanc. Le choix de Stéphane Cottin est judicieux et très esthétique. C'est d'abord la neige qui tombe à flocons serrés sur Saint Pétersbourg le jour de la naissance de cette petite fille qu'on appellera Lou en hommage à sa mère Louise et dont le prénom, Salomé, est dérivé de shalom et signifie donc paix.

Le tempérament fougueux de l'enfant est immédiatement installé alors que Sylvia se balance sur un cheval de bois. Née en 1861, elle connut le meilleur et le pire : l’âge d’or viennois (Klimt, Schnitzler) comme l’ascension d’Hitler au pouvoir. Sa vie ne commence pas légèrement : son père meurt le 1é février 1878 alors qu'elle n'a que dix-sept ans. Elle reçoit alors le titre d'excellente qui justifie l'emploi  de ce petit mot "von" qui peut surprendre a priori.

Les épisodes se succèdent assez vite. Les deux actrices campent aussi bien des hommes que des femmes.
Vêtues toutes deux de la même longue et sobre robe noire, elles sont comme interchangeables et un détail permet d'identifier le personnage, comme un haut-de-forme pour Nietzsche. On reconnait par ailleurs Lou chez Sylvia au début de la pièce et chez Bérengère à la fin. La mise en scène d'Anne Bouvier est simple, et soignée, comme à son habitude. Il n'est pas indispensable de connaitre la vie de Lou pour apprécier ce spectacle même si ça aide.

L’attraction exercée par Lou est perceptible. Bérengère voulait montrer combien cette femme a révélé les êtres à eux-mêmes et suscitait les passions : Nietzsche, Paul Rée, Frida von Bulow... Mais aussi et surtout Rainer Maria Rilke qui sera son véritable premier amour... alors que c'est Andreas qu'elle aura épousé. Elle a tenu à souligner qu'elle n'avait jamais accepté de prendre le nom d'Andreas. Ce mariage n'a d'ailleurs jamais été consommé. Voilà ce qui justifie que la cantate soit dédiée à Lou von Salomé.

Le terme même de cantate est un petit clin d'oeil à Claudel qui a écrit la cantate à trois voix. Nietzsche écrira Zarathustra parce qu'elle ne l'aura pas eue, et pour se prouver sa puissance. Paul Rée se suicidera des années plus tard, faisant dire à Lou je ne fais donc que semer la mort et détruire ceux qui m'aiment.

La personnalité de Lou est complexe à bien des égards. Mais son intelligence est flamboyante, ce que reconnaitra Freud qui fut son maitre ... et admirateur, l'exhortant à se ménager parce qu'une fois devenue elle-même psychothérapeute elle n'hésite pas à suivre ses patients dix heures par jour.
Elle prend position contre la guerre que l'Allemagne déclare à sa chère Russie, qui provient de ce que les états ne se font pas psychanalyser.
C'est sincère, remarquablement documenté, envoutant du début à la fin quand la signature de Lou s'inscrit sur le vol d'un canard.
Cantate pour Lou Von Salomé de Bérengère Dautun
​Mise en scène : Anne Bouvier
Avec Bérengère Dautun et Sylvia Roux
Au Studio Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles - 75017 Paris - 01 42 93 13 04​ 
Jusqu'au 26 mars 2018

La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Jean-Pierre Lacan.

Une journée chez Bofinger

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Etre une petite souris (façon de parler) dans une grande brasserie comme Bofinger a quelque chose de fascinant. on s'imagine toujours des choses qui sont plus ou moins éloignées de la réalité.

Le décor y est magnifique et l'histoire du lieu est fascinante. J'en ai déjà parlé, en 2016 et en 2017, à l'occasion des célébrations que la maison organise le 6 décembre pour la Saint-Nicolas qui est un peu le patron de la maison puisqu'elle est alsacienne.

Je reviendrai sur le sujet en fin d'article pour ceux qui auraient manqué ces épisodes.

Mais avant ce sont les hommes et les femmes qui animent ce lieu exceptionnel que je voudrais mettre à l'honneur. Faire vivre un restaurant représente beaucoup de travail même si chaque personne que j'ai rencontré m'a répondu que ce n'était qu'une question d'organisation. Soit. Il en résulte que coté coulisses, l'ambiance est active mais respectueuse, très loin des séquences de Cauchemar en cuisine.

Vous verrez très peu d'images coté salle. C'est l'activité des fourneaux que j'ai voulu mettre en lumières.

Nous ferons ensuite un petit tour dans le décor si typique du rez-de-chaussée et du premier étage, sans oublier .... les toilettes qui sont peut-être les plus belles de la capitale et qui valent le détour.
On parle de coup de feu pour désigner ce moment où les commandes se bousculent et où l'agitation est à son paroxysme au passe-plat. Le jour de ma venue fut très chargé en terme de nombre de couverts et pourtant il n'y a guère eu d'agitation majeure. L'ambiance de travail fut calme et respectueuse. Les quelques soucis (il y en a forcément) furent réglés avec efficacité.

Bofinger, en coulisses, coté réserves
Même si les livraisons sont quotidiennes, notamment les poisons, qui arrivent entiers ou en filets, il faut une grande superficie de stockage pour des provisions comme la choucroute qui arrive évidemment d'Alsace, dans des futs de 25 kilos. Faites le calcul de l'espace nécessaire sachant qu'il s'en consomme environ 600 kilos par semaine.
En raison de la confection des plateaux de fruits de mer, il faut 10 kilos de citrons par jour, 25 en période de fête.
Pas question d'entreposer les déchets sur le trottoir. Une pièce est dédiée à un broyeur industriel conçu pour détruire les cartons, les cageots, les caissettes, les emballages plastique, le verre, la vaisselle, les boites en fer, les ordures ménagères, etc… qu'on appelle le rhinocéros ... un joli nom pour un appareil qui n'a rien de très "beau" mais dont l'utilité est indéniable.
Les chambres froides sont multiples et chacune est affectée à une catégorie de produits, en toute logique, où tout est emballé (rien ne doit demeurer à l'air libre) et cacheté d'un macaron mentionnant une date. La traçabilité ne tolère aucune faille. On devrait prendre cette habitude dans nos propres réfrigérateurs... Il y a par exemple le local à tubercules : pommes de terre, oignons, échalotes, ail. Un autre pour les fruits et légumes, comme le chou frais, vert. Quant aux truffes elles sont voisines de la choucroute, mais sous coffre fermant à clé.

Enfin qu'on se rassure, personne ne risque d'être bloqué dans ces armoires quasi glaciales (parfois 2°, parfois 4°, selon les produits) qui sont désormais équipées d'un bouton pousseur de l'intérieur, qui s'appelle "sécurité coup de poing". Le personnel porte néanmoins des vêtements adaptés aux basses température.

L'espace cuisine
Le banc de fruits de mer a trouvé sa place à l’intérieur, derrière des vitres pour être visible de la rue. Les cuisines ont été modernisées il y a dix-huit mois sous la houlette de Georges Belondrade, qui est le chef de la brasserie depuis 2004, et la routine en a été bousculée. Tout le matériel culinaire a été renouvelé, mais tout le monde a repris ses marques m'a expliqué son adjoint Stéphane Loaec. Il s'organise en quatre parties (cinq avec la plonge), la cuisine proprement dite, la poissonnerie (avec Teddy), la pâtisserie (pilotée par Ryad), l'espace hors d'oeuvres. Les entrées chaudes sont envoyées depuis la grillade.
Le choix d'un homard américain entier (qui pourra accompagner une choucroute royale ou être servi rôti flambé au whisky) est souvent discuté entre cuisiniers.

Le soir, les plongeurs épluchent les pommes de terre qui seront utilisées le lendemain, parce qu'on se le dise, on ne sert pas de frites surgelées chez Bofinger.
Depuis le matin le personnel prépare les sauces. Pour réussir la choucroute compter 50 kilos de chou cru pour 20 kilos d'oignons ... et 10 de saindoux (on ne peut donc pas dire que même sans les accompagnements de viande cela puisse être un plat végétarien). Elle va mijoter dans sa tisane - c'est le mot consacré- pour cette infusion de coriandre, cumin, baies de genièvre, ail, thym, laurier ... qui embaume dans la cuisine.
Les jarrets cuiront dans le jus qui aura été récupéré et qui servira aussi à réchauffer les saucisses fumées et les Strasbourg (en haut à gauche, les blanches, en bas à droite) alors que la sauce aux morilles mijote doucement au centre pendant 3 à 4 heures.
Tous les matins on préparera une purée maison. A l'approche de midi un des cuisiniers commence à "marquer" les viandes. Chacun sait ce qu'il a à faire. Un pâtissier remplit les coupelles de crème, pour n'avoir plus tard qu'à les enfourner et les caraméliser.
Les ramequins qui accueilleront l'appareil à soufflé sont soigneusement beurrés. Et pour ne pas avoir de mauvaise surprise, Ryan, le chef pâtissier, teste systématiquement la cuisson d'un soufflé. Il ne faudrait pas qu'il manque de Grand-Marnier ... Travailler en brasserie impose d'envoyer vite. Or la cuisson de ce dessert demande 18 minutes. Il n'y a donc pas de droit à l'erreur pendant le service.

Le service est lancé ...
Les piles d'assiettes sont rutilantes et prêtes à être garnies. Un tourniquet imposant a été conservé, à titre d'antiquité pratiquement, parce que l'on n'annonce plus les commandes en les hurlant devant le passe-plat. Tout arrive directement sur chaque poste de travail: entrées-plats-desserts, ce qui fait gagner en temps et en efficacité.

Il n'empêche que les garçons (je n'ai vu qu'une serveuse) ne chôment pas et ne s'attardent pas, ce qui explique qu'à une exception près vous ne les verrez pas en photo.
S'il y a un endroit stratégique c'est me semble-t-il le bar parce qu'il donne à la fois sur le hall et sur les cuisines. Les serveurs viennent y prendre toutes les boissons, froides ou chaudes, et les alcools pour flamber les rognons.
L'époque où les clients attendaient leur table en buvant un Dry Martini est révolue. Mais la maison est toujours réputée pour son Americano, un mélange de Martini rouge et de Campari, servi avec une tranche d'orange, et un zeste d'orange et de citron sur un trait de soda. En fin de repas ce sera l'Irish coffee.
Sadok a vingt ans de maison et se souvient des habitudes de nombreuses personnalités. Johnny Halliday aimait le boeuf tartare dont il se régalait avant d'aller chez son coiffeur qui est installé à deux pas.

Les entrées
Les entrées froides sont préparées dans un espace dédié. Aujourd'hui la Tomate mozza sera peu demandée. Je vois défiler ...
le Pâté en croûte maison, salade mélangée
un Tartare de crabe, légumes croquants
 le Cocktail avocat-crevettes
le Foie gras de canard à la fleur de sel, gelée au Pinot noir, pain de campagne qui est une des grandes spécialités de la maison

et le Carpaccio de Saint-Jacques au citron jaune, crème d'huître
A la grillade, sont préparées les entrées chaudes, comme la Soupe à l'oignon gratinée, qui remporte un succès constant, même au déjeuner
les Ravioles du Dauphiné, crème de Parmesan, ciboulette
ou encore les Ravioles de langoustines, coulis de crustacés
En plat, on a le choix bien sûr entre poissons et viandes
 des Filets de bar
 une Sole meunière (env. 350g. selon arrivage) toute frissonnante
une Quenelle de brochet Bobosse, sauce Nantua
 
des Noix de Saint-Jacques rôties, coulis de crustacés, risotto crémeux
 
un Saumon d'Ecosse, beurre blanc, écrasé de pommes de terre, jeune pousse d'épinard

D'autres plats sont réputés dans le restaurant comme le Baeckeoffe qui est réalisé non pas avec des viandes comme le veut la coutume mais avec des poissons (bar, saumon d’Écosse et haddock). La première spécialité de la maison est bien sûr la Choucroute, déclinée en cinq versions, même si on peut également y manger des plats de brasserie française classiques comme le tartare ou l’entrecôte.
La "fameuse"Choucroute Bofinger, photographiée avant qu'elle ne soit clochée pour conserver sa température. Très complète, elle se compose dejarret de porc demi-sel, saucisse blanche, saucisse au cumin, saucisse de Strasbourg, poitrine de porc fumé, échine, pommes à l'anglaise
La Choucroute royale de la mer (pour 2 personnes) est un des plus beaux plats :  un homard américain, Saint-Jacques poêlées, haddock, bar, quenelle de brochet, pommes à l'anglaise, beurre au raifort
le Parmentier de jarret
la sauce béarnaise, et les frites maison qui accopagneront une superbe entrecôte grillée (env. 330g.)
un Tartare de boeuf Charolais sera préparé devant le client, dans le grand saladier reposant sur un lit de glace. Il sera servi avec des frites maison et une salade de jeunes pousses
Magret de canard au poivre de Sichuan, légumes de saison
Comme la loi le prévoit (et avec le sourire) un serveur prépare une barquette pour que le client puisse ramener chez lui ce qu'il n'a pas consommé. En dehors de cette choucroute je n'ai vu revenir que des assiettes vides ... où ne subsistaient que des os, preuve que les clients apprécient la cuisine.
Fromage et desserts
Le traditionnel Munster fermier de la maison Siffert-Frech est un autre incontournable, à tel point qu'un tableau a été réalisé en son honneur et trône dans le hall.
Mais ce sont essentiellement des desserts sucrés que j'ai vu passer. Outre beaucoup de "cafés gourmands" et un Strudel aux pommes et raisins il y eut :
L'énorme Ile flottante, noix de pécan, caramel au beurre salé

le Moelleux au chocolat (cuit à la demande), crème glacée à la mascarpone
le Soufflé au Grand-Marnier (à commander en début de repas)
le Paris-Brest et quelques profiteroles au chocolat chaud Valrhona

La fin du service
L'atmosphère ayant été très active quoique sereine tout le long de la période on est un peu surpris de sentir un ralentissement qui se manifeste par des visites moins hâtives dans les cuisines,
que l'on commence doucement à ranger. Le maître d'hôtel Emmanuel Laroque relâche la pression.
Certains en profitent pour commenter des plats
et on vient chercher un dernier café au bar.
Stéphane s'est déjà éclipsé dans les chambres froides, pour contrôler qu'on ne manquera de rien ce soir.
Les écaillers briquent eux aussi leur espace de travail, visible depuis la rue. Qu’ils soient en plateaux ou cuisinés, Bofinger propose des fruits de mer de grande qualité. Sur place ou à emporter, les huîtres et les crustacés sont d'une fraîcheur et d'une qualité qui doivent être exemplaires.

Revenons maintenant sur le cadre
La volonté de son directeur, Frédéric Tabey, est de maintenir cette institution mythique dans son caractère tout en l'inscrivant dans l'air du temps. Il est bien entendu respectueux de la tradition, attentif à tout.
L’établissement a été fondé en 1864, à deux pas de la Bastille, au numéro de la rue éponyme, par l’Alsacien Frédéric Bofinger, qui était originaire de Colmar. Ce n’était alors qu’une "petite" winstub mais elle a marqué l’histoire puisque c’est dans cet établissement qu'a été installée la première pompe à pression parisienne alors que jusque-là la bière était simplement tirée du tonneau dans laquelle on la conservait. Chez Bofinger on la servait alors dans des pots en grès que les clients apportaient eux-mêmes et dont l’un d’entre eux servit de modèle pour la conception de l’enseigne que l’on peut encore admirer à l’entrée de l’établissement. A l'époque elle titrait entre 18 et 25° et on prit l’habitude de la consommer avec des spécialités alsaciennes comme la charcuterie et la choucroute. Bofinger devint vite le lieu de réunion des Alsaciens, nombreux à vivre et travailler comme menuisiers ou ébénistes dans ce quartier du Faubourg Saint-Antoine.
L’annexion par la Prusse de l’Alsace et de la Lorraine provoqua un afflux de réfugiés et assura le succès de l’établissement. On y vit aussi, entre autres, le chansonnier Aristide Bruant, qui y apportait ses propres œufs pour qu’on lui prépare une omelette qu’il disait succulente !

Dans les années 20, les gendres de Monsieur Bofinger reprirent l’affaire et décidèrent d’en faire la plus belle brasserie de Paris. Bofinger s’agrandit et connut une rénovation spectaculaire. Les murs étaient, et sont encore, à l'image de l’Art Nouveau.
Entre 1919 et 1921, l’architecte Legay, le décorateur Mitgen et les maîtres verriers Néret et Royé donnent à Bofinger le faste qui lui vaudra le surnom de "plus belle brasserie de Paris". Deux nouvelles salles prennent alors la place d’une crémerie et d’une boulangerie dont les piliers demeurent visibles. La salle de la coupole a été érigée en 1919 sur une cour aveugle, qui a longtemps servi d’endroit de stockage pour du charbon.
Une coupole ovale, typique de cette période Art déco, a été installée pour lui donner de la lumière et la décorer. Elle est ornée de motifs floraux et a été réalisée par les peintres-verriers Gaston Néret (verrier d’Hector Guimard) et Royé. Une énigme subsiste qui taraude Frédéric Tabey : au-dessus de la verrière les murs sont peints également. Sont-ce des esquisses réalisées en vue de la réfection qui a eu lieu en 1921 ? Les peintures ressemblent curieusement à ce qu'on voit en salle Hansi. Une autre hypothèse plaide pour une pièce secrète. A l’heure actuelle personne n’a pu répondre à ces interrogations…

Au centre de la salle, une desserte rehaussée d’une glycine (qui a remplacé la cigogne initiale) sépare les 32 tables les plus prisées de l’établissement. Autour de la salle, les murs sont ornés de frises, de médaillons sur toile et de macarons représentant des villes de vignobles.
On peut toujours admirer les miroirs biseautés, les luminaires en pâte de verre, les chapelières et autres accessoires en cuivre, et s’installer confortablement sur les banquettes matelassées, dans l'esprit de la Belle Epoque.
Les hérons et les barbotines à motifs floraux dispersés dans tout l’établissement sont des céramiques de Jérôme Massier (la dynastie Massier est considérée comme fondatrice de la céramique de Vallauris).
Les faux marbres ont résisté à l’épreuve du temps, et les traces des anciens bougeoirs à gaz sont visibles à un regard attentif. Les plaques en cuivre sont encore fixées sur les poutres pour indiquer la direction de la salle non fumeurs (sous la coupole), ou les toilettes, reconnaissables aux figurines féminine et masculine en robe 1900 et costume haut-de-forme.
La très belle rampe en fer battu de l’escalier menant à l’étage est décorée de motifs végétaux. Sa configuration à large révolution permet une vue panoramique au-dessus des convives.
Si on l’emprunte pour descendre, on aura la surprise de découvrir, dans les toilettes des hommes, des urinoirs ornés de têtes de dauphins en céramique blanche.
A l’étage, on découvre en premier lieu le Salon des Continents. L’Exposition coloniale internationale de 1931 est prétexte à orner ses murs de marqueteries de bois, enrichies de vraie nacre, toutes réalisées l’artiste peintre Panzani (neveu de la célèbre marque de pâtes), représentant les cinq continents.
On peut ainsi voir pour symboliser l'Asie une pagode et un palmier pour l’Afrique. Les deux images sont représentées une fois vus de jour, et plus loin vus de nuit, et alors inversées.
Les lustres sont l’oeuvre des Frères Müller, maîtres verriers de Lunéville. Pour la petite histoire, c’est dans cette salle qu’ont été prises de grandes décisions comme en 1924 la formation du le “Cartel des Gauches” par Edouard Herriot, président du parti radical. On peut y admirer un autre vitrail signé de Néret. Il représente Gambrinus, personnage symbole des amateurs de bières représentant la bonne humeur et la joie de vivre typique des Flandres, assis sur son tonneau.
Au début des années 30, à l’occasion d’une nouvelle extension, faite au marteau-piqueur, la brasserie s’étend encore sur la partie qui est désormais le Salon Hansi, célèbre illustrateur né lui aussi à Colmar (de son vrai nom Jean-Jacques Waltz, 1873 – 1951) qui en fut le décorateur et le concepteur de l’enseigne bleue de l’extérieur.
"La Noce Villageoise" de Spindler est encore accrochée sur le mur du fond. Son inscription "Vive la France" a été remplacée pendant la guerre par "Vive le Vin" de manière à pouvoir conserver le tableau sans froisser l’occupant germanique. On lit de nouveau aujourd’hui Vive la France mais la trace de la modification demeure visible lorsqu’on regarde le panneau de marqueterie en lumière rasante.
Les piliers sont décorés à la gloire des plats emblématiques de la cuisine alsacienne : Le Kougelhof, la Choucroute d'Alsace, le Foie gras de Strasbourg et la Soupe à l'oignon. Cette salle, décorée avec une simplicité presque naïve est particulièrement intime. On s'y sent en province, dans ce que cette impression a d'authentique et de sympathique. Le parquet craque sous les pas.
Quelques cigognes rappellent la région d’origine du fondateur. Il n'empêche que la pièce renferme elle aussi son lot de questions. personne ne sait en l'honneur de quelles villes les poutres maitresses ont été décorées :
Chaque salle a aujourd'hui son public. La période de la Seconde Guerre mondiale est définitivement oubliée. Elle avait marqué un ralentissement brutal dans l'activité de la brasserie.

Lorsqu’en 1968, Éric de Rothschild et Isidore Urtizverea l'ont rachetée, les figures du Tout Paris de la politique et de l’art se sont à nouveau pressées chez Bofinger, et l’endroit est redevenu à la mode. François Mitterrand (qui s’est assis à la table 25) a réservé le premier étage le 10 mai 1981 pour célébrer son entrée à l’Elysée. Les couturiers ont commencé à affluer des rues voisines, comme Jean-Paul Gaultier, Christian Lacroix, Azzedine Alaïa. Michel Polnareff fêtera son retour en France.
Le 13 mars 1989, la brasserie est inscrite à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques.
En 1996, Jean-Paul Bucher, le fondateur du Groupe Flo, fait l’acquisition de Bofinger qui ne désemplira plus. Comme je l’ai mentionné, des modernisations interviennent, surtout en cuisine mais la porte à tambour, le bar, l’escalier à vaste révolution, les banquettes de cuir noir matelassé, les appliques en bronze, les cuivres, les céramiques, les miroirs ... tout ce qui fait le charme de l'endroit demeure d’époque.
Sont également toujours en bonne place dans chaque espace les petits réchauds sur lesquels on flambe les crêpes Suzette dans de lourdes poêles de cuivre.

Je remercie vivement chacune des personnes qui ont supporté ma présence pendant le service et la patience avec laquelle on a répondu à mes nombreuses interrogations. Ma reconnaissance est entière pour Frédéric Tabey et son équipe, ainsi que pour Stéphane Loaec et sa brigade.

Cuisine française et spécialités alsaciennes
5-7 Rue de la Bastille, 75004 Paris - 01 42 72 87 82
Horaires : 12:00–15:00, 18:30–00:00
Vente à emporter possible

Seasonal Affective Disorder de Lola Molina

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Seasonal Affective Disorder avait été lauréat du prix Lucernaire Laurent Terzieff - Pascale de Boysson 2017, et le texte fut lauréat des Journées de Lyon des Auteurs. Cette pièce cinématographique annoncée comme une cavale amoureuse est reprise depuis la date symbolique de la Saint-Valentin et jusqu'à la fin du mois de mars.

Au début de la pièce, Dolly (Anne-Lise Heimburger) est dans un bar, sa situation est extrêmement trouble, et il y a cet homme, Vlad (Laurent Sauvage), un peu moins paumé qu’elle, qui lui propose un toit pour la nuit puis de partir avec elle.

Lola Molina, l’auteure, voulait qu’il y ait dans cette substitution du rêve à la réalité quelque chose de la subversion, du désir qui l’emporte sur la loi. L'intention de Lélio Plotton, le metteur en scène était de plonger le spectateur dans un hors-piste poétique, palpitant et amoureux. Ensemble, ils ont fondé la Compagnie Léla en 2007 et travaillent à la création d’espaces privilégiés d’écoute collective lors de la création de spectacles et d’installations sonores.

J'ai été moins convaincue par le recours à la vidéo, surtout parce que j'ai été éblouie par un faisceau lumineux très dérangeant qui a traversé la toile toute la soirée (visible sur la photo des saluts).

L'environnement déréglé, à la fois berceau et lieu hostile est représenté par des images matiérées, qui se teintent d’aplats de couleurs vives et artificielles, censés accompagner les variations des états intérieurs des personnages.

Le recours à un micro devait permettre d’accentuer certains évènements, de créer des gros plans sonores et de donner du mouvement. Les différentes atmosphères des lieux traversés sont légèrement modifiées, amplifiées par la peur ou l’excitation de la cavale. Pour ce faire le théâtre a eu recours à une diffusion en multicanal, mais il est probable que l'endroit où le spectateur est assis est un paramètre qui entre en ligne de compte. Toujours est-il que je n'ai pas vécu l'expérience immersive qui était annoncée.
Je garderai, malgré ces réserves, le souvenir d'un road-trip électrique à la hauteur de la légende de Bonnie & Clyde, porté par deux grands comédiens au travers d'une interprétation sensible, nuancée et néanmoins puissante.

La prochaine installation sonore de la compagnie, Epouse-moi / Arrache-moi, sera une déambulation sonore à partir de poèmes de Laura Kasischke, réalisée par Lélio Plotton et Arnaud Chappatte, en août 2018 à l’Abbaye de Noirlac, Centre culturel de rencontre, jusqu'au 30 novembre 2018. Leur prochain spectacle Nous n’avons pas vu la nuit tomber, écrit par Lola Molina, mis en scène par Lélio Plotton est en cours de production.
Seasonal Affective Disorder
De Lola Molina (texte édité aux Editions Théâtrales)
Mis en scène par Lélio Plotton
avec Laurent Sauvage (Vlad) et Anne-Lise Heimburger (Dolly)
Création sonore : Bastien Varigault
Création Vidéo : Jonathan Michel
Création Lumières : Françoise Michel
Du 14 février au 31 mars 2018
A 21 heures du mardi au samedi
Au Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs - 75006 Paris
Réservations : 01 45 44 57 34
Le 28 mai 2018 au Théâtre la Décale à Vierzon

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Jonathan Michel

Douce-amère de Jean Poiret

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Je suis venue voir Douce-amère avec la conviction que j'allais découvrir "le" spectacle de l'année. Parce que les Bouffes-Parisiens sont un très joli théâtre, que le duo Mélanie Doutey-Michel Fau promettait et que le texte de Jean Poiret n'aurait rien perdu de sa force, j'en étais persuadée.

J'ai sans doute été influencée par l'affiche : je m'attendais à un duo et je découvre une pléiade d'acteurs.

Je pensais voir une pièce en tonalités noir et blanc et ce sont des couleurs psychédéliques qui explosent sous un scialytique.
Beaucoup de spectacles sont en ce moment inscrits dans les années 70. Pourquoi a-t-il fallu que l'équipe ait à ce point forcé le ton ?  Le décor est une sorte de vaisseau spatial accroché au-dessus d'un étang solognot ou d'une scène de reconstitution d'un crime, mais on se demande lequel ... Seraient-ce un des adultères à répétition de la jeune femme ?

On pourrait se croire dans une séquence d'Orange mécanique quoique la violence ne soit que verbale. Le plateau tourne comme un manège, faisant valser les amoureux.

Élisabeth a aimé Philippe pendant huit ans. Aujourd'hui, le couple s'est usé. Sous le regard circonspect du mari délaissé, nombreux sont alors les prétendants qui gravitent autour d'une femme libre, moderne et séduisante. Étourdie par cette danse sentimentale, Élisabeth saura-t-elle résister à l'angoisse envahissante d'une inéluctable solitude ?
Douce-amère est une pièce oubliée de Jean Poiret créée par Jean Charon, avec la merveilleuse Nicole Courcel en 1970 au Théâtre de la Renaissance. Il parait que ce fut ce qu'on appelle un flop. On oublia très vite puisque Jean Poiret écrivit ensuite la Cage aux folles qui connut le plus grand succès de sa carrière. C'est donc bien courageux de la part de Michel Fau d'avoir voulu s'y atteler.

Le texte, malheureusement, n'a pas rajeuni. Il est daté et le spectateur est noyé par une argumentation qui n'a rien de moderne. Mélanie Doutey le récite si vite, et presque mécaniquement, qu'on peine à suivre ... avant de décrocher, je le reconnais, parce que rien n'est drôle. Il suinte une mélancolie et une tristesse qui génèrent l'ennui. On nous promet de l'insolent et de l'imprévisible. Une fois qu'on a compris que la jeune femme considérait l'homme comme un objet il n'y a rien qui ne surprenne ensuite. Quant à l'interprétation de Michel Fau, elle ne fait pas oublier la voix et le phrasé si particulier de Jean Poiret qu'on a en permanence l'impression d'entendre, comme s'il soufflait les répliques depuis les coulisses.

Il faut oser une phrase comme celle-ci : sans Judas pas de Jésus ! Ou encore Je subjugue en demi-teintes mais j'en ai un peu perdu mes demi teintes ... Il faudrait peut-être lire la pièce pour la juger en son âme et conscience au lieu de lui faire un procès et conclure hâtivement qu'elle a été écrite par Jean Poiret ... pour lui-même. 

La distribution est inégale. Les personnages secondaires ont peu de présence. 

J'avoue que le nombre incroyable de versions de My Way (Comme d'habitude en français) a perturbé ma capacité de concentration. Nous l'entendîmes chanté par Claude François, Franck Sinatra, Mireille Mathieu et même Régine, pardon pour les interprètes que j'oublie. Et ne boudons pas notre chance de n'avoir pas subi les 1143 versions existantes interprétées par 607 artistes. C'est à croire qu'il n'y a pas une seule autre chanson pour exprimer la routine du quotidien, au sein de la vie de couple.

Coté costumes, le tissu d'ameublement aux grands ramages bleus porté par Michel Fau est pour le moins étonnant. Mélanie Doutey assure presque une performance de mannequin, avec quasiment une tenue par scène alors que ses amants conservent les mêmes vêtements ... ou pas pour celui qui demeure aussi dévêtu que Tarzan dans la jungle.

Pourquoi je n'ai pas su te voir tel que je t'imaginais ? C'est Poiret qui l'écrit et je pourrais reprendre la formule à mon compte. Voilà ce que c'est que d'imaginer avant d'aller au spectacle.
Mon ultime conseil est a minima de choisir une place en corbeille parce que dresser la tête toute la durée de la représentation pour tenter d'accrocher le regard des comédiens juchés debout sur le canapé provoque un peu de tension dans les cervicales.

A la fin, Mélanie et Michel sont cramponnés à la balustrade qui évoque la proue d'un navire avant son naufrage. Je m'attends à entendre s'élever la voix de Céline Dion mais ce n'est pas My heart will go on qui retentit. C'est encore Comme d'habitude qui revient en boucle.

Annoncée comme une pièce évènement, mise en scène et interprétée par un comédien exceptionnel, Douce-amèreétait tout de suite soumise à une très forte attente. La lecture du programme indique que Michel Fau a cumulé plusieurs postes. Il joue et se met lui même en scène, en s'entourant de ses proches, Bernard Fau et Pascale Fau. A-t-il manqué de regards extérieurs ...?  Toujours est-il que le spectacle me laisse une impression douce-amère.
Douce-amère de Jean Poiret
Mise en scène de Michel Fau
Avec Michel Fau, Mélanie Doutey, David Kammenos, Christophe Paou, Rémy Laquittant
Au Théâtre des Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny 75002 Paris
Du mardi au samedi à 21 heures
Le dimanche à 15 heures
Jusqu'au 22 avril 2018

A l'heure du goûter chez François Gagnaire

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Anicia, le bistrot nature de François Gagnaire est animé à toute heure. Outre le déjeuner et le dîner, on peut s'y retrouver en milieu d'après-midi pour y déguster un des nombreux thés qui figurent sur la longue carte ou des cafés bio de L’Arbre à Café, à moins de préférer une tisane ou une infusion.

Il y a une spécialité que je voulais découvrir depuis longtemps, c'est le chocolat noir Grand Cru Weiss avec son nuage de foin.

La boisson est onctueuse comme un sirop épais. La chantilly  est aérienne, exhalant un parfum végétal, que lui procure le foin du Mézenc dans lequel elle a infusé.

La saveur est subtile mais présente parce qu'il y a un peu de foin aussi dans la crème, visible à l'oeil, et agréablement décelable en bouche.

Tout le mois de janvier, on pouvait accompagner la boisson d'une part de galette des Rois, fourrée d'une crème frangipane et purée de lentilles.
D'habitude il y a de quoi hésiter entre la tarte au chocolat et le cake au citron, puissamment citronné mais peu sucré, qui n’a pas besoin d'être enjolivé par un glaçage royal ou des tranches de fruits confits pour fondre en bouche.
Mais ma préférence va directement à la madeleine qu'il faut goûter au moins une fois dans sa vie. C'est une gourmandise exceptionnelle, fondante, cuite quelques minutes avant d’arriver, servie tiède.
Franchement les cookies ne sont pas en reste. Ils sont riches de pépites de chocolat et surtout ils ne sont pas secs.
La musique, jazzy à cette heure, n'empêche pas de discuter ou de se concentrer sur une lecture piochée sur les cimaises. On pourra bien sur profiter de son passage pour regarder le rayon d'épicerie fine où François Gagnaire met en valeur les produits de sa région natale, le Velay.
Mais il n'est pas chauvin puisqu'on y trouvera quelques autres aliments comme le miel Honly. Je vous recommande l'endroit dont la décoration est aussi nature que le bistrot. Vous en trouverez une description détaillée ainsi qu'un échantillon des plats proposés par le chef en suivant le lien associé au nom d'Anicia, au début de l'article, qui renvoie sur ce que j'ai écrit en janvier dernier.
Anicia
97, Rue du Cherche Midi, 75006 Paris
01 43 35 41 50

Nuit d'ivresse, en coulisses et sur la scène de la Michodière

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Il m’arrive de rencontrer les comédiens après le spectacle. Une fois passé le cap (essentiel, je le dis toujours) des félicitations il arrive qu’on aborde des sujets très sérieux, qu’on se lance dans une conversation pointue à propos de l’adaptation, des parti-pris de mise en scène.

La matière ne manque pas et on entend parfois de jolies confidences que je ne partage pas systématiquement sur les réseaux sociaux.

Jean-Luc Reichmann avait voulu ce soir voir une poignée de blogueurs, à jeun si je puis dire, puisque c’est une heure avant le lever du rideau que nous avons discuté avec les comédiens dans le foyer François Perrier du Théâtre de la Michodière.

Nuit d’ivresse parlait à chacun de nous, pour l’avoir vu au théâtre ou au cinéma. Les plus jeunes d’entre nous avaient pu facilement mettre à jour leurs connaissances avant la rencontre. Il suffisait d’interroger le célèbre moteur de recherches. On avait tous des questions à poser et on aurait pu faire louper la montée sur scène tant il fut passionnant d'écouter les comédiens.

Jean-Luc avait connu un grand succès avec Hibernatus et rêvait une performance semblable. Il avait déjà contacté plusieurs grands auteurs de théâtre comme Eric Assous et Jean-Luc Moreau. Et puis il a pensé à Nuit d'ivresse, pour jouer le rôle d'un animateur de télé, lui qui le fait au naturel dans sa vie de tous les jours, en ayant le souhait insensé de passer derrière les monstres de scène que furent Michel Blanc, Thierry Lhermitte et Josiane Balasko. Comme si le défi était encore trop faible il a voulu décaler le propos en reprenant la pièce avec uniquement des hommes.

Richard Caillat, un des directeurs associés de la Michodière lui a dit banco. Restait à convaincre Josiane Balasko qui fut, parait-il, sonnée 5 secondes, provoquant un silence dont Jean-Luc garde un souvenir d'éternité. Faut voir ... a-t-elle consenti. Toujours est-il que 48 heures plus tard elle terminé l'adaptation qu'elle lui remettait en le mettant en garde : Attention ! Belin il est plus ras du bonnet que toi.

Jean-Luc n'a pas eu peur de la comparaison et a rajouté des choses "téeffunuesques" de temps en temps. Je mets une louche en pensant à ce que je vis sur TF1 ...
Ce qui est formidable c'est que la pièce n'est pas une suite, voilà pourquoi le chiffre 2 n'apparait pas.  Le titre est une belle marque, alors effectivement pourquoi le modifier ? C'est simplement une autre version de l’histoire et nous sommes tous ressortis enchantés.

Le début de la soirée démarre dans l’ivresse absolue avant de poursuivre sur la rencontre de deux humanités en dehors de l’influence de toute mondanité. Thierry Lopez est Charlie (Simone dans la version d'origine), qu'il joue avec une élégance assurée, et une sensibilité subtile sans tomber dans le cliché. Le troisième compère est Stéphane Boucher qui interprète le barman Henri dans toute sa splendeur.

On forme une espèce de triumvirat même si on se tchopine toute la soirée, promet Jean-Luc qui est très heureux de constater que des grands parents osent amener pour la première fois leurs petits enfants à un spectacle vivant tout autant que d'entendre rire des ados pendant la soirée.

Le comédien ne renie pas son expérience télévisuelle : Ok c’est la télé qui arrive au théâtre mais on remplit les salles, dit-il pour répondre aux critiques (que nous ne formulions pas). Sa popularité attire le public. Tout le monde ne le sait pas mais il est totalement légitime sur le plateau. Il fut élève au cours Florent avec Raymond Acquaviva et il a commencé sa carrière au théâtre. Il a aussi été pendant 15 ans membre de la ligue d'improvisation française.

La mise en scène est de Nathalie Lecoultre, qui est Mme Reichmann à la vie. Être dirigé sur scène par son épouse rendait plus grande la prise de risques mais Jean-Luc aime les défis : s’il n’y a pas de danger ça ne m’intéresse pas. Quant à Balasko elle a laissé les clés à Nathalie pour la mise en scène, ne venant à aucune répétition. Il faut dire qu'elle était mobilisée sur La femme rompue qu'elle joue au Théâtre Hébertot (où elle est formidable, ce dont je parlerai bientôt).

Elle ne leur donna qu'un conseil : Surtout pensez à rigoler ! Et elle vint tout de même à la première qui manifestement fut un moment joyeux pour elle puisque qu'elle s'est écrié à la fin mais quelle bonne idée tu as eue tout en montant immédiatement sur scène.
Le décor campe le Café de la gare et on pense au Splendid mais peu importe. C’est le Terminus et c’est une fin de soirée, trop arrosée pour Jacques Belin dont on saura bientôt quel triste événement il tente d’oublier. Quant à Charlie, il attend un train pour Cherbourg (ville sympathique, je ne peux m'empêcher de digresser en me souvenant d'un séjour là-bas, d'un déjeuner à la Satrouille, au bord du quai où Demy tourna Les parapluies et où on les fabrique depuis ... une de ces histoires improbables que je vous recommande de lire).

Jean-Luc est applaudi dès son entrée en scène, ce qui m’impressionne toujours, car qui aurait l’idée de troubler l’arrivée d’un Michel Bouquet ... mais nous sommes dans le théâtre privé. On y vient encore pour une tête d’affiche (on comprend mieux ce que Jean-Luc nous confiait il y a quelques minutes) mais ils sont bien trois comédiens, et tous excellents. Franchement le spectacle mérite une note très élevée parce que tout y est réussi. On oublie très vite qu'on connait l'histoire et on plonge dedans avec délice.

On voit tout de suite que rien ne prédisposait Jacques et Charlie à se rencontrer et à sympathiser, voir plus si affinités. Y a que vous qui discutez se plaint le premier tandis que son partenaire demande un perroquet. On se régale du sous-texte de Josiane Balasko.

L'écriture est aux petits oignons. Et on a très envie de lire la pièce à la sortie. Des répliques s'impriment dans notre cerveau, qui pourraient devenir cultes, comme J’adore Deauville en automne quand les planches sont désertes (je vous fais grâce de mes adresses) juste avant que Reichmann n'imite fantastiquement bien la mouette. Plus tard son compère fera un pigeon très réussi.

C'est un jeu de ping pong auquel on assiste et qui donne envie d'écrire un quizz à la sortie. Et six sous, c’est pas cher dit Jean-Luc. Qui a reconnu Bourvil ? Un pays qui se trouve à sept heures de décalage avec Paris. Qui a pensé au Mexique ? C'est facile pour moi, je connais le pays. C’est une journée idéale ... Qui pense comme moi qu'on va entendre Claude François chanter le lundi au soleil ?
Le décor, le texte, la mise en scène, les costumes ... tout est cohérent et sans critique possible. Il y a plus encore avec des chorégraphies très réussies aussi. Il faut saluer le travail d'Anouk Viale. La scène de la majorette est revue, corrigée,  majorée. On ne cherche pas comment c'était avant, ce qu'on entend et ce qu'on voit est si cohérent qu'on pourrait croire que ça a toujours été écrit comme ça.
La rencontre qui avait eu lieu avant a pris, après coup, une tournure surréaliste parce que j'avais interrogé Jean-Luc Reichmann à propos de la signification d'expressions françaises tout simplement parce qu'il voulait connaitre l'origine du nom du blog A bride abattue. J'avais enchainé sur ça mange pas de pain dont il ne connaissait pas la signification. J'avais complètement oublié que c'est une des répliques de la pièce ! Tout comme l'affirmation qu'Il n’y a aucune magouille à la télévision.
Nous avons eu envie de nous lever à la fin et de crier bravo comme Balasko. Ce que jean-Luc Reichmann appelle un voyage ne fait aucun doute. Cette Nuit d'ivresse est LA comédie à ne rater sous aucun prétexte !

Ce fut une drôle d’idée de les rencontrer avant, parce que en sortant de la représentation ce sont d’autres questions qui me viennent à l’esprit. Je brûle d’envie de demander à Thierry Lopez ou à Jean-Luc Reichmann s’ils sont allés au Mexique (que je connais bien et je confirme qu'on y rencontre les types les plus cools au monde). Bonne idée en tout cas puisque nous avons tous pu rentrer suffisamment tôt chez nous pour nous jeter devant la fin de la cérémonie des César qui a couronné Jeanne Balibarpour son interprétation dans Barbara, le vrai-faux biopic de Mathieu Amalric sur la chanteuse (un de mes très grands coups de coeur) et entendre le magnifique discours de la productrice de Au revoir là-haut, venue chercher le César du meilleur réalisateur pour Albert Dupontel pour Au revoir là-haut.

Nuit d'ivresse
Une comédie de Josiane Balasko
Mise en scène de Nathalie Lecoultre
Avec Jean-Luc Reichmann, Thierry Lopez et Stéphane Boucher.
A partir du 25 janvier 2018
Du jeudi au samedi à 20h30
Matinées le samedi à 16h30
Matinées le dimanche à 15h30
Au Théâtre de la Michodière
4, Rue de la Michodière, 75002 Paris
01 47 42 95 22

Défilé PAP Automne-Hiver 2018-19 de Kristina Fidelskaya

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Kristina Fidelskaya avait choisi le cadre du Musée de l'Armée pour présenter sa nouvelle collection Prêt-à-Porter Automne-Hiver 2018-19. Si les créations, aussi bien Haute-couture que PAP, sont généralement attirantes il est rare qu'elles donnent aussi immédiatement envie de se les approprier.
J'ai été conquise par de multiples détails et j'ai reçu avec bonheur une leçon de mode que je m'efforcerai d'appliquer. Je vous en livrerai les fondamentaux en images au fur et à mesure.
La designer ukrainienne, basée à Dubaï, a déjà dix ans de métier même si on ne la connait que depuis peu à Paris. Ce défilé était son second dans la capitale et si je n'ai pas assisté au premier (en septembre dernier pour la collection PAP Printemps-Eté) j'ai pu constater à la fois des constantes et des évolutions en visionnant les photos.


On ne voit pas chez elle de tissus imprimé de grands motifs et elle privilégie l'uni avec un jeu de quelques couleurs. Pour l'hiver prochain ce seront le noir, le blanc (deux couleurs qu'elle affectionne) mais aussi le bronze, le camel et un très joli gris acier aux reflets bleutés.

La couleur vive est discrète mais présente. On voit surgir le corail sur un blouson ou une chaussure basse, et parmi les motifs d'un foulard plié qui dépasse légèrement du décolleté d'une robe-manteau (un des best-of de Kristina) ou qui flotte comme une bannière au bout d'un sac.
On remarque les manches trois-quarts de cette robe-manteau d'où dépassent des manches démesurées, tout à fait typiques du style de la créatrice.
D'une saison à l'autre on retrouve les bottes, recouvertes de guêtres à fermeture éclair en hiver, de très longues ceintures (même si elles sont moins démesurées cette fois-ci) qui peuvent être nouées, dédaignant l'usage de la boucle pourtant présente, rappelant les créations de Elsa Peretti pour Halston.  Ou même détournée en cache-cou quand elle est en fourrure.
Avec ou sans ceinture, de 5 comme de 10 centimètres de largeur, la taille est toujours marquée, à une exception près avec cette blouse fluide d'où s'échappe une jupe bouillonnante ponctuée de pois brillants. Le même tissu a servi pour un chemisier qui accompagne une jupe marron glacé dont le plissé est inspiré par le travail de Mariano Fortuny.
La créatrice ose la transparence, mettant en valeur la poitrine ou les jambes, qui se montrent franchement sous une jupe hautement fendue. On regrette alors que les mannequins soient si maigres ... et rarement souriantes, comme si la mode était quelque chose de si sérieux qu'il faut l'arborer le visage fermé ...


Comme elles semblent confortables ces chaussures-chaussettes plates ! Aussi belles avec une jupe que sous un pantalon.
Kristina réitère les découpes comme elle les avait pratiquées dans la précédente collection. La ligne est près du corps mais une ceinture battant l'air ou des franges de soie confèrent de la fluidité à la silhouette.

Qui dit hiver dit fourrure, fausse bien entendu. On la surprend au bout d'un bras, telle une moufle gigantesque, ou sur la hanche, en manchon dont la courroie est articulée.
Le blouson à capuche demeure lui aussi au fil des saisons. Là sur un pantalon aux poches plaquées au-dessus des genoux.
Mais s'ajoute désormais le shearling (peau de mouton retournée) en combinaison avec le vinyl, que l'on trouvera marqué par l'influence des couleurs et textures du travail d'Alberto Burri.
La collection reprend également l'ADN de Montana, avec ses épaules oversize, et ses silhouettes précises qui marquent et dessinent la taille au moyen cette fois de très larges ceintures.
J'ai applaudi une veste de laine blanche, toute droite, coupée comme un veste d'homme sans réellement donner une allure androgyne.
Les jeux de matières sont très réussis comme en témoignent les photos. Le cachemire réconfortant se mélange au coton laminé, et la soie. Une laine noire mate s'associe à un vinyl brillant ; une gabardine bleu marine est rehaussé d'une ceinture noire.
Une soie bronze jouxte un Prince de Galles ton sur ton. Les surpiqures blanches sont discrètes mais perceptibles sur les manches chocolat.
Un imper léger et transparent flotte sur un trench. Les superpositions et les découpes originales se conjuguent avec élégance.
 
Enfin le soir les épaules sont dénudées ... émergeant en toute simplicité d'un décolleté de soie noire.
Kristina Fidelskaya prouve avec ce défilé qui aura duré presque trente minutes, combien elle sait désormais combiner modernité et classicisme avec élégance et féminité, tout en osant parfois un clin d'oeil androgyne. Les modèles semblent faciles à porter, en de multiples circonstances, soulignant intelligemment la silhouette.

On murmure qu'elle a songé à Stella Tennant en dessinant les vêtements. Cette top-model iconique des années 2000 aimant avant tout les vêtements intemporels et confortables qui ne risquaient pas de devenir ridicules à porter vingt ans plus tard. Son style cent fois copié jamais égalé, se traduisait par une fantaisie de superpositions de styles que l'on retrouve effectivement dans ce défilé.

Si on reconnait des constantes par rapport à la précédente collection on remarque que la créatrice joue avec plus de charme sur les formes, les structures et les matières. Elle révèle un don manifeste. Il faut, de toute évidence, ne pas la perdre du vue.
Ce sont surtout les top-models et l'équipe de la créatrice qui ont profité du cadre, assez magique mais je ne me suis pas sentie frustrée parce que j'avais eu la chance d'une visite guidée privée dans ce très beau musée il y a quelques années. je vous le recommande fortement.
En levant le nez on pouvait quand même admirer d'immenses scènes de bataille.
Peut-être aurez-vous la chance de surprendre comme je l'ai fait une petite troupe de ... lapins pas du tout sauvages près des canons (on les voit très bien en cliquant sur l'image qui apparait en grand format).
La silhouette de Napoléon semblait monter la garde lorsque nous avons quitté les Invalides à la nuit  tombée ...
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont @imaxtree.com

Tesnota de Kantemir Balagov

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Je suis allée voir Tesnota en projection à l’ARP, qui se trouve dans une maison d’un autre siècle, au fond d’une cour pavée derrière les bouillonnants Champs-Elysées. Le voyage avait commencé.

Le film (dont la sortie en salles est programmée pour demain) est le premier long-métrage russe du jeune Kantemir Balagov, né en 1991 à Naltchik, ­capitale de la République caucasienne de Kabardino-Balkarie.

Le réalisateur nous offre une plongée dans des univers éloignés de notre quotidien à de multiples points de vue, sans gommer la violence qui s’exerce à l'encontre les femmes, ou entre les communautés qui vivaient dans sa ville natale avant l'an 2000.

Son film a une allure de documentaire, aussi bien dans la façon de cadrer les personnages que par le choix du sujet. Il inclue d'ailleurs des images d'archives pour étayer son propos et lui donner plus de poids. Il n'a pas trente ans et Tesnota et un film choc salué à Cannes en 2017 et dans plusieurs festivals où il a été 8 fois nominé et 2 fois primé.

Cependant les lumières sont magnifiques et subliment les plans sans atténuer leur portée dramatique.

Ça commence dans le garage paternel où Ilana (extraordinaire Darya Zhovner), 24 ans, termine une réparation délicate en écoutant de la musique ... kabarde en toute connivence avec un papa qui déraille un peu, dépassé par le modernisme. On s’étonne du réflexe de verrouiller la porte après le passage du client comme s’il y avait un risque à ne pas se cadenasser. On comprendra plus tard que ce n'est pas un fantasme.

L’action se situe en 1998, il y a donc vingt ans, et la première surprise est de découvrir des rues défoncées, et une maison rafistolée. Le portail ne s'ouvre pas avec une télécommande, mais le téléphone portable existe déjà. La vie est difficile mais la dignité est préservée.

L'aide d'Ilana est indispensable pour cette famille qui a du mal à joindre les deux bouts. La jeune femme aux allures de garçon manqué est proche de son père et le soutient dans ses petites défaillances. Elle adore aussi son frère David avec qui elle a une très forte connivence, plutôt joyeuse, qui pourrait suggérer quelque chose de l’ordre de l’incestuel. Elle partage avec lui une cigarette, à l’extérieur de la maison, malgré un froid glacial, pas seulement par respect pour les autres occupants mais surtout parce que fumer, pour une femme, cela ne se fait pas. On la voit mâcher un chewing-gum avant de rentrer pour passer inaperçue au nez fin de sa mère. C’est le premier mensonge.

Elle a peu de points communs avec sa mère, pour qui la religion est un pilier. Si elle consent à passer une robe pour les fiançailles de son frère David avec Léa, elle n’ira pas jusqu’à accepter les avances de Rafa pour faire plaisir à sa communauté. C'est que, sans renier sa culture juive, Ilana est amoureuse d’un kabarde (musulman).

David et Léa, Mazel tov ! La cérémonie est ponctuée de gestes tendres, illustrant la joie simple d’être ensemble. Le réalisateur nous fait partager au plus près l’intimité de cette famille qui vit presque en vase clos. Une suite de gros plans annonce le drame. Mais pour le moment, Ilana s’enfuit comme une voleuse de ce repas de fête et de paix, pour rejoindre son amant Nazim, pompiste à la forte carrure,  appartenant au peuple kabarde, vieux lignage nord-caucasien tardivement converti à l’Islam.

Dans la nuit, David et sa fiancée sont kidnappés (par des ­Kabardes) et une rançon réclamée. Comment faire pour réunir la somme nécessaire et sauver David ? Ilana et ses parents, chacun à leur façon, iront au bout de leur choix, au risque de bouleverser l'équilibre familial.

Ce film est bouleversant parce qu'on comprend que les familles vont devoir faire face seules, sans l'appui de la police. L'appeler est exclu dans cette communauté juive repliée sur elle-même. Bien entendu personne n'a suffisamment d'argent pour payer la rançon. Les deux mères, côte à côte, sont suspendues aux tractations que mènent les hommes. Un membre de la communauté, avide de récupérer le garage pour une bouchée de pain, propose son aide à un prix si dérisoire que le père proteste. Tu me vexes ... lui répond son "ami" avec une malhonnêteté perfide.

Une autre solution serait d'accepter la somme offerte par leur riche voisin, les parents de Rafa, en dot du mariage de leur fils avec Ilana qui refuse depuis longtemps les avances du jeune homme. J’ai mon fils à sauver dit la mère à sa fille en guise de justification.

Est-ce une raison suffisante pour accepter de se sacrifier ? Le spectateur va suivre le combat d'Ilana pour sa liberté parallèlement à celui de ses parents pour reconquérir leur fils. Le cadre carré, les plans serrés, et la saturation des couleurs chaudes participent à ce sentiment de malaise lié à la difficulté à exister librement, très intelligemment signifié par le sous-titre français, Une vie étroite.

Des histoires d'enlèvements comme celui qui se trouve au centre du film étaient relativement courantes dans les années 1990 (ces problèmes-là n’existent plus depuis le début des années 2000). En faisant ses études de cinéma, Kantemir Balagov s'est dit qu'elles seraient intéressantes à exploiter d'un point de vue cinématographique et a ainsi commencé à interroger la diaspora juive dans la ville de Naltchik à ce sujet.

Evidemment, tout le monde est prêt à tout pour sauver un proche, mais ce que le réalisateur a voulu montrer, c'est ce que les membres d'une famille n'étaient pas prêts à faire pour sauver David. Il a utilisé un ensemble de faits issus de différentes histoires analogues pour écrire le scénario avec son coscénariste, Anton Yarush, qui est de Saint-Pétersbourg. Il s'est aussi inspiré de films comme Mouchette de Robert Bresson ou Rosetta des frères Dardenne.

Il tenait à ce que les personnages juifs du film soient joués par des Juifs et les Kabardes par des Kabardes. Darya Zhovner a été trouvée à Moscou et venait de terminer ses études à l’école-studio du MKhaT, le Théâtre d’art de la ville. Ses parents sont des acteurs de théâtre. Elle fait preuve dans le film d'un charme électrique qui explose indubitablement.

Pour des raisons budgétaires, seules les scènes d'extérieur ont été tournées dans la ville Naltchik, pendant seulement quatre jours. les autres ont été filmées à Saint-Pétersbourg, de fin septembre 2016 à fin octobre.

Plusieurs vidéos d’exécutions sont diffusées dans le film. La plus longue est une vidéo qu'il avait récupéré quand il avait douze ou treize ans, sur K7 ou sur DVD. Le cinéaste confie : "Je m’en souviens car c’était la première fois que je me trouvais confronté à la mort, que je voyais quelqu’un mourir lentement. Nous, on était scotchés devant ces images qui dataient de 1998, et qui avaient été tournées dans un village daghestanais. On ne nourrissait pas de sentiments antirusses, on ne se délectait pas de cette bande, mais on n’arrivait pas à s’en détacher… Les réactions des personnages à la vue de cette K7 sont à l’image de celles que mes copains et moi avions, très différentes de l’un à l’autre."

La violence de ces images d'archives justifie l'interdiction aux moins de 12 ans. Je dois dire que j'ai trouvé insoutenables les images de torture et d’égorgement de soldats russes perpétrés par des Islamistes tchétchènes... précisément parce qu'elles ne sont pas de la fiction. On se souvient de la première guerre de Tchétchénie, République proche qui a conquis son indépendance. Sa férocité ravive le souvenir des atrocités de la po­litique stalinienne et des déportations de population, encourageant en même temps la montée du fondamentalisme islamique.

Le réalisateur utilise ces vidéos en contrepoint du chantage dont Ilana est victime. La jeune femme tente de trouver refuge auprès de Nazim, mais découvre la fascination qu’exerce sur lui et sur ses amis, le spectacle proprement monstrueux de la propagande islamiste, alimentant une haine séculaire et universelle des juifs, faisant dire à un jeune Tcherkesse qu’on devrait continuer à transformer les juifs en savons.

Suivent des scènes de beuveries sur une musique techno où Ilana joue la défonce avec une vérité criante. Elle devient magnétique, la voix brisée et le corps scarifié par un éclairage stroboscopique qui est suggéré par l'affiche.

La rançon sera payée. Le fils sera libéré et choisira de rester là avec sa fiancée. On le voit porter un blouson brodé d'un lion dans le dos alors que sa soeur n'a pas quitté le sien, orné d'un loup.... Ilana partira avec ses parents dans leur guimbarde qui tombe en panne régulièrement, montrant qu'elle est autant à bout de courses que ses parents. Il faut déménager, encore, et tenter de continuer à vivre, ou survivre. Comment protéger nos enfants ? Telle est bien la question commune à tous les parents.

Le film finit comme il a commencé, avec une très belle scène de repas, symbole de partage, en pique-nique improvisé. Peut-on être optimiste en les entendant dire On n’est pas encore mort ? Je ne sais pas ce qui leur est arrivé ensuite et pourtant leur souvenir me poursuivra longtemps.

Tesnota n'est pas un film qu'on oublie.

Kantemir Balagov est né à Naltchik, dans le Caucase du Nord, en 1991, et c’est là qu'il a fait ses études secondaires. Le cinéma ne lui est pas venu tout de suite : il est d’abord entré en faculté d’économie à l’université de Stavropol, puis a suivi des cours de droit par correspondance, sans grande passion.

Son père lui ayant acheté un appareil photo, il a commencé à faire des photos, puis à filmer des petites scènes et des web séries à Naltchik qu'il a présentées à Alexandre Sokourov (sans savoir alors qui il était) car il avait ouvert une école de cinéma à Naltchik trois ans plus tôt. Il lui a proposé d’intégrer l’école directement en troisième année à l’automne 2011.

Tesnota, une vie à l'étroit, de Kantemir Balagov
Avec Darya Zhovner, Veniamin Kats, Olga Dragunova
Drame Russe
Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement
En salles le 7 mars 2018 (1h 58 min)

Les bijoux de pacotille de Céline Milliat Baumgartner, mise en scène de Pauline Bureau

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Comment ai-je pu rater Les bijoux de pacotille quand le spectacle s'est joué en janvier au théâtre de Paris Villette?

Je suis pourtant une inconditionnelle du travail de Pauline Bureau aussi bien dans ce qu'elle fait pour un public d'adultes (je garde de La meilleure part des hommes, et ensuite de Mon coeur un souvenir bouleversant) que d'enfants (je conserve de Dormir cent ans un pur éblouissement).

Toujours est-il que j'ai eu la chance de voir la pièce au  théâtre du Rond-Point ce soir et que j'en suis sortie totalement saisie par l'intelligence du propos, la justesse de la mise en scène et de la direction d'acteur et l'interprétation de Céline Milliat Baumgartner.

Mes critiques sont reprises par le site Au balcon qui me demandent d'ajouter une note sur 10. Ce spectacle mérite 12 sur 10 parce que 10 ce n'est pas suffisant.

J'ai découvert la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie : enfin une chose dont je n'ai pas trouvé d'autre exemple jusqu'à présent sur une scène de théâtre.
L'accident est raconté par la comédienne alors que la salle demeure plongée dans un noir absolu. Sa voix est neutre, comme celle que l'on prend pour relater un constat. Le 19 juin 1985, à 3h30 du matin, une voiture sort de la route à l’entrée du tunnel de Saint-Germain-en-Laye. L'homme et la femme ont été découvert nus, enlacés, tout à fait méconnaissables. Seuls une boucle d'oreille jaune et deux bracelets métalliques ont permis leur identification, qui sont restitués à la famille. Les voilà ces bijoux de pacotille qui jalonnent une sérieuse affaire de drame familial.


Chaque mot prend tout son sens puisque le terme de pacotille renvoie à l'époque de l'esclavage et du commerce triangulaire, désignant une marchandise, généralement de très faible valeur, que les colons échangeaient pour acquérir les esclaves noirs.
Quand la scène s'éclaire Céline Milliat Baumgartner, regarde intensément les spectateurs et prend un temps infini avant de s'adresser à nous, d'une voix un peu différente de celle qui nous reste en mémoire. Elle parle de sa mère, une comédienne formidable qui, elle, a fait une école de théâtre et qui n'aurait pas voulu que sa fille soit actrice. Une mère qui embrassait Depardieu dans un film de Truffaut (Elle était 1981 Arlette Coudray dans La femme d'à coté en 1981).

Si on n'a rien lu sur le spectacle pour venir sans aucun a priori voir la pièce on doute immensément du contexte. On est certain qu'il s'agit de théâtre, uniquement de théâtre, et que Céline est "juste" une comédienne à la ressemblance troublante avec la photo que l'on découvre de cette femme, Michèle Baumgartner. Ce qui est indubitable c'est qu'on est en face d'une interprète dont l'hypersensibilité n'a curieusement d'égal que la force. De là à imaginer qu'elle n'est pas un personnage mais la fille du couple accidenté il y a un pas que l'on n'ose pas faire.

Elle dépose sur le sol une simple boite en carton dont on se dit que ça pourrait être une boite à musique, tout en estimant que notre imagination, décidément, est en train de nous jouer un nouveau tour. Mais l'objet devient boite à musique sous nos yeux qui retrouvent leur regard d'enfant.

L'actrice est seule en scène et son art est de nous embarquer dans son monde, parmi les siens, dont elle évoque le souvenir avec une palette d'émotions très complète, jamais larmoyante, dominée par une infinie tendresse et ... beaucoup d'humour.

Elle entreprend dans ce texte (paru en 2015 et dont elle est l'auteure) un long travail de mémoire à travers les objets et photos qu’elle possède pour dresser le portrait de ses parents disparus. Un père souvent absent pour son travail et une mère actrice puis vient le récit d’une enfance presque normale d’une enfant sans parent. Elle a le sens du tragique, mais aussi de la comédie. Elle nous fait rire de bon coeur en nous racontant les avantages qu'il y a à être reconnue comme orpheline, autant dire la star de l'école. Elle est trop drôle lorsqu'elle partage les ruses des enfants gardés pour épuiser les baby-sitters, majoritairement des filles. Il n'y eut qu'un seul garçon, malchanceux car la nuit s'éternise jusqà ce coup de fil au petit matin pour apprendre la terrible nouvelle. Il fut le premier et le dernier ... et pour cause ... ses parents sont morts cette nuit-là.

Céline nous fait cadeau de ses souvenirs, dans l'ordre dans lesquels on peut les dire quand ils vous reviennent à cause d'un mot, ou d'une musique, une idée en enchainant une autre.

Céline raconte cet été là ... au bord de la mer, jouant du bout des pieds avec les vagues qui viennent lui lécher les orteils. Celui qui pense à une illusion ne croit pas aux souvenirs.
Plus tard elle fera des pointes sur un ciel de nuages. Le recours à la video est justifié et le rendu est magnifique, de l'ordre du magique.

Elle rend un hommage magnifique à sa maman qui est, dit-elle, son rêve familier ... Ma mère, c'est comme si je l'avais faite.

Le texte est très beau. Le matériau autobiographique est travaillé avec une force poétique qui lui donne une valeur universelle. Nous avons tous entendu cette litanie Mais comment tu feras quand on ne sera plus là ? Sauf que nos parents ne sont pas partis juste après.

Elle tord les expressions populaires, nous rendant complice de ses tentatives pour ne pas sombrer, en noyant le poisson sans faire déborder le vase. Elle n'hésite pas à employer le futur pour parler du passé. Elle souffle 15 bougies mais elle a toujours 8 ans, cet âge auquel la tragédie est devenue réalité. Elle retire ses bottines de cuir, deux chaussures qui par la force de la pensée magique vont traverser le fonds de scène.

Elle a désormais dépassé l'âge que sa mère avait au moment de l'accident, et nous transmet cette curieuse sensation que d'être plus vieux que ses parents. On sent la petite fille mûrir sans pour t-autant quitter la robe de coton qui demeure intemporelle. Elle sort de ses poches des lettres testamentaires et diverses pièces juridiques dont la lecture est bouleversante.

Elle nous dit sa manie de faire des listes. Pour ne rien oublier ?

Et puis elle chante, a capella, cette si belle chanson d'Arno (qui accompagne aussi le récit que fait Patrick Timsit dans Le livre de ma mère, mais son interprétation est tellement plus juste et plus puissante que la version originale ...)
Il y a toujours une lumière
L'amour je trouve ça toujours
Dans les yeux de ma mère

L'heure des saluts a sonné. La comédienne reçoit une ovation méritée qui, au six ou septième rappel parvient à lui faire verser une larme, cette larme qu'elle promettait quelques minutes plus tôt, sincère et non feinte, cela va de soi.

On aurait voulu que Pauline Bureau vienne saluer elle aussi car ce travail est le fruit d'une équipe.
Les bijoux de pacotille
Texte et interprétation : Céline Milliat Baumgartner
Mise en scène : Pauline Bureau
Scénographie : Emmanuelle Roy
Costumes et accessoires : Alice Touvet
Composition musicale et sonore : Vincent Hulot
Lumières et régie générale : Bruno Brinas
Dramaturgie : Benoîte Bureau
Vidéo : Christophe Touche
Magie : Benoît Dattez
Travail chorégraphique : Cécile Zanibelli
Jusqu'au 31 mars 2018
Du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 15 h 30
Relâche les lundi et le 11 mars
Au théâtre du Rond-Point - 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt - 75008 Paris

La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Pierre Grosbois

Et je remercie, à titre posthume, madame de Sévigné à qui j'ai emprunté la série de qualificatifs qu'elle utilisait pour annoncer à sa fille le mariage de la Grande Mademoiselle dans une lettre fameuse.

Pourquoi y-a-t-il des inégalités entre les hommes et les femmes ?

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On estime que la femme est l'égale de l'homme. On a bien raison ... sauf que l'Histoire avec un grand H n'a pas toujours été d'accord avec ce principe. Dorothée Werner s'est penchée sur la question et a trouvé des éléments de réponse qui font réfléchir.

Elle les a partagés avec Soledad Bravi qui les a traduit en images avec son féroce stylo. Les éditions Rue de Sèvres nous les livrent presque pour le 8 mars, qui est, non pas la Journée de la femme, comme on le dit un peu abusivement, mais la journée internationale de lutte des femmes, pour l'égalité des droits.

Toutes deux proposent de repartir sur de bonnes bases, et pour cela remontent à la nuit des temps. l'ouvrage, conçu pour de jeunes adolescents, nous en apprend aussi à nous adultes qui pensons tout savoir.

Selon elles, la première cause à cette inégalité est liée à la procréation. On a cru jusqu'en 1875 que le ventre de la femme n'était que le réceptacle du futur bébé, engendré par le mâle, uniquement, ce qui en quelque sorte l'autorisait à se croire supérieur. De l’incapacité à comprendre ce processus étonnant, va, au fil des siècles s’élaborer une division du travail entre les deux sexes, avec la domination de l’un sur l’autre.
Un mauvais départ est pris lors de la préhistoire : la grossesse étant particulièrement incommode pour chasser, les femmes restent cantonnées à l’élevage des enfants, la préservation du foyer, la cueillette. Cette division des tâches va avoir un impact sur la distribution de nourriture : aux chasseurs le gras et la viande qui rendent forts, ce qui ne sera pas sans conséquences sur la taille, la musculature et la robustesse.

À partir de là, l’Antiquité ne fera qu’entériner la répartition des rôles en excluant les femmes du savoir, du pouvoir et en privilégiant les naissances masculines. Exception faite pour les Egyptiens, partisans d’une égalité relative, cette fonction d’assurer la descendance courra sur les siècles à venir, confirmée par l'Eglise (c'est-à-dire des hommes) qui n'a rien arrangé en décrétant les femmes coupables du péché originel.
Deux exceptions toutefois pour les sorcières et les béguines. Une ouverture au siècle de Lumières se refermera avec Napoléon, qui placera dans ses codes les filles sous la tutelle de leur père, puis de leurs maris.
Quelques rares grandes figures féminines parviendront malgré tout à émerger comme Olympe de Gouge, George Sand…

Le XXème siècle sera entre tous celui où les femmes défendront avec opiniâtreté leurs droits, libéreront leurs corps et acquerront leur autonomie. Il faudra attendre 1918 en Angleterre, 1945 en France pour que la situation change ... avec l'obtention du droit de vote.
Mais en ce début de XXIème siècle, un bilan global montre qu’il y a encore beaucoup à faire, ici et ailleurs.

Les statistiques sont terribles. Chaque femme se fera agresser au moins une fois dans sa vie. Malgré la loi portant sur l'égalité des salaires entre hommes et femmes il est prouvé qu'elles gagnent environ 20% de moins, du fait notamment des progressions de carrière plus rapides pour les hommes.

Dans un tel contexte cet album est un bon outil à mettre entre toutes les mains pour ne pas rester sur un malentendu. celles des filles mais aussi (et surtout peut-être) celles des garçons. La rigueur historique n'empêche pas l'humour. Espérons que cette conjugaison fera bouger les lignes.

Alors ne lâchons rien !

Dorothée Werner est journaliste, grand reporter à Elle, auteure notamment de Au nom des nuits profondes qui traite du prix qu’ont payé les femmes pour leur émancipation. Soledad Bravi est illustratrice et auteure française d’ouvrages pour la jeunesse et de magazines ... dits féminins comme Elle.

Pourquoi y a-t-il des inégalités entre les hommes et les femmes ? 
Scénario Dorothée Werner
Dessin, couleur Soledad Bravi
Ed. Rue de Sèvres. À partir de 12 ans.
En librairie depuis le 14 Février 2018
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