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Conte de Noël en son et lumière sur la façade de l'hôtel de ville d'Evreux (27)

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Forte de son succès de l’année précédente, avec le son et lumière "La fée étincelle", la mairie d’Évreux a fait appel à la même société pour un nouveau spectacle.

Intitulé "La manette magique", ce conte de Noël,  imaginé par Bernard Maciel, créateur de la société Eclipsonic, et destiné en premier lieu aux enfants, était projeté à 18h, 18h30 et 19h sous forme de projection monumentale sonorisée sur la façade de l’Hôtel de ville, tous les soirs, du vendredi 16 au vendredi 23 décembre 2016.

Ce conte, dont le titre est un jeu de mot, raconte l’histoire de Clément, un petit garçon qui trouve un mystérieux colis qui contient une manette magique (version moderne de la baguette des contes de fées) qui lui permet de modifier la décoration de la façade de l’Hôtel de ville. Mais rien ne se passe comme prévu... cette manette va s’avérer incontrôlable et Clément devra se faire aider par le Père Noël… qui apparait sur le mur au moment du final.
La façade du bâtiment est soulignée de traits lumineux avant d'être embelli de sapins et autres décorations de saison. Toutes les couleurs passent sur les murs dans des enchainements très harmonieux qui enchantent les spectateurs.
Mais le plus spectaculaire est l'embrasement par le feu suivi d'une inondation majeure. Les effets 3D sont quasi magiques. Certains ont demandé beaucoup de travail. Le record est détenu par le ‘‘cristal transparent’’ qui ne dure qu’une minute mais qui a réclamé trois jours d'attention.
Ce conte de Noël a été proposé pendant une semaine en accès libre et gratuit. C'est un peu de magie accessible à tous. Pour en profiter pleinement, je vous conseille d'ouvrir la première photo et de faire défiler l'ensemble, une à une.
Cliquez sur le tag "Normandie" pour suivre l'ensemble des articles consacrés à la région, et en particulier à Evreux entre octobre 2016 et janvier 2017. 

Le Géant de Michel Lebrun, réédité par French Pulp

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Avec plus de 475 pages (en petits caractères de surcroit), et son format 11x18 cm, Le Géant de Michel Lebrun, est un vrai pavé.

Il se lit pourtant facilement et j'ai été amusée de le découvrir alors que j'avais écrit plusieurs chroniques à propos des dernières orientations prises dans la grande distribution. Car le Géant est un hypermarché. Mais contrairement à Système U qui semble, comme Leclerc, plutôt respectueux des consommateurs, l'établissement imaginé par l'auteur est un lieu qui rend fou.

Y-a-t-il une vie possible au sein de la grande distribution ? Dans ce polar sociologique, Michel Lebrun dissèque la misère sentimentale et existentielle des petites villes que l'arrivée d'une grande surface transforme en poudrière. Une chronique cinglante des frustrations contemporaines. Montescourt est le directeur du Géant, un hypermarché titanesque implanté au coeur d'une commune de la banlieue parisienne. Il n'a pas de vie de famille, peu de plaisirs, et une unique obsession : le Géant. Mais le jour où il tombe sous le charme d'une voleuse à l'étalage, il se rend compte que la population de la commune, frustrée par ce déballage de marchandises mirobolantes, est sur le point d'entrer en ébullition... et qu'il se pourrait bien qu'il la rejoigne !

Pour ceux qui l'ignoreraient, un hyper est (p. 40) une surface de vente de 2500 à 20 000 m², ce qui présente une large fourchette. Le parking est obligatoirement proportionnel avec une superficie cinq fois supérieure. La fiche signalétique du magasin imaginé par l'écrivain figure page 59 et bien entendu il est le plus grand possible. Un véritable mammouth. L'îlot de survie parfait (p. 98) avec ses 50 000 références.

Il faut aussi le situer dans l'époque où le livre a été écrit, à la fin des années 70, quand nous commencions à prendre l'habitude d'y faire nos courses. L'auteur l'écrit en toutes lettres (p. 172) l'hypermarché est devenu le symbole de la société de consommationce qui en fait un sujet très passionnant.

Aujourd'hui ce serait peut-être davantage un site de ventes en ligne ... alors que un siècle plus tôt c'était Au bonheur des dames, choisi comme cadre par Emile Zola, et dont en toute logique Michel Lebrun nous donne un extrait (p. 192).

De fait, le roman a donc aussi un intérêt sociologique même si les faits rapportés sont imaginaires.  On se doute que l'auteur s'est inspiré de la réalité. Jusqu'au registre de réclamations (p. 221). Il décrit des techniques de vente qui nous parlent encore. Et se focalise sur plusieurs techniques de vol en fonction d'une typologie de voleurs (p. 172) qui semble n'avoir pas beaucoup évolué depuis. L'astuce dite du baril, (p. 73) amusante vue de loin, par contre ne doit plus être envisageable. Ce qui reste vrai c'est que la démarque inconnue, selon l'expression consacrée, reste une plaie pour un directeur de magasin et qu'elle ne soit pas du goût de tout le monde.

C'est que Michel Lebrun n'a pas été sans raison qualifié de "Pape du polar"Sa vie a été liée à celle de la littérature policière française dont il aura été l’ardent défenseur, critique et théoricien, jusqu'à sa mort en 1996.

De son vrai nom Michel Cade, il est étroitement lié à ce qu'on appelle le polar à la française. Les dizaines de romans qu'il a publiés ont reçu de multiples prix. Il est d'ailleurs associé à un prix à son nom, je devrais dire "ses" noms car il changea plusieurs fois de patronyme.

J'en rappelle l'historique pour les amateurs de romans policiers, qui sont très nombreux. J'ai appris le soir de la remise du Prix polar SNCF qu'un livre vendu sur deux est un polar. Le Prix du roman policier francophone de la ville du Mans a été créé en 1985 par François Plet, Christian Poslaniec et Pierre Lebedel. Il a couronné des écrivains de qualité. Le premier lauréat fut Jean-Michel Guenassia avec Pour 100 millions (Liana Levi). Il y eut aussi Daniel Pennac pour La Fée carabine (Gallimard), Tonino Benacquista pour Trois carrés rouges sur fond noir (Série noire) ou encore Fred Vargas avec Debout les morts (Viviane Hamy) en 1995.

Antonin Varenne, que j'ai eu la chance de chroniquer dans le cadre du Grand Prix des lectrices de ELLE, l'a obtenu pour Fakirs (Viviane Hamy) alors qu'il était devenu le Prix Michel-Lebrun de la Ville du Mans. En 2010 il devient Prix Polar Michel Lebrun. En 2016, c'est Colin Niel qui est récompensé pour Obia (Rouergue Noir), que j'ai chroniqué dans le cadre du Prix des lecteurs d'Antony (92) dont il a été également gagnant, en catégorie Polar.

Michel Lebrun est un scénariste hors pair, ayant imaginé une galerie de personnages hauts en couleurs, depuis le Picasso des parkings qui apparait dès le début. Ils gravitent tous autour de Montescourt, "pauvre" directeur de magasin qui ne vit que pour son travail. Des caricatures de notre société sont placées en orbitre autour de lui, combinant plusieurs intrigues, et donc plusieurs enquêtes.

Il fait converser tout ce beau monde avec un humour sous-jacent permanent, ce qui est rare dans le domaine du polar. On en oublie que c'en est un.

- Comment vont les affaires ?
- Ça marchotte doucement.
Dialogues de gens qui n'ont rien à se dire, ne se connaissant pas suffisamment pour casser du sucre sur le dos d'amis communs.

Ce n'est pas moi qui l'écrit mais lui (p. 107).

Il est question de vol, beaucoup, mais aussi de dégradations de toutes sortes, de contamination alimentaire, d'une accumulation de drames, grands et petits, et de crimes aussi. Le personnage principal ne parle pas mais avec son nom, le Géant, imprimé en italiques, portant la majuscule, devient un lieu qui provoque le doute (p. 340) et qui pourrait bien être le lieu de tous les dangers. Un monstre, vivant, puisqu'il respire (p. 316).

French pulp, comme son nom ne l'indique pas vraiment, s'explique dans des pages additionnelles sur le choix d'une expression anglaise pour promouvoir la littérature bien française de jeunes auteurs, ... comme la réédition d'auteurs cultes. Avec l'ambition qu'on lira tout cel partout, y compris (et surtout ?) dans le métro, même debout. c'est tout de même plus passionnant que pianoter un jeu de cartes sur un écran tactile, non ?

Le Géant de Michel Lebrun, réédité par French Pulp  le 22 novembre 2016
Première édition chez Lattès en octobre 1979, réédité chez Payot-Rivages en 1996

Découvrir le restaurant O'Saveurs à Evreux (27)

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L'équipe qui est aux commandes du restaurant O'Saveurs a changé il y a quatre mois et il est probable que vous ne connaissez pas encore la cuisine de la Chef, dont la grande spécialité est le gigot de sept heures et que le maitre d'hôtel, son mari, vous présentera comme "une tuerie".

Ces deux là sont des maniaques du travail bien fait. Calmes d'apparence, ils sont animés par le stress de satisfaire la clientèle mais se rassurent mutuellement d'un t'inquiète pas qui signifie tout le contraire. Car on n'imagine pas qu'avant que la pièce de viande ne soit posée sur l'assiette il y a eu énormément de travail et de contraintes à supporter en amont.

La réglementation devient de plus en plus difficile à respecter. Récemment Yannick a eu des soucis avec des indications de millésime (cela semble évident mais le passage du 31 décembre au 1er janvier entraine la refonte des cartes). Savez-vous également que mentionner l'origine de la viande est une obligation pour tous les plats cuisinés avec du bœuf et du veau ? Je ne le vois pas sur toutes les cartes des restaurants où je vais.

Tout est maison, sauf le menu enfant parce qu'il est peu demandé. Enfin quand on dit tout, c'est presque tout. Ainsi on me précise à propos de la Mousse d'avocat et saumon fumé que le saumon n'est pas fumé au restaurant, ce que je n'imaginais pas un instant d'ailleurs.

La chef aime les gourmands. Pour faire plaisir elle peut composer une assiette dégustation qui donnera un aperçu de son savoir-faire autour de trois petites portions, accompagnées d'un verre de  viognier. Très parfumé, ce vin est extraordinairement gras et souple. On pense au chèvrefeuille, au citron vert, à la fleur d'amandier ou de tilleul.

L'assiette se composait donc d'un Foie gras (maison) et sa confiture de figues, sauce mangue,
d'une Mousse d'avocat et d'une Profiterole au chèvre, émulsion de persil.
C'est un pur plaisir de mordre dans un vrai chou. Qui pourrait deviner en savourant cette bouchée si moelleuse qu'Angélique n'aime pas le fromage ? Pas question pour elle en tout cas d'en priver ses clients. Son mari, avec qui elle forme un duo gagnant, goûte chaque préparation et la jeune femme se fie à son avis. 
La présentation est autant soignée que le goût. Ce n'est pas ici qu'on verra une entrée couchée sur un lit de salade (surtout si l'assiette est chaude). Yannick et Angélique ont travaillé dans des maisons exigeantes avant d'avoir leur propre affaire et ont intégré les codes du travail bien fait.

Le midi on peut déjeuner d'une formule express, entrée-plat ou plat-dessert à 15, 50 €. Initialement, la carte devait se structurer autour de trois propositions d'entrée, et autant de plats et de desserts. Mais très vite le couple est passé à 4 et parfois à 5 recettes.

Yannick, qui a la responsabilité des approvisionnements, ne peut pas résister aux beaux produits. C'est le produit qui parle souligne-t-il. Il ose acheter l'espadon, la bonite. Par exemple le restaurant proposait le jour de ma venue des ris de veau qui ont fait le bonheur de mes voisins de table qui n'en avaient pas mangé depuis des lustres. Je les ai entendu vanter le boudin noir de la semaine précédente.
Le gigot de sept heures est ultra fondant. Je ne suis pas sure que la présence du couteau soit indispensable pour couper cette viande. Et la purée est superbe. La présence des petits légumes donne une note variée.
Le dessert est la dernière note avant le café prévient Yannick. Alors, forcément, Angélique met un point d'honneur à le concevoir équilibré. Les assiettes qui sont préparées pour des clients arrivés avant moi sont très tentantes : une Pomme déglacée au Calvados avec un sablé, fait le matin même bien entendu, et un Glacé Grand Marnier aux pralines roses.
J'opte, comme souvent quand je suis indécise, pour un café gourmand.
Le suprême d'agrumes est très apprécié pour son côté rafraîchissant, avec sa feuille de menthe poivrée. La panacotta est "classique" mais réussie. Surmontée d'un brin de menthe douce, différent de l'autre herbe aromatique. On sent les petits grains de vanille. Le soufflé glacé est très harmonique. Et le mini financier est plutôt rigolo. C'est une jolie idée de le cuire dans des moules à chocolat. Je m'en souviendrai.

O' Saveurs ne revendique pas d'être gastronomique. Le challenge serait impossible avec une seule personne en cuisine même si Yannick met le tablier toute la matinée. Néanmoins le couple se fixe pour objectif de servir ce que le client ne peut pas manger à la maison. Et nappe et serviette sont en tissu.
La décoration n'a pas bougé depuis le rachat mais des projets d'aménagement d'une terrasse dans l'arrière cour sont envisagés, quitte à revoir l'organisation de la cuisine, ... et du service parce qu'il ne faudra pas laisser pour compte les clients qui occuperont la petite salle du premier étage, très tranquille, pour ceux qui en auraient besoin, à l'abri des oreilles indiscrètes. Il se peut qu'alors l'équipe s'agrandisse.

O'Saveurs est une de adresse sure, comme l'est aussi Fées maison dans cette même ville d'Evreux.

Restaurant O'Saveurs, 1 Rue du Maréchal Joffre, 27000 Évreux
Téléphone : 02 27 34 72 43
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Alperel, des glaces même en hiver

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J'adore les glaces. Depuis toujours. A 5 ans l'ablation des amygdales exigeant de ne manger que cet ingrédient m'avait consolée de la douleur de l'intervention. J'ai gagné tous les paris sur la quantité que je me sentais capable d'ingérer (l'astuce c'est qu'il ne faut surtout pas manger vite).

C'est un univers que je connais bien et j'ai de multiples références. Sans snobisme aucun. Je ne fais pas une queue de trente minutes à Saint Louis en l'île devant B.... Et j'apprécie beaucoup le travail du glacier du bout de ma rue. C'est un des rares desserts que je ne fais pas moi même. Sans turbine on ne sort rien de fameux. Voilà le secret.

Tant que les produits industriels étaient les seuls à être référencés par les grandes surfaces il fallait bien que je m'en contente, avec de rares exceptions quand j'entendais parler de tel ou tel artisan à l'occasion le plus souvent d'un déplacement en région. Le consommateur commence à disposer de choix. La clientèle de Système U a cette chance de pouvoir goûter (et succomber) aux glaces Alperel. Depuis que j'ai découvert la démarche U de nos régions j'ai voulu voir de près comment ces glaces étaient fabriquées.

Pierre Menini m'a ouvert les portes de son laboratoire juste avant de fermer quelques jours, pas spécialement parce que les fêtes s'annoncent mais parce qu'il entreprend des travaux d'aménagement d'un espace pâtisserie et l'installation d'une troisième turbine.

La taille humaine de l'espace témoigne de la volonté de demeurer artisanal, mais bien entendu extrêmement qualitatif. Le plus intéressant n'est pas d'approcher les turbines qui crachent silencieusement leur production de crème glacée ou de sorbet, malgré la satisfaction de vérifier au sortir de l'appareil combien le produit est onctueux. C'est surtout de goûter le produit à l'extrême bonne température de 6 à 9 degrés, avant la surgélation à moins 25.

La turbine est une machine mais la production reste peu volumineuse : avec 5 à 7 bacs par "fournée", 8 s'il s'agit de fraise. A peine entrés dans le laboratoire nous sentons le parfum du chocolat. Il est tellement puissant qu'il est repéré de loin malgré la buée sur les lunettes. La vanille est claire, ponctuée de petits points noirs caractéristiques de l'emploi de vraies gousses, grattées à la main, comme on me le confirmera tout à l'heure.
Avant de fermer pour deux semaines, l'entreprise constitue des réserves car ce parfum plébiscité en France comme dans le monde entier, assure 60% des ventes, avec une proportion un peu supérieure avec les restaurateurs dont la carte est -et c'est une surprise- moins osée que ne l'est l'éventail que s'autorise un acheteur de la grande distribution comme Jerôme Prunet que j'ai eu la chance de rencontrer il y a quelques semaines.
Rien de spectaculaire à voir pour le moment. La sortie de vanille et de chocolat est sans surprise. Peut-être que les choses auraient été différentes si j'étais venue en janvier après l'installation de la troisième turbine. Pas sûr car si l'entreprise grandit elle conservera sa manière de faire, n'ayant pas fait le choix de s'orienter par exemple sur le freezer en continue. Certes la troisième turbine est de plus grande capacité pouvant fournir 7 bacs à la fois, mais cela reste une turbine.
Ce qui vaut le déplacement c'est de pouvoir entendre Pierre Menini s'exprimer sur ses motivations à travailler dans la recherche de l'excellence, en toute modestie d'ailleurs.Vous savez peut-être la querelle qui oppose certains fabricants. Tant que la législation permet de vendre au litre il est très intéressant d'y insuffler un maximum d'air (c'est gratuit et cela occupe du volume) allant jusqu'à un taux de 50% pour les sorbets. Pour donner un ordre de comparaison Alperel foisonne entre 15 et 30 pour les glaces, 40 pour les sorbets. Il serait ridicule évidemment de foisonner trop bas, car on aurait un résultat proche du glaçon, désagréable en bouche.

Après quelques années accomplies dans la restauration il a eu envie d'effectuer un pas de côté, en montant un projet qui lui permette de travailler avec sa femme. Quelque chose dans l'alimentaire, peut-être un restaurant-épicerie. Et puis il a rencontré Paul et Françoise Maman qui avaient fondé Alperel en l'an 2000 en Haute-savoie avant de venir s'installer en région parisienne. Ils songeaient à se retirer uniquement en raison de l'âge.

Pierre connaissait bien ces glaces. Il en ramenait des pots à sa femme lorsqu'elle était enceinte ... Il aurait pu continuer sur la lancée de l'entreprise qui fonctionnait très bien. Il a souhaité malgré tout associer sans attendre un chef pâtissier pour rechercher de nouvelles saveurs qui vont marquer l'année 2017 et que j'ai eu la chance (et l'immense plaisir) de goûter en avant-première.
Le nombre de références est très grand, comme en témoignent les pots multicolores dès l'entrée dans le hall. Ce n'est pas abusif de dire qu'elles sont "à tomber". Le parfum "fraise-menthe poivrée" est renversant. Miel lavande d'une rare subtilité et une cuillerée de mangue équivaut à croquer dans le fruit.
De plus les portions individuelles sont franchement généreuses, même pour un(e) gourmand(e). Il n'empêche que j'ai été un peu désorientée dans la reconnaissance des parfums parce qu'on a rarement l'occasion de goûter des produits au goût authentique, sans exhausteur de goût.
Le fruit de la passion est subtil, sans acidité excessive. La clémentine est quasiment une effluve. La griotte cardamone verte une évocation de Forêt noire. L'abricot nous transporte à Aix et donne envie de croquer dans un calisson. Banane citron vert est un délice, à des années lumière de la combinaison artificielle que j'ai pu goûter parfois. Pomme verte Tonka arrive à égalité pour combler les papilles, comme l'alliance du melon et de la vanille.

Le yuzu est sans doute le parfum le plus puissant mais néanmoins mesuré dans le spectre du savoir faire d'Alperel. Plusieurs parfums intégreront la carte. Certains n'y feront qu'une figuration éphémère parce qu'il est important de renouveler l'appétence de la clientèle. Et puis aussi parce que même si la DLC est confortable (18 mois) il serait complexe de gérer des stocks trop multiples.

Dans cet esprit on peut oser des parti pris audacieux comme la glace grué de cacao, incluant d'infimes morceaux à croquer. Elle est sublime mais s'adressera sans doute à des connaisseurs. Une des grandes nouveautés va aussi consister à concevoir des recettes incluant un peu de mâche avec de touts petits morceaux de fruits.

Mais la surprise peut aussi être provoquée par de l'inattendu en terme de velouté comme le parfum "fleur de lait" dont raffolent les italiens sur l'affogatto al caffè, qui signifie "glace noyée dans du café" et qu'ils arrosent d'un expresso tout chaud.

Parmi les soixante parfums actuels on remarque un nombre impressionnant de parfums japonais. Ce n'est pas pour répondre à la mode que Pierre Menini continue à produire une glace au sésame mais parce qu'il peut s'approvisionner en pâte de sésame écrasée à la meule de pierre. Sa cousine est Franco japonaise et elle est la première à valider ce type de recette. Alperel a aussi la capacité de réaliser des produits tout à fait exceptionnels pour des occasions particulières, par exemple une glace au Thé Matcha Assai qui a été dégustée au cours d'un événement parisien.

Peu de sucre. Ni additif ni colorant, c'est écrit en gros sur les emballages mais cela va de soi. Pour les colorants le doute n'est pas envisageable. Les fruits utilisés arrivent en pleine maturité, en purée pour garantir la constance de leur qualité (des confituriers comme Andrésy qui fabriquent les Petites Parisiennes pour Système U procèdent à l'identique).

Au moment de la reprise Pierre Menini s'était promis de ne rien changer ... pour commencer et avant de maîtriser toutes les composantes. Il fait bouger petit à petit l'approvisionnement en matières premières au fil des rencontres. Très réfractaire aux additifs avant de saisir quel intérêt cet ajout pouvait présenter cet artisan est devenu moins catégorique parce que son chef pâtissier lui a fait déguster des glaces incluant de toutes petites doses de gomme de guar ou de caroube, toujours d'origine naturelle et qualitative. S'il lui a fallu entreprendre un long chemin on comprendra qu'il sera encore plus crucial de rassurer le consommateur pour qui la mention "sans additif" est un gage de qualité et de santé. C'est pour moi un élément discriminant ... Même si j'ai tort.

En 2017 le moment est venu en tout cas de présenter de nouveaux parfums. Les emballages évolueront aussi et sans doute que l'entreprise s'orientera vers les desserts glacés qui seront préparés dans un espace dédié au fond du laboratoire. J'ai goûté un Parfait glacé mascarpone et Amaretto,  crème glacée au moka d'Ethiopie et billes croustillantes pralinées sur dacquoise aux amandes, glaçage blanc et flocon d'or. La part semble modeste mais elle est destinée à 2/3 personnes.
Alperel évolue mais demeure artisanal. Ils ne sont que 8 personnes à y travailler. C'est une volonté.

Vous  pourriez déguster cette glace en fin de repas chez Guy Savoy, aux Bouquinistes ou chez Yannick Alieno au Terroir parisien. Vous pouvez aussi l'acheter en épicerie fine. Plus simplement vous la trouverez chez Système U qui référence une quinzaine de parfums.
On peut les déguster à la petite cuillère, les combiner avec une pâtisserie, comme on le fait souvent avec une Tatin et une quenelle de glace caramel beurre salé. On peut aussi insérer une couche entre deux biscuits comme je l'ai fait en associant caramel d'une part, fraise menthe poivrée d'autre part, entre deux sablés de la Mère Poulard.
Alperel, 12 avenue Le Verrier, 78190 Trappes

30 ans, 10 ans de thérapie de Nora Hamzawi

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Boulimique de travail, Nora Hamzawi fait des chroniques délirantes sur France Inter et partage ses humeurs chaque semaine dans Grazia. Dans ce journal d’une trentenaire névrosée, elle reprend le meilleur de ses textes qu’elle enrichit de nombreux inédits, illustrés par Anna Wanda Gogusey.

L'âge n'est pas un critère. On peut apprécier ce livre si on est plus jeune et même si on compte le double d'années. Parce que, hormis certaines tournures de phrase évidemment caractéristiques de l'époque, les problématiques sont universelles.

Ce n'est pas Michel Drucker, le plus célèbre des hypocondriaques (et qui appartient clairement à une autre génération) qui dira le contraire. Je suis sure qu'il se reconnaitra parfaitement dans le déroulé de la consultation avec SOS médecin (p. 73).

Doctissimo pourrait mettre son site à jour et recommander le livre aux déprimés. Parce qu'il fait rire et que rire fait (beaucoup) de bien.

Outre la certitude qu'elle couve quelque chose de grave (ou qui pourrait le devenir si elle ne fait rien contre) Nora Hamzawi est obsessionnelle, et paranoïaque. C'est une fille "normale" qui éprouve des petites angoisses ordinaires, comme vous et moi, qui est agacée par plein de choses, comme vous et moi, (je n'aime pas non plus qu'on me tutoie dans les magasins bio) mais la différence c'est qu'elle les raconte avec humour et autodérision en faisant régulièrement un pied de nez à son psy. On se demande d'ailleurs pourquoi elle continue à aller le voir alors que la scène devrait la rassurer amplement. Car elle se produit également sur la scène du République, où son show, "Nora Hamzawi", fait salle comble depuis deux ans.

On passe plus de temps à se plaindre qu'à dire ce qui va bien. Ce travers n'est pas propre à Nora. C'est assez général, toutes générations confondues, peut-être parce qu'on se croit drôle à raconter nos mésaventures et que l'on pense que se vanter de nos succès suscitera une jalousie néfaste.

Sous titré Journal d'une éternelle insatisfaite, (alors que dans la vie elle a toujours le sourire radieux) son livre est un joker pour faire plaisir autour de vous. Pour ceux qui auraient "oublié" un cadeau il y a 48 heures. Surtout si vous l'offrez en vous justifiant d'un "j'avais très envie de t'offrir ce livre mais j'ai eu du mal à le trouver. Le libraire était en rupture", argument que Nora aurait pu dire elle-même.

A ceux que vous aimez énormément (ou aux grands malades) vous ajouterez un billet pour son show. Le remède sera encore plus puissant. Avec un petit bémol ... recommandez leur tout de même de lire les textes avant. Par écrit le rythme est soutenu. A l'oral certains ont du mal à suivre le débit. Vous voilà prévenus !

30 ans, 10 ans de thérapie de Nora Hamzawi, éditions Mazarine, en librairie depuis le 29 novembre 2016

Terabak de Kyiv

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On annonce Terabak de Kyiv comme un spectacle de cabaret. Mais c'est bien davantage. Pour moi qui vais souvent voir le cirque dit contemporain, j'ai ressenti des émotions d'une intensité comparable à des représentations de très haut niveau.

Ce serait plutôt le déroulement de la soirée qui s'inscrirait dans une ambiance de cabaret. Qui plus est accessible aux enfants, ce qui, là encore, est inhabituel. Et puis, bien sûr, même si je n'en ai pas eu le temps, on peut aussi dîner sur place, des plats mijotés en lien avec le thème, un bortsch par exemple. Nous sommes sous chapiteau mais nous bénéficions d'une chaleur confortable, il faut le savoir aussi.

L'orchestre se devine en ombres chinoises derrière le rideau. Bienvenue à la Baraque nous promet une chanteuse de sa voix gouailleuse. Les Dakh Daughters lancent la soirée, avec une musique rock teintée de folklore ukrainien dans une atmosphère brechtienne, peut-être parce qu'elle parlent aussi en allemand, avec un joli accent, et même quasiment toutes les langues, c'est l'impression qu'elles donnent. Et croyez moi, elles déménagent derrière leur maquillage très blanc et très noir. Et puis c'est si rare un orchestre cent pour cent féminin.

Chanteuses et musiciennes, Nina Harenetska, Ruslana Khazipova, Tanya Havrylyuk, Solomia Melnyk, Anna Nikitina, Natalia Halanevych et Zo ont été élèves de Vlad Troitsky au Conservatoire de Kiev puis elles ont rejoint le Théâtre Dakh. Elles ont été révélées sur la scène française grâce au Monfort Théâtre en 2013, avant de jouer dans de nombreux festivals qui témoignent d'un parcours international très fécond.

La présence de l’orchestre sur le plateau apporte une dimension supplémentaire. D'abord pour le plaisir parce que les sept filles sont multi-instrumentistes, depuis la boite à musique jusqu'au clavecin, sans oublier la batterie et la guitare. On entendra au cours de la soirée des airs rythmés de rock et aussi plusieurs épisodes franchement baroques. Leur rôle dépasse l'accompagnement. On remarquera qu'elles peuvent se placer de manière à sécuriser une acrobatie.

Un bonimenteur annonce le premier numéro après nous avoir fait la leçon de morale habituelle sur le fonctionnement des portables. Le bonhomme n'est pas tout à fait classique. A ce stade on ne sait pas encore si on doit l'entendre au second degré : essayez d'être autonomes au niveau émotionnel ! nous lance-t-il.
Julieta Martin empoigne le mât chinois et entreprend une évolution langoureuse au son d'une boîte à musique cristalline. Née en 1992 en Argentine, cette artiste a découvert le cirque très jeune et elle entretient une relation quasi passionnelle avec cet agrès si particulier.

Le parquet grince. La jeune femme glisse avec une allure animale, jouant avec ses cheveux comme s'il s'agissait d'antennes. Elle dégage un côté Lily Marlène, danse autour de la lune, à gauche, à droite et en spirale, s'arrêtant net stoppe à la fin du numéro sous une pluie de paillettes dorées.
Juliette on avait dit pas les paillettes ! reproche l'ersatz de M. Loyal. S'ensuit une séance de balayage acrobatique faisant oublier qu'on démonte le mât chinois. Le technicien de surface s'appelle Matias Pilet, et il a été formé à l’Ecole Nationale des Arts du Cirque de Rosny en 2008, où il ne veut pas  choisir entre l’acrobatie et la danse. Depuis il danse l'acrobatie d'une manière chaplinesque. Il joue la maladresse en enchaînant des ralentis et des accélérations. Le commentateur peut bien se moquer en lui suggérant d'apprendre à canaliser son énergie, il y a bel et bien un projet artistique en filigrane. Ses envols sont quasi magiques, même si le trampoline fournit une énergie précieuse.
 
A propos de magie, il est temps que notre présentateur tombe le masque et révèle son propre talent. Yann Frish, est fasciné depuis l’enfance par les techniques magiques, qu'il a commencé tout seul à reproduire avant d'intégrer l’école de cirque du Lido (à Toulouse). Il est sacré champion de France puis d’Europe en 2011 avec le numéro "Baltass" qu’il tourne partout en France et à l’étranger et où il démontre d'autres facettes de son talent en jonglage et clownerie.
Il multiplie les créations depuis. On le voit dans le Plus grand cabaret du monde ou à l’Olympia, où il accompagnait la première partie du concert d’Ibrahim Maalouf, "Illusions" en 2014. Ce soir il nous amuse avec ses interventions comiques mais il nous bluffe avec des numéros de cartes extrêmement alertes. Tout le monde voit très bien grâce à un miroir géant placé de manière à focaliser le regard sur les mains du manipulateur. Le public réagit au quart de tour, prêt à jouer le jeu dès que la peluche bleue atterrit entre des mains innocentes. Cette fois c'est Marina qui est descendue de scène pour souligner les effets au clavecin.
On regrette que ce soit si vite fini. Les Dakh Daughters évoluent parmi les spectateurs le temps d'installer les gros tapis et la structure.
Oscar Nova Fuente va nous étonner avec son numéro de sangles. Né à San Martin de Valdeiglesias (Espagne) il s’intéresse aux arts de la scène, en particulier au théâtre et à la musique mais commence des études d’ingénieur, tout en suivant des cours à l’école de cirque de Madrid. Il se décide ensuite pour se consacrer totalement à sa passion pour les sangles où il fait preuve d'une souplesse incroyable (il est aussi contorsionniste).
 
Quant au duo de cadre aérien mené par Daniel Ortiz & Josefina Castro, il témoigne d'un art quasi parfait. On devine la difficulté mais on se laisse porter par leur talent et leur légèreté qui tient de la danse. Les artistes se sont rencontrés à l’école de cirque La Arena, près de Buenos Aires. Il est porteur, elle est voltigeuse. Ils décrivent l’univers de leur duo comme chaotique et très coloré. Couple dans les agrès mais pas dans la vie, ils racontent une histoire de couple avec ses séductions, ses rapprochements et ses disputes. Comme une catharsis de toutes leurs tensions. Leurs évolutions touchent au sublime, même en cas de chute (comme ce soir), rappelant que tout est bien pour de vrai... et dangereux.
Benoît Charpe est tout aussi stupéfiant lorsqu'il évolue avec son monocycle sur le trampoline qu'il a imaginé spécialement pour son numéro. Il a joué avec Shirley & Dino, Julot des Cousins, est passé lui aussi à la télévision dans Le plus grand cabaret du monde et a été primé au Festival Mondial du Cirque de Demain en 2008. Il est capable de danser avec son engin sur une musique hip hop ou rap . Il sait tout faire, jusqu'à un saut périlleux sous une poussière d'or.

Restera à faire le ménage ... et hop si on recommençait !
Les musiciennes nous font le plaisir d'un rappel avec un de leurs titres les plus connus. Les saluts sont très applaudis et partagés avec Stéphane Ricordel, le metteur en scène, appelé par la troupe. Et ensuite on peut rejoindre les artistes pour une petite danse.

Si vous n'êtes pas encore convaincu regardez cette petite vidéo qui et bien représentative de l'esprit du spectacle.


Terabak De Kyiv
cabaret • cirque • création de Stéphane Ricordel et les Dakh Daughters
Stéphane Ricordel metteur en scène
Vlad Troitsky composition musicale avec les Dakh Daughters / Nina Harenetska, Ruslana Khazipova, Tanya Havrylyuk, Solomia Melnyk, Anna Nikitina, Natalia Halanevych et Zo au chant et à la musique
Avec les artistes circassiens : Daniel Ortiz et Josefina Castro Pereyra cadre, Benoît Charpe monocycle sur trampoline, Julieta Martin mât chinois, Oscar Nova de la Fuente sangles, Matias Pilet acrobate et Yann Frish magie
Amandine Galodé création et régie lumière
Production : Le Monfort, Drôles de Dames & Blue Line Création
Au Monfort 106 Rue Brancion, 75015 Paris - 01 56 08 33 88
Du 16 décembre 2016 au 14 janvier 2017

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Christophe Renaud de Lage, Marie-Françoise Plissart

Anne-Lise, mon coursier de quartier à Evreux (27)

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Anne-Lise exerce un métier pour le moins original. Elle est "coursier de quartier". Contrairement à ce que j'avais présupposé, l'engin piloté par la jeune femme est très rarement utilisé par des touristes pour visiter la ville, même si c'est tout à fait envisageable et que la ville, somme toute, se visite facilement à pieds. Nous ne sommes pas à Paris et j'ai du être influencée par l'affluences des pousse-pousse, surtout aux abords du Quai Branly, pour avoir une telle conception.

La clientèle la plus fidèle est celle de "mamies" souhaitant continuer à faire leurs courses mais n'ayant plus l'agilité suffisante pour effectuer les trajets aller-retour et surtout porter les commissions. Elles pourraient se faire livrer mais, pour une somme modique (4 euros la course) elles peuvent faire des achats d'impulsion, choisir elles-mêmes leurs légumes au marché ... prendre l'air et rencontrer du monde, bref ne pas se confiner dans l'isolement.

Le concept d'Anne-Lise permet de tisser du lien social. Elle assure les rendez-vous chez le coiffeur, le pédicure ou le dentiste. Elle peut charger jusqu'à deux personnes, ce qui offre de multiples possibilités. Son engin dispose d'un coffre assez conséquent sous le siège passager. L'essayer c'est l'adopter et les usagers ont vite compris leur intérêt.

La jeune femme est soucieuse du confort des passagers. En hiver, un plaid est à disposition pour couvrir les jambes, et un rideau transparent fait office de coupe-vent, en renfort du toit du cyclo.

Anne-Lise a commencé un 26 janvier il y a deux ans et commence à faire un bilan positif. Les débuts ont été difficiles, comme toujours quand on apporte une idée nouvelle. Il a fallu convaincre, s'organiser ... et s'entrainer, parce qu'Evreux peut bien se situer dans une cuvette, il existe quelques petites montées. Pédaler est une activité physique assez énergivore, même avec l'appoint d'un moteur électrique et la jeune femme fait au moins trente kilomètres tous les jours, sans doute plus car elle n'a pas de compteur pour le vérifier.

Désormais Anne-Lise grimpe partout, hormis peut-être sur le coteau Saint-Michel qu'elle aborderait par une voie détournée. Et par chance Evreux n'a pas beaucoup de rues pavées.

Quand elle a quitté le tourbillon parisien où elle a vécu quinze ans, Anne-Lise a décidé de revenir dans sa ville natale pour y créer un food-truck de pâtes. En fait de camion, ce fut un cyclopode qui retint son attention parce qu'elle a pu bénéficier de conditions financières viables et surtout concilier ses préoccupations de maman et d'auto-entrepreneuse. En effet, il lui est tout à fait possible de travailler en compagnie de sa petite fille qui adore autant les balades que tenir compagnie aux clientes, quand elle n'est pas à l'école bien sûr.
Elle apprécie le calme d'Evreux, bizarre dit-elle mais bien agréable. On sent combien elle aime sa ville, la faire découvrir, la sillonner, créer du lien. Elle est montée avec son cyclo jusqu'au jardin botanique pour me montrer la sculpture Mémoire d'arbre de William Noblet, acquise par la ville à la fin de la manifestation Parcours de sculptures, initiée par Julie Borel (que je présenterai prochainement).
Elle s'est arrêtée devant l'ancien magasin du Printemps, dont on remarque encore les façades arts déco.
Elle m'a pointé, juste en face, un commerce un peu hétéroclite, me présentant Binette comme une sorte de magicienne des arts ménagers, connaissant toutes les astuces pour, je la cite, se débarrasser de bestioles, récurer une marmite, en employant une recette de grand-mère ou un truc moderne aussi, on trouve tout chez Binette !
Elle m'a piloté entre les vieilles façades encore debout, le centre ville ancien où battait le coeur de la ville autrefois, du temps où les tisserands vivaient dans le quartier Joséphine. Elle a désigné la petite Vierge, intacte depuis le moyen-Age, dans le mur qui se trouve presque à l'angle entre la rue Saint-Sauveur et la rue Joséphine. Le quartier a brûlé dans un incendie, sauf la maison supportant la statue selon ce qui n'est peut-être qu'une légende.

Elle m'a expliqué pourquoi la rue de Grenoble s'appelle ainsi alors qu'elle ne mène pas en direction des Alpes. Parce que c'est la ville de Grenoble qui a prêté de l'argent après la Guerre. Les bâtiments de cette rue seront les premiers à être reconstruits.
Nous avons aussi visité l'église Saint-Taurin que j'étais ravie de découvrir, en raison de la chasse de Saint-Taurin que j'avais admirée au musée, et du fait que Paul Bigo, à qui l'on doit beaucoup d'oeuvres du musée, avait vécu dans ce quartier.
Les vitraux de l'église sont admirables. Valant à mon sens ceux bien plus célèbres de la cathédrale.
Son cyclo lui permet de se faufiler aisément. Il est moins large qu'on ne croit. Elle est allée jusqu'à la porte du Conseil général où se déroule en ce moment un marché de Noël un peu inhabituel. Toute la journée elle véhiculera les habitants qui auront besoin d'elle pour s'y rendre, la prise en charge étant assurée cette année par le Département.
Pour contacter Anne-Lise, c'est facile par téléphone, 06 21 15 10 22, ou via sa page facebook.
Cliquez sur le tag "Normandie" pour suivre l'ensemble des articles consacrés à la région, et en particulier à Evreux entre octobre 2016 et janvier 2017.

La Vie Rêvée des Andes

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On patiente dans le hall de la Folie Théâtre, un théâtre de deux salles, installé dans un ancien atelier, et on se sent comme dans le confortable lounge d'un hôtel.

C'est à un voyage que nous sommes conviés comme le précise la carte d'embarquement qui nous est remise à la caisse et c'est Aurélien Saget lui-même qui accueille les passagers. Nous allons fermer la cabine, nous prévient-il. Prêts pour le décollage ? s'inquiète-t-il

Qui dit voyage dit rêve, et qui dit rêve dit bien ce qu'il veut dire. La Vie Rêvée des Andes ne se situe pas sur le terrain de la réalité mais dans le cerveau (très) fertile du comédien, que n'a pas dompté Alexandre Foulon, signataire d'une mise en scène qui relève sans doute plus de la mise en place que d'une véritable intention artistique.

Les deux compères se connaissent depuis leurs études au conservatoire du XV° arrondissement de Paris. Un avantage car ils s'entendent à la perfection. Mais ils se regardent sans doute avec moins de vigilance ... Il faut reconnaître que Aurélien Saget donne beaucoup à voir. Sa phénoménale aptitude à camper une douzaine de personnages sans changer de costume est plutôt exceptionnelle. Le spectateur n'a pas forcément en revanche la même capacité à le suivre. D'autant que ce n'est pas le fil ténu du synopsis qui le raccrochera bien que la pièce soit autobiographique, tirée avec beaucoup d'humour de son voyage en Amérique du Sud.
Sur les traces d’une légende chilienne, Aurélien s’embarque pour le bout du monde. Selon la légende, un jeune français est devenu roi de Patagonie il y a 150 ans. Entre Santiago et Talca, coutumes locales et gastronomie, entre fêtes nationales et rencontres amoureuses, il est loin d’imaginer les péripéties qui l’attendent. Il y aura des surprises !
Et pourtant je vais vous recommander le déplacement pour moult raisons.

↝ Parce que le théâtre qui le programme (malheureusement un seul soir par semaine, faut pas louper le coche) est un petit cocon très agréable.
↝ Parce que le comédien est réellement formidable et qu'il a le sens du bruitage.
↝ Parce qu'il sait installer le décor, façon de parler, en faisant le point sur les connaissances géographiques du public, déployant une carte, déroulant le drapeau national dont il explique la signification : bleu du ciel, blanc de la montagne enneigée, rouge comme le sang du patriote et l'étoile de l'unité nationale. Il nous apprend que pendant les fêtes nationales la présence du drapeau à chaque fenêtre est obligatoire.
↝ Parce que, enfin, détail minime me direz-vous mais en fait non, il y a tout à côté la boutique de Charlène qui est capable de vous préparer un sandwich à tomber (c'est bien dommage, le théâtre n'a pas de formule repas, enfin pour le moment parce ....) et comme elle ne ferme qu'à 20 h 30 vous avez tout votre temps. Seule précaution à prendre, car décidément aller à la Folie Méricourt est une expédition qui se prépare, il faut apporter, non pas ses baisers, nous ne sommes pas au café du canal, mais son pain ! Qu'à cela ne tienne j'ai là encore une carte maîtresse, la maison Landemaine au bout de la rue à l'angle avec Oberkampf.
Revenons au théâtre, au Chili, dans les Andes, où la pollution ne permet sans doute pas une vie de rêve mais où l'altitude agit comme la dopamine. Rêver c'est déjà ça.

L'imagination d'Aurélien est sans bornes, son terreau d'inspiration est fertile, notre homme connaît le Chili comme ... quelqu'un qui y est allé, ce qui n'est pas le cas ni de vous ni de moi, forcément il y a un décalage qui n'est pas que horaire. Je salue néanmoins la prestation.
Il interprète une vingtaine de personnages en changeant d'accent, de débit. C'est une performance. Il lui suffit de s'asseoir sur une caisse pour suggérer un trajet périlleux en voiture. C'est une prouesse de vouloir nous transporter à l’autre bout du globe avec un décor si minimaliste.

Si j'étais dramaturge, le terme est pompeux mais la fonction est utile, je conseillerais, si cela est possible dans ce petit théâtre, sympathique je le redis, quelques pinceaux lumineux et quelques ajouts d'accessoires pour aider le spectateur à passer plus facilement d'un personnage à l'autre. Une couronne et un poncho ne sont pas tout à fait suffisants.

Si j'étais critique théâtrale pour un magazine spécialisé je serais sévère, estimant que la prestation de Aurélien Saget est un peu brouillonne et que, malgré de manifestes bonnes intentions le comédien perd un peu le spectateur au cours du voyage.

Quand on prend EasyJet on est limité en bagage accompagné. A la Folie Méricourt point du tout. J'avais acheté des fromages chez la voisine. On me les a gardés ... au frais pendant le spectacle.

La Vie Rêvée des Andes d’Aurélien Saget
Mise en scène : Alexandre Foulon
Avec : Aurélien Saget
Création lumières : Denis Moranta
Musique : Jeanne Cortes
A La Folie Théâtre - 6, rue de la Folie Méricourt - 75011 Paris
Renseignements et / ou réservations   Tél : 01 43 55 14 80
Les jeudis à 20 h 30 jusqu'au 19 janvier 2017

Couronne de Noël à la banane

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J'ai voulu terminer l'expérience avec un moule américain qui avaient été commencée dans cet article pour avoir le coeur net sur la manière d'utiliser ce matériau. Du coup j'ai pensé qu'une recette typique s'imposait. J'ai donc repris le Banana Bread que j'avais parfaitement réussi dans un moule "normal" il y a quatre ans.

Sauf que, évidemment je ne refais jamais deux fois la même chose, dans un esprit d'amélioration. L'aventure a failli mal tourner, mais au final je crois avoir inventé une nouvelle recette. Cela mérite donc un billet spécial.

Je rappelle la recette de base : 2 oeufs dans un premier saladier avec 250 grammes de beurre fondu, 2 cuillères à soupe de lait entier, 3 bananes bien mûres et écrasées à la fourchette.

Dans un autre saladier 280 grammes de farine d'épeautre, 1 cuillère à café de bicarbonate de soude, 90 grammes de sucre type vergeoise, 100 grammes de noix de pecan, 90 grammes de graines de pavot, et un zeste de citron.

Ensuite on mélange les deux préparations. On verse dans un moule à cake beurré et on met à four chaud, th 6, pour 30 minutes.

Pour commencer, la farine d'épeautre et les bananes j'avais donc tout allait bien. Par contre j'avais idée de faire un mix entre cette recette et celle du gâteau au yaourt et donc remplacer le lait par un yaourt et le beurre par la valeur d'un demi pot (comme pour le gâteau dit au yaourt qui était très réussi). J'avais été impressionnée par la manière que Mercotte avait de battre les oeufs avec le sucre, très longtemps pour qu'ils soient très très mousseux après avoir triplé de volume.
J'ai donc utilisé mon arme de guerre, le robot Kenwood (alors que la plupart du temps je me satisfais d'une fourchette) avec le fouet pour monter ces oeufs avec le sucre (un pot de sucre en poudre habituel et un autre de vergeoise).
Une fois satisfaite du volume j'ai changé de batteur, pris le K et ai ajouté le yaourt et les 3 bananes coupées en rondelles (parce qu'après tout quand on a un batteur on n'a pas besoin d'écraser ...), une cuillère à dessert du mélange des neiges de Saravane, puis un pot de graines de pavot, et même deux cuillères à soupe d'un excellent cognac parce que, c'est bien connu, les américains adorent. J'ai ajouté ensuite les 3 pots de farine et un sachet de levure.
Parallèlement j'avais beurré le moule, très très très soigneusement. Le four était à bonne température de 200°. Je verse et j'enfourne en programmant le minuteur sur 38 minutes.
Ce n'est qu'au bout d'un quart d'heure, alors que je m'extasiais sur la montée de la pâte, que je réalisais soudain que j'avais oublié l'huile ... ou le beurre ... bref la matière grasse "dans" le gâteau. Trop tard pour revenir en arrière. A la sortie du four le gâteau est impeccable. Il ne sera pas nécessaire de le scalper; c'est positif.

J'ai posé un torchon plié en deux dessus et attendu 10 minutes avant de retourner d'un coup sec. le démoulage ne posa pas de problème. Pourtant je n'avais pas fariné le moule ... Et comme la photo en témoigne rien n'avait "attaché".
Restait la grande question du goût, parce que un gâteau sans aucune matière grasse je ne pensais pas cela possible. Or c'est excellent ! Moelleux ... insoupçonnable qu'il n'y ait ni beurre ni huile, et pourtant c'est vrai !

Modèle Vivant mise en scène de Xavier Lemaire

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Le Studio Hébertot programme un cycle Xavier Lemaire, avec trois pièces qui sont données à des horaires et des jours différents.  Outre la reprise de l'excellent spectacle, Qui es-tu Fritz Haber ?, que j'avais vu il y a trois ans au Poche Montparnasse au moment de sa création, on peut voir le témoignage d'un modèle qui pose dans un atelier.

Ceux qui ont eu la chance de voir l'exposition Mannequin d'artiste à la réouverture du musée Bourdelle apprécieront particulièrement ce spectacle même s'il n'est pas nécessaire de connaitre le sujet auparavant. Qu’est-ce qu’un modèle vivant ? Que se passe-t-il dans la tête et le corps de la personne qui prend la pose ?

Isabelle est allée voir Modèle vivant pour le blog. A écouter les conversations dans la file d'attente elle a constaté que plusieurs personnes venues voir le spectacle sont eux-mêmes des modèles. Sa chronique s'en trouve encore plus vraie.

J’aborde l’une d’elles qui me confie qu’elle a 68 ans et qu’elle est modèle depuis l’âge de 20 ans. Ce travail continue de lui plaire. Elle m’explique que le fait qu’il y ait une contrainte physique l’oblige à rentrer dans son intériorité. Elle en ressort pleine d’énergie pour aller vers les autres. Parfois, l’effort physique lui coûte : certaines postures sont difficiles, voire mal pensées et il arrive qu’on doive les maintenir pendant plusieurs semaines.

Je rentre, grâce à elle, dans un univers inconnu que la comédienne Stéphanie Mathieu va continuer d’évoquer durant le spectacle. Mis en scène par le très talentueux Xavier Lemaire, le texte, largement autobiographique, a été entièrement rédigé par Stéphanie Mathieu. D’abord danseuse de revue, Stéphanie bifurque ensuite vers le théâtre au hasard des rencontres de la vie. En parallèle, elle pose depuis 8 ans, une activité essentielle pour elle.

Sur scène : un podium, un projecteur qu’elle promène au gré des poses, un paravent pour se changer. Seule en scène, elle partage avec franchise et drôlerie sa routine déroutante, ses impressions, ses réflexions.

On pose d’abord pour gagner de l’argent. "Etre à découvert donc découverte peut me rapporter de l’argent !" se dit-elle après avoir été conviée à poser nue dans une banque.

Dans l’atelier, elle attend que chacun s’installe, jeunes élèves des beaux-arts ou retraités. A-t-elle le trac ? Plus vraiment. Froid ? Souvent. La comédienne se déshabille, prend une pose élégante. On sent sa formation de danseuse classique dans la beauté de ses postures. Son corps est sculptural, la lumière l’épouse à merveille. "Une fois que tout est en place, accord parfait avec le silence."
Poser peut être considéré avant tout comme un acte technique. La sensualité et l’érotisme qui se dégagent sont le fruit d’un effort. Le souvenir d’une pose est d’abord charnel, chaque muscle auquel elle envoie de l’oxygène sait ce que 2 minutes, ... 5 minutes d'immobilité veulent dire.
L’art consiste à donner l'illusion qu'on est statique tout en effectuant de micro-mouvements invisibles, car le corps vit, et doit respirer. Et si on faisait poser les corps morts ? nous demande Stéphanie Mathieu non sans humour. Eux au moins ne souffriraient pas et garderaient une pose éternelle, et puis en même temps, cela leur redonnerait vie !

Comment fait-on pour changer de pose ? Sortir de ce labyrinthe du corps ? Parfois, nous avoue la comédienne, je suis dans la boue. Autrement dit, elle est empêtrée dans son corps. Un corps plus ou moins en forme selon les jours. Nous rions à la mimique de son ventre "qui gonfle, qui gonfle" sous l’effet d’un bon repas accompagné d’une eau minérale gazeuse !

Par son corps, le modèle entre en relation avec l’autre. Des yeux la regardent mais la jeune femme aussi les regarde : "Pour moi le spectacle commence et je les regarde me dessiner", alors qu'on entend le grattement de coups de crayons sur un Canson.

Cette création en devenir peut parfois devenir source de frustrations de part et d’autre. Les étudiants la dessinent à leur image et souffrent de ne pas arriver à la représenter à la perfection. De son côté, il y a des déceptions : Je lui en voulais de dessiner seulement les contours. Je ne voulais laisser aucune place à la médiocrité.

Le rapport change quand elle quitte la pose pour prendre une pause : la transition n’est pas simple. J’étais nue. Ils sont pudiques. J’aime qu’ils ne me voient pas comme je me vois.

Dans cette relation, il y a aussi le besoin d’exister par le regard des autres. Cet effet miroir que Xavier Lemaire rend réel à un moment sur le podium en face d’elle en utilisant une glace comme accessoire.
Poser, c'est aussi la promesse d'être le centre du monde : Quand je pose dans un atelier, pendant deux ou trois heures, il n’y a que moi qui compte (...) lire l’admiration dans le regard de l’autre, c’est mieux qu’une crème de beauté."

Au-delà de la relation à l’autre, c’est la relation à soi-même qui est cultivée par le modèle lors de ses longues séances de pose. Coexistent comme dans la danse, la difficulté à tenir la pose et en même temps la possibilité de rêver, d’accéder à une liberté mentale et artistique dont on ressort plus fort. S’engager nue dans la société c’est résister nous dit Stéphanie, et résister c’est créer.

Etre nue, c’est être vulnérable mais paradoxalement, cette nudité protège. Nue, je suis fragile et on n’ose pas me marcher dessus.
Tout au long du spectacle, Stéphanie présente ses courbes dans une esthétique stylisée ou drapée d’une étoffe noire nouée avec élégance. Elle nous dévoile son corps et son âme, imite avec talent aussi bien le rappeur que la bourgeoise.

Poser est un art qui mène à l’acceptation de soi. Se mettre à nu, c’est se découvrir dans les deux sens du terme et accéder comme le dit Stéphanie Mathieu à une forme de maturité et d’abandon. On peut se demander d'ailleurs si une comédienne qui n'aurait pas son expérience parviendrait à nous faire ressentir la situation à un même niveau.

Modèle vivant est une très belle performance qui nous entraîne à mieux comprendre un métier qu’ont exercé parfois des muses célèbres comme Kiki de Montparnasse, (qui fut le sujet d'un spectacle au Lucernaire et à la Huchette), Lee Miller et tant d’autres dont la renommée repose sur le talent de celui qui les a fait renaître par la matière.

Modèle Vivant
De et avec Stéphanie Mathieu
Mise en scène Xavier Lemaire
Décors : Caroline Mexme
Lumières : Didier Brun, Musique : Fred Jaillard
Au Studio Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles, 75017 Paris 01 42 93 13 04
Mardi, mercredi, jeudi à 21h
Relâche exceptionnelle 12,19, 26 janvier et 02 février.
Photos Lot.

Le manège de Tilly d'Evreux (27)

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Evreux est décidément une ville étonnante, où les armées ont laissé plusieurs traces. Bien avant l'installation d'une base aérienne de l'OTAN (dont l'activité apparait en filigrane de l'exposition temporaire du musée Evreux année zéro), la ville disposait d'un manège, dit de Tilly, qui est une ancienne caserne militaire du XIXème siècle, en plein centre ville, rue du 7ème chasseur.

Connue alors sous le nom de caserne Saint-Sauveur, elle abritait la cavalerie des 21ème et 6ème régiments de Dragons. Son nom de Tilly lui fut donné en mémoire du comte de Tilly, général d’Empire. Longtemps laissée à l’abandon, réhabilitée en 2015 dans un univers baroque, elle est devenue un lieu autant culturel qu’animé, avec notamment un dîner-spectacle équestre qui plonge les spectateurs au milieu des uniformes, des chevaux... et de la cantine du régiment ! C'est donc en toute logique la cantinière, Angélique, qui vous accueillera à l'ouverture des portes à 19h30.

Chacun des 350 convives sera conduit individuellement à sa table par un jeune cavalier brandissant le drapeau bleu blanc rouge. A moins que vous ne soyez un peu en avance sur vos amis. Vous êtes de toute façon libre de circuler, de vous faire prendre en photo sur une carriole ... ou d'attendre d'autres convives sur un sofa ...

La musique donne le ton. Doucement nostalgique. Charles Trenet chante le Jardin extraordinaire avant que Guy Béart ne poursuive avec l'Eau vive.  Les éclairages projettent des rayons de soleil et participent à installer une ambiance joyeuse.

Nous sommes prêts à effectuer un autre bond en arrière. Jean a enfilé les lanières de son accordéon. Imaginons que nous sommes le 12 juillet 1890. Nous trinquerons souvent ce soir à la gloire de Saint Georges. Vive la cavalerie !
L'apéritif se prend au bar, ou à table, comme on le souhaite. Chacun est invité à venir plusieurs fois faire remplir son quart de fer-blanc d'une louche de sabre normand, un mélange de vin blanc sec et de sirop de pomme verte. Des coupelles, dans cette même couleur bleu, sont remplis de mini bretzels.
  
Le public chante au son de l'accordéon, reprenant les paroles de Dalida, le petit itsi bitsi tini ouini, tout petit, petit, bikini. Les chevaux s'échauffent sur un sol fibré qui leur assure beaucoup de confort (et dont la douceur m'a surprise) .... ou patientent en coulisses. D'une certaine façon, les animaux sont ici "comme à la maison". Chacun connait son rôle sur le bout du sabot. Ils ont leurs repères, connaissant par coeur les effets de lumière et réagissant en suivant la musique. Sur un cheptel de 18 têtes un peu moins de la moitié seulement vient travailler ici chaque soir. Le plus élégant porte une tresse de 1, 20 mètre de longueur (ci-dessous à droite).
Envoyez la soupe du colonel ! s'écrit Frédéric Moutet après avoir "chambré" un de ses soldats, lui imposant une série de pompes. Les gamelles sont vites remplies. On se régale. Alors on se ressert une louche. Le principe de la table d'hôtes est propice aux conversations et aux dialogues.
Toute la troupe participe au service. Une fois les bols débarrassés, c'est le jarret de porc à l'ancienne, pomme aux poivres, purée de vitelotte qui arrive sur de grands plats fumants. L'accordéon reprend du service pour distraire les spectateurs tandis que la piste s'installe.
On commence à sentir l'odeur musquée des animaux. Frédéric Moutet interroge la salle d'un allez vous bien ? n'appelant qu'une réponse : oui chef !
Il est presque 22 h 30 et le spectacle proprement dit commence. Il faudra taper les trois coups dans la pure tradition. Avec ce bâton enveloppé de velours rouge et serti de clous dorés, qui s'appelle brigadier, parce que dans l'armée c'est ce grade qui dirige l'équipe.J'ai toujours cru que le nombre de trois était une référence à la Trinité (le Père, le Fils et le Saint-Esprit). J'ai appris ce soir qu'à la Comédie Française on frappait 6 coups, pour évoquer la réunion des deux troupes fondatrices de cette institution en 1680, celle de l'Hôtel de Bourgogne et celle de l'Hôtel Guénégaud.

Nous allons assister (et participer aussi parfois) à une revue de caserne, partie pour être présentée pendant trois ans. Huit chevaux évolueront sur la piste. Des ibériques, portugais ou espagnols. Tous magnifiques. Quant aux comédiens, ils étaient tout à l'heure serveurs, ils vont être acrobates et danseurs. Ils portent des costumes qui sont des répliques conçues par le spécialiste des costumes militaires dans le cinéma français.
Le spectacle enchainera les voltiges, les cascades et les numéros de cirque, sérieux mais avec un humour revendiqué, très accessible à tous les âges, selon un synopsis imaginé par Frédéric Moutet en respectant les codes du cabaret, y compris quand le manège est réquisitionné pour des soirées privatisées. Il connait bien cet univers, ayant travaillé longtemps dans la cascade à cheval sur des plateaux de cinéma.
Les premières entrées en scène se font au galop sur l'air du quadrille de l'acte II d'un opéra de Verdi. Changement de rythme ensuite avec The great gig in the sky des Pink Floyd sur l'évolution du cheval blanc natté.
La complicité entre les humains et les chevaux est remarquable. L'animal simule la détresse.
Il se cabre sur un signe imperceptible pour le spectateur.
Il peut aussi s'infiltrer dans le public, et marcher au pas entre les tables.
Sans être strictement historique, le scénario s'appuie sur la réalité. Le manège était en 1862 utilisé par les militaires. Après la guerre de 1870, marquée par la défaite, des régiments de cavalerie ont été implantés à travers la France et il y a eu jusqu'à 800 chevaux à Tilly.

Suivra relativement vite un changement radical, en 1911 : la France s'équipe en chars. Les chevaux n'apparaissent plus que pour les parades. Tilly devient un hangar où l'on stationne des camions. On appelait l'endroit la caserne des trains, sans que l'on puisse expliquer pourquoi ce nom. Ce fut ensuite un centre d'entraînement militaire pendant trois ans. En 2000 le service militaire est supprimé et le bâtiment, donné à la ville, devient un gymnase.
Les scènes dialoguées (toujours humoristiques), alternent avec des numéros dignes des meilleurs cirques. Comme ce très joli travail avec le tissu par Christine. Et qui annonce presque la fin du spectacle.
Il n'y a pas de bonne ou mauvaise place pour suivre la représentation. Celle-ci ayant lieu au milieu du repas les personnes qui le souhaitent peuvent se déplacer avec leur chaise et se rapprocher de la piste, pourvu de rester au moins un mètre en arrière, question de sécurité.

Elle s'achève sur la musique de la finale de l'ouverture de l'opéra Guillaume Tell de Rossini dont la musique est indissociable de la cavalerie. Et sur la présentation de la troupe : Charlotte dans le rôle du Premier dragon, Kevin le Deuxième, Cécile, la fille du colonel, Pierre le colonel, Arnaud le palefrenier, Angélique la cantinière et Christine, la circassienne.

On réintégrera les tables pour le dessert, un Bonneau aux pommes, arrosé (généreusement) de Calvados, et on prendra un café si on le souhaite. Les convives s'attardent, commentant les numéros. Les artistes circulent de table en table, répondent aux questions en toute simplicité.

Coté scène, pas de rideau à tirer, mais il reste encore un peu de ménage et de rangement à faire avant de rentrer à l'écurie. Les chevaux ne dorment pas sur place mais à une quinzaine de kilomètres de là. Quand ils travaillaient sur des tournages de film ils pouvaient faire jusqu'à 25 à 30000 kilomètres par an. C'était une vraie vie de bohème, me dit Frédéric Moutet. 
Une quinzaine de représentations a eu lieu l'année qui a suivi la réouverture, le 18 septembre 2015,  et leur nombre progresse, sans compter des soirées à thème pour l’arrivée du Beaujolais nouveau, le spectacle de flamenco Sensualidad Flamenca ou la soirée du jour de l’an.

Il est possible de louer le manège de Tilly pour des soirées privées, repas-cocktails, séminaires, colloques, concerts, mariages...

Le manège de Tilly, rue du 7ème chasseur - 27000 Evreux - 07 83 89 88 43
Dîner-spectacle adultes : 49 € (29 € pour les enfants)
Spectacle seul adultes : 39 € (19 € enfants)

Cliquez sur le tag "Normandie" pour suivre l'ensemble des articles consacrés à la région, et en particulier à Evreux entre octobre 2016 et janvier 2017.

Vivre !! au Musée de l'Immigration

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Vivre ou ne pas vivre, c'est le titre d'une chanson interprétée par Cœur de Pirate, Arthur H et Marc Lavoine dans le conte musical de Fabrice Aboulker et Marc Lavoine, d'après l’œuvre d’Andersen, Les Souliers Rouges.

Agnes b plébiscite la première hypothèse avec deux ! même si elle a conscience que la mort n'est pas une illusion. Elle a choisi 70 œuvres dans son immense collection qu'elle partage avec le public du musée de l'Immigration.

Cela fait des années que la créatrice ouvre l'espace de ses boutiques à l'art contemporain, en particulier la photo. La galerie du Jour (44 Rue Quincampoix, 75004 Paris) est ouverte depuis 1984.

Des années aussi qu'elle soutient (souvent sans que personne ne le sache) des actions artistiques. C'est une mécéne et une collectionneuse, à l'instar des Billarant, lesquels n'ont pas "besoin" qu'un musée les accueille puisque il ont aménagé le leur, dans un Silo à Marines (94).

J'ai visité cette exposition, qui vit hélas ses derniers jours de présentation. Ne manquez pas d'aller "feuilleter" ce carnet dont les chapitres sont calligraphiés de la main si élégante de cette femme exceptionnelle. Sauf mention particulière les oeuvres sur lesquelles je me suis arrêtée proviennent de la Collection agnès b.

La première photographie est un tirage de Ryan McGinley, Whirlrwind, 2004. Il introduit avec poésie l'exposition qui nous emporte dans le tourbillon de la vie.

Certains thèmes choisis par la créatrice peuvent surprendre mais c'est classiquement qu'on commencera par l'amour, forcément est incontournable. Les sentiments sont déclinés en noir et blanc comme une tendre évidence scénarisée par Man Ray. Ils se livrent dans un moment d’abandon saisi par Henri Cartier-Bresson. Il se révèle dans l’entrelacs des mains photographiées par Weegee, plus coutumier des scènes de crimes des rues de New York que des duos amoureux.

Aux côtés des grands maîtres du noir et blanc du 20e siècle, figurent - dans une collection toujours curieuse de talents émergents - les regards de jeunes artistes qui témoignent d’amours naissantes : un baiser évanescent de Vincent Michéa, Baiser VI n°221, acrylique sur toile, 2011

Ils explosent de couleur avec le Pre-Kiss (2010. Digital C-Print monté sur aluminium) de la jeune Olivia Bee, artiste repérée via son blog, sans prétention autre qu’émotionnelle, et dont le travail a été exposé en 2014 dans la galerie d’agnès b. de NewYork. La dimension monumentale du tirage participe à l'émotion.
 

Au chapitre de la danse, cette photographie de Malick Sidibé, Nuit de Noël 1965, illustre encore selon moi l'amour. Elle figurait d'ailleurs dans le parcours de Love Stories au Quadrilatère de Beauvais  (60) aux dernières Photaumnales.
Le photographe a reçu en 2007 le Lion d’or pour sa carrière, lors la 52ème Biennale de Venise. Sur ce cliché immense les danseurs évoluent dans une bulle de complicité que l'on a envie de pénétrer. Rarement une image fixe aura induit autant de mouvement et de légèreté.

"Dansez !" est une joyeuse injonction en néon multicolore de Claude Lévêque, artiste exposé par agnès b dès 1997 tandis que la danse que pratiqua Agnès adolescente est évoquée par une paire de chaussons roses.

La question de l'identité était un autre incontournable puisqu'elle est au cœur de la raison d’être du Musée national de l’histoire de l’immigration, qui présente deux oeuvres tirées de ses collections.   J'ai retenu les Hittistes (littéralement "qui tiennent les murs") dont il émerge une impression de dépouillement et de grande solitude. Djamel Tatah peint inlassablement les mêmes personnages. Celle-ci (Sans titre, Djamel Tatah, 2008 © Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration) peut se lire comme l’allégorie d’une certaine jeunesse d’aujourd’hui, que l’on retrouve de part et d’autre de la Méditerranée, dans les rues de France ou d’Alger. L'artiste assume son geste :
"Je fais toujours le même tableau. J’explore toujours le même sentiment, le même rapport au monde, avec une insatisfaction perpétuelle qui me pousse à continuer. La répétition est inhérente à mon travail. (...) Pourquoi ce personnage est-il répété plusieurs fois ? C’est pour accentuer l’idée. Comme dans la musique répétitive, cela devient progressivement lancinant. Mais c’est une fausse répétition. Tout se passe dans les nuances".

En progressant vers le fond de la salle on remarque une œuvre phare : Deux clans, deux familles d’Annette Messager, qui fut réalisée et présentée en 1998 dans ces mêmes espaces par le Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie dont les collections ont rejoint depuis le Musée du quai Branly tandis qu'agnès b faisait l'acquisition de l'installation d'Annette Messager.
Sur le mur perpendiculaire est accroché l’Autoportrait (1983), crayon gras sur papier, de Jean-Michel Basquiat, artiste dont le travail découvert par agnès en 1985 à la Biennale de Paris, et qu’elle a rencontré en 1988, quelques mois avant sa mort.
Je remarque aussi cette petite photographie qui me rappelle le souvenir d'une exposition sur le thème de l'identité à l'Institut culturel Vuitton (dont la fermeture est regrettable). Ma tête de 18 ans sur mon corps de 67 ans, 1967, de Pierre Molinier (1900-1976).


La collection d’agnès b. abonde d'oeuvres liées à l'écriture, sous toutes ses formes et avec tous les outils scripteurs imaginables, y compris le néon. Le tableau de Denis O. Callwood, Jasmine (from the Gang Series), 1993-2007. C-Print, lance le débat.
Les Longs poèmes courts à terminer chez soi, écrits sur papier kraft, de Robert Filliou sont à la fois poétiques et humoristiques, comme pourrait l'être cette Machine à écrire (1986) en carton de Katsuhiko Hibinonée au Japon en 1958, si elle ne préfigurait pas la disparition de la beauté du texte manuscrit.
Un (petit) pas à faire et nous entrons dans le chapitre Guerre et révolte. Avec une écriture particulière (précisément au néon) Who started the war ? interroge Damir Radovic. Agnès b a soutenu plusieurs artistes originaires de Bosnie-Herzégovine qu’elle exposa à la Galerie du jour.
On pourrait de la même manière nous demander qui manipule qui en regardant ce tableau de Banger, Sans titre (Soldat/ pantin sur fond bleu ciel), 1991, technique mixte sur toile.

La révolte emprunte des voies diverses. Elle survient comme dans la vidéo radicale de Regina José Galindo, qui met en scène sa marche téméraire contre la candidature d’un dictateur au Guatemala en 2003. On la voit avancer devant les militaires, portant une cuvette de sang, qu'elle pose régulièrement par terre pour y tremper un pied et poursuivre son avancée en laissant une trace rouge.
Elle devient généreuse avec l’Abbé Pierre (1912-2007) et ses simples mots, Et les autres ?, encre sur papier, dont agnès b soutient la Fondation.

On ne pourrait la manquer. L'immense installation Medicaments City, ville bienveillante où tous les habitants auraient droit aux soins, façonnée par Bodys Isek Kingelez en 2003 occupe une place de choix au fond, devant une verrière qui donne sur Paris. Agnès b suit cet artisan de cités utopiques en matériaux de récupération, depuis l’exposition Magiciens de la Terre, en 1989.
 
Dans l’esprit de cette maquette monumentale, les œuvres sélectionnées privilégient la simplicité des matériaux comme le Temple en bambous et tissus récupérés dans les poubelles de Pékin en 2013 par Claire Tabouret ou les douze planches en bois brut de la Palissade blanche de Raymond Hains, 1976.
A ce stade on est obligé de revenir sur nos pas, regarder les oeuvres sous un autre angle, en remarquer d'autres. Comme ce croquis de la main d'Andy Warhol (1928-1987) Boys in the zoo, 1954 qui fait penser au trait de crayon de Cocteau.
Une fois revenu au commencement on peut regarder plus longuement deux tapisseries qui donnent à voir d’autres visions du monde.
Celle d'Alighiero Boetti (1940-1994) Mappa del Mondo, 1984. Tapisserie sur toile, célèbre pour ses planisphères brodés par des tisserands originaires d’Afghanistan ou du Pakistan et un tapis Bukhara - œuvre issue de la collection d’art contemporain du musée - métaphore d’une patiente reconstruction d’identité d'une artiste d’origine palestinienne dont l’œuvre traite de l’exil, Mona Hatoum, Bukhara (red and white), 2008, tapis en laine, 143 x 225 cm.
Mona Hatoum est née à Beyrouth. En 1975, alors qu’elle est en visite à Londres, elle se voit dans l’impossibilité de rejoindre son Liban natal et ses proches : la guerre civile vient d’éclater. Dès lors, elle choisit de questionner son statut de femme et d’exilée à travers une œuvre poétique et exigeante où se mêlent menace de la guerre, expérience de l’exil, questionnement identitaire, dépaysement et arrachement. Au milieu des années 1980, l’artiste se fait connaître sur la scène internationale avec ses performances et ses vidéos qui laissent poindre la violence du monde contemporain.

Elle investit ensuite les domaines de l’installation et de la sculpture. Elle s’empare d’objets familiers, domestiques et intimes, qu’elle ne cesse de métamorphoser. Ainsi, avec Bukhara, elle inscrit en creux un planisphère sur un tapis persan aux dessins géométriques, faisant référence à l'exil de ses parents, contraint en 1948, sous la pression israélienne, de quitter leur maison de Haïfa et de s’exiler au Liban, et devant abandonner une grande partie de leur importante collection de tapis.
A travers les œuvres accumulées, agnès b exprime son rapport au monde et laisse (un peu) transparaitre qui elle est, sans rien occulter, y compris la mort.





VIVRE !! La collection agnès b. au Musée national de l’histoire de l’immigration
Du 18 Octobre 2016 au dimanche 8 Janvier 2017
Du mardi au vendredi de 10h à 17h30. Samedi et dimanche de 10h à 19h.
L'entrée est gratuite pour les moins de 26 ans et pour tous le premier dimanche de chaque mois.
Musée de l’histoire de l’immigration - Palais de la Porte Dorée
293, avenue Daumesnil, 75012 Paris

Avec des oeuvres de Pierre Ardouvin, Eugène Atget, Roger Ballen, Banger, Jean-Michel Basquiat, Olivia Bee, Alighiero Boetti, Anastasia Bolchakova, Emmanuel Bovet, Brassaï, Henri Cartier-Bresson, Andre de Dienes, Claudine Doury, Robert Filliou, Nat Finkelstein, Martine Franck, Regina José Galindo, Gilbert & George, John Giorno, Nan Goldin, Emmet Gowin, Raymond Hains, Lucien Hervé, Rodolf Hervé, Katsuhiko Hibino, Bodys Isek Kingelez, Claude Lévêque, Helen Levitt, El Lissitzky, Ryan McGinley, Annette Messager, Duane Michals, Vincent Michéa, Radenko Milak, Pierre Molinier, Dennis O.Callwood, Antionette Ohannessian, Abbé Pierre, Damir Radovic, Man Ray, Clare Richardson, Willy Ronis, Paul Seawright, Malick Sidibé, Ernest T., Claire Tabouret, Rirkrit Tiravanija, Alan Vega, Andy Warhol, Gillian Wearing, Weegee, Christian Xatrec, et quelques autres des collections d'art contemporain du musée, Kader Attia, Mona Hatoum, Chéri Samba, Roman Cieslewicz, et Djamel Tatah.

Extermination des cloportes de Philippe Ségur

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Si Extermination des cloportesétait prescrit sur ordonnance, les laboratoires qui commercialisent des anxiolytiques et autres psychotropes pourraient mettre la clé sous la paillasse.

Cette lecture ne peut pas être silencieuse. Et le livre devrait être vendu avec des boules Quiès, non pas pour vous, mais pour votre entourage qui sera troublé, forcément, par vos éclats de rire. C'est intelligent et drôlissime, suréaliste, décalé. Philippe Ségur se situe à l'exact croisement entre les esprits de Boris Vian et de Woody Allen. Avec un quelque chose en plus parce que ni Vian ni Allen ont la capacité de faire rire autant. 

Je me trouvais hier soir dans le métro, revenant d'un spectacle en terre lointaine. L'occupation favorite est de jouer, si on considère que c'est un jeu, à des sortes de pianoté lents pour faire tomber des trucs, aligner des colonnes, hobby auquel je ne comprends rien car s'il est facile de lire au-dessus de l'épaule de son voisin, suivre les évolutions d'un écran c'est une autre affaire.

Tout le monde dans le wagon avait les yeux rivés sur son écran minuscule. Je faisais office d'ovni à lire, activité à laquelle je me livrais sans me douter que j'attirais l'attention. Est-ce parce qu'on ne voit plus guère de bouquin dans les travées, est-ce que le passager assis en face de moi a été surpris par le titre, ou est-ce que quelque chose dans ma manière de lire forçait l'attention, toujours est-il qu'il a eu le pouvoir de provoquer une discussion dans la rame.

Je fais comme si je venais de découvrir un auteur (ce qui est vrai parce que c'est le premier - mais pas le dernier- livre que je lis de lui), ce qui témoigne de mon incurie, parce qu'il a tout de même été révélé, comme on dit, en 2002 avec Métaphysique du chien, (publié comme tous ses romans chez Buchet/Chastel) ce qui pourrait prouver que les animaux sont plus perspicaces que moi en littérature contemporaine. Et si j'en crois sa biographie -pourquoi douterais-je ?- sa première publication d'une (bonne) nouvelle aurait été orchestrée dans Spirou alors qu'il n'avait que 11 ans.

Professeur de droit constitutionnel et de philosophie politique à l’université de Perpignan, Philippe Ségur construit au fil des années une oeuvre singulière et drôle, hantée par le thème de la dualité. Sa biographie indique aussi sa naissance à Lavaur (Tarn), commune que je connais bien pour l'avoir traversée en train après avoir eu l'honneur de la voir d'en haut, même du très-haut sommet de la proche église de Giroussens, habituellement fermée au public. Vous allez penser que je m'égare ... C'est l'effet Ségur, car comme vous le savez sans doute, la comtesse doit sa notoriété et la fulgurance de sa carrière à la profession de son mari, impliqué dans les chemins de fer.

Le talent serait-il contagieux ? J'en doute mais en tout cas lire Philippe Ségur laisse des traces.

En dehors de sa passion pour sa femme Betty, Don Dechine a un but dans la vie : écrire. Seulement voilà, pas facile d’écrire un roman fracassant quand on est prof de lycée et qu’après les avanies de la journée, il faut encore affronter un voisin pas content, les tracas de la copropriété, le harcèlement fiscal et les PV pour stationnement interdit. Rien de plus normal, pour se détendre, que de consacrer ses soirées à l’intégrale des sept saisons de Soprano. Sauf que ça n’aide pas non plus à trouver la fortune et la gloire littéraire.

Il y aurait bien une solution : tout plaquer pour aller vivre à la campagne. Comme l’explique Don Dechine, il n’y a que dans la nature qu’on peut valablement produire un chef-d’oeuvre. Armés d’une confiance et d’un humour à toute épreuve, Betty et lui vont donc se lancer dans la quête de la maison idéale, tenter de se débarrasser d’un appartement invendable et se perdre dans un monde inconnu et atroce : la jungle impitoyable de l’immobilier.

Une sacrée aventure quand on est un futur génie de la littérature et qu’on se réveille un matin avec un cloporte dans l’oeil !

Ce qu'il nous narre semble relever de l'imaginaire, comme le sont les petit textes que j'ai publiés sur la page FB du blog. C'est tout à fait surréaliste sauf que c'est assez vrai quand même. Quiconque a déjà eu affaire à un agent immobilier ou à un conseiller bancaire reconnaîtra, à la virgule près, le dialogue de sourds dont ces professionnels excellent pour nous embrumer.

Ce ne sont pas les événements qui sont incroyables, mais la manière, je dirais le regard, que Philippe Ségur pose sur eux, entraînant dans son raisonnement sa femme Betty qui, bien que légèrement plus lucide que lui le suit tout de même dans ses délires. Vous avez dit délire ?

Alors que ceux qui n'auront pas passé un joyeux moment à lire Philippe Ségur me laissent un commentaire ! Je suis curieuse de les connaitre... s'ils existent.

Extermination des cloportes de Philippe Ségur, chez Buchet Chastel en librairie le 3 janvier 2017

3 minutes à méditer de Christophe André, chez l'Iconoclaste

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Qui ne rêverait pas de changer sa vie en seulement trois minutes d'attention quotidienne ? C'est la promesse que Christophe André entretient depuis très longtemps, avec succès. Sans magie aucune car, comme on le sait ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières, et les petits efforts les grands changements.

Méditer, tout le monde a ce mot à la bouche … alors quand les éditions de l’Iconoclaste m’ont proposé de participer à une séance pilotée par Christophe André j’ai immédiatement accepté. Cette soirée, très fermée, était organisée dans le contexte de la sortie en librairie de 3 minutes à méditer, en coédition entre l’Iconoclaste et France Culture.

La méditation est un terme générique qui englobe le zen, dont l'image est plus austère, la vipassana pratiquée en Inde, et des techniques tibétaine, chrétienne ou soufi. Voilà plus de deux mille ans que l’on médite, en Orient comme en Occident. Autrefois on faisait une retraite chez les Bénédictins, ici il s'agit d'une méditation laïcisée (ce qui la rend plus accessible), scientifiquement validée, correspondant à une méthode facile à apprendre et qui se pratique désormais dans les cabinets des médecins, à l’école, dans l’entreprise ou chez soi. Nous offrant sérénité, force et lucidité, elle nous aide aussi à résister aux maux de notre époque : égoïsme, matérialisme, dispersion digitale.

La vulgarisation a commencé il y a dix ans avec, Méditer, c’est se soigner (publié aux Arènes). Pour la première fois en France, un ouvrage démontrait les bénéfices thérapeutiques de la méditation. Selon son auteur, le psychiatre Frédéric Rosenfeld, méditer n’est pas un traitement en soi, mais c'est une activité qui est bonne pour la santé, autant celle du corps que de l’esprit.

Puis est arrivé Jon Kabat-Zinn, dans une démarche scientifique pure et dure. Et enfin Christophe André qui a décidé d’utiliser la méditation en prévention des rechutes dépressives dans le service où il exerce à l’Hôpital Sainte Anne à Paris, au sein d’une Unité de Psychothérapie Comportementale et Cognitive, spécialisée dans le traitement et la prévention des troubles émotionnels, anxieux et dépressifs (phobies, dépressions, paniques …). Il fait néanmoins figure de précurseur car son service aura été le premier service universitaire à se pencher sur le sujet.

Depuis 2004 il a instauré des groupes de suivi pour les patients volontaires. Un travail qui intervient en prolongement d’un apprentissage qui aura été effectué auparavant pendant 2 à 3 mois une fois par semaine. Son premier livre, Méditer jour après jour, a convaincu plus de 500 000 personnes. l reprenait l'expression de pleine conscience déjà employée par Frédéric Rosenfeld.

On peut donc considérer que la méditation n’est pas une mode mais une lame de fond qui investit tous les secteurs. Je connais des entreprises qui ont choisi de proposer ce type de soins à leurs employés pour lutter contre le stress négatif.

Un certain nombre de personnes ont néanmoins encore besoin d’être confortées par rapport à la méditation qui conserve une image new age, baba cool, voire même de secte. Pour beaucoup de personnes c’est une activité qui ne peut avoir lieu que dans les monastères. En proposant des moments brefs sur un média de large audience, Christophe André entreprenait cet été, en collaboration avec France Culture, une démarche rassurante, signifiant combien la méditation était à la portée de tous, pourvu qu’on parvienne à se rendre un peu disponible.

C'est pourquoi il a choisi des séances de 3 minutes d’exercices brefs qui devraient aider à se recentrer dans l’activité dans le même état d’esprit qu’un cuisinier n’arrête jamais de gouter ce qu’il cuisine. Rien ne remplace les retraites de méditation longue mais ces exercices, au nombre de 40, devraient faciliter le réajustement de sa posture. L'objectif principal est de demeurer concentré dans l'activité, (alors qu'on a si souvent tendance à faire autre chose) pour acquérir ce qu'on appelle la pleine conscience.

L'hypnose et la sophrologie ont en commun de modifier le fonctionnement habituel de notre conscience. La finalité n'est pas celle de la méditation. De la même façon si une séance peut aboutir à un état de relaxation ce n'est pas l'objectif visé qui est de se rendre présent à ce qui est là, pour par exemple affronter différemment la souffrance, ou mieux savourer ce qui est agréable. La pleine conscience est un outil pour mieux rencontrer tout ce que la vie peut nous amener à vivre.

Les 40 chroniques qu’il a faites sur France culture tout l’été ont été podcastées par plus d’un million d’auditeurs, ce qui est un record. Elles restent téléchargeables dans un délai de 3 ans, mais vous les trouverez intactes dans le livre.

Elles répondent au besoin de nos vies contemporaines carencées d'une part en continuité (il est fréquent de remarquer des joggueurs répondre au téléphone sans s'arrêter de courir), d'autre part en moments "où on prend le temps".

Il ne s'agit pas de se couper du monde mais de se rendre présent au monde. On ne préconise pas de porter sa zénitude en bandoulière, ni d'être cool sans discernement. Le but est de connaitre une autre manière de vivre, dans le discernement et le recul. Pour le dire autrement, on ne peut pas bloquer l'arrivée de pensées négatives mais on pourra les empêcher de "nicher" dans notre cerveau en leur accordant de l'importance.

L'ouvrage comporte un texte original qui explique les différents aspects de la méditation (la dimension thérapeutique, la dimension personnelle, la dimension pratique), des citations mises en exergue. Et il est accompagné d’un CD (les pistes sont téléchargeable sur un site internet). La voix de Christophe Andre joue un rôle déterminant. Les deux moments de méditation qu'il nous a fait vivre ce soir l'ont démontré.

Tout en étant complémentaire des autres livres du même auteur 3 minutes à méditer représente un programme complet pour commencer ou approfondir la méditation.

Il s'adresse donc aussi bien aux néophytes, tentés par la méditation mais encore intimidés par son approche, comme aux nombreux lecteurs de Christophe André. Le format court, la multiplicité des sujets et le fait qu’ils sont reliés à la vie quotidienne en font un ouvrage simple à utiliser.

Chaque "chapitre"' commence avec une citation qui lance le sujet et on trouvera sans surprise un adage zen. Une introduction approfondit le thème. Vient ensuite l'exercice proprement dit suivi de quelques conseils.

9 fois sur 10 il est préconisé de s'arrêter un moment et le souffle tient une place prépondérante dans la majorité des exercices. Mais quelques-uns sont différents comme la recommandation de manger en pleine conscience (p. 97) ou de faire la cuisine (p. 135), ce que, avec un blog alternativement culturel et culinaire, je ne peux que encourager.

S'entrainer à la compassion (p. 115) et s'exercer à la gratitude (p. 157) ne sont pas assez fréquents dans nos vie surchargées. Apprendre à accueillir une émotion douloureuse (p. 103) pour pouvoir s'en libérer ensuite ou mettre l'anxiété à distance (p. 145) sont des exercices fondamentaux que l'on ne sait pas faire spontanément. Ce livre a le grand mérite de nous les pointer.

J'y ai retrouvé aussi des principes de bon sens (on disait sagesse autrefois) comme la mise en garde contre la consommation excessive d'écrans (p. 129) ou des recommandations que je connaissais comme celui du repérage de 3 moments de bonheur chaque jour (p. 189) auquel je me livre depuis cinq ans.

3 minutes à méditer de Christophe André, chez l'Iconoclaste, en librairie le 11 janvier 2017

Letzlove-Portrait(s) Foucault

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Le plateau est presque nu et le public y est installé, dans un dispositif dit "de petite jauge", qui permet une grande proximité avec les acteurs. La scénographie exclut tout élément de décor, de manière à pouvoir être installé partout, au théâtre comme dans la ville, dans des bibliothèques, dans des universités, des lycées, des centres sociaux ...

A jardin un tourne-disques comme on en a connu jusque dans les années 80 avec une pile de disques. A cour une chaise et une bouteille d'eau. Au centre une autre chaise devant un écran sur lequel quelques mots seront projetés, quoique rarement.

Maurin Olles avance simplement au devant des spectateurs et raconte ce qui aurait pu être un banal trajet en auto-stop (aujourd'hui on ne lève plus le pouce sur le bord d'une route, on s'inscrit sur Bla Bla Car). L'automobiliste, il en aura la confirmation le lendemain, se trouve être Michel Foucault.

Le jeune homme s'en doutait comme en témoigne ses paroles : L’écoute de mon conducteur n’était pas ordinaire, il me relançait, voulait des précisions. Arrivé aux lectures, il devint presque gourmand : ce que j’avais lu et aimé, lu et pas aimé, ce que je voulais lire. Son intérêt s’intensifia quand je racontai ma visite de la veille à la librairie Maspero et ce Pierre Rivière que j’avais longuement feuilleté. L’oeil était si joyeux que je lui demandai : "Ne seriez-vous pas Michel Foucault ?"

Thierry Voeltzel, car c'est de lui qu'il s'agit, nous fait partager son étonnement : "tout ce que je disais le passionnait, mes études de japonais, mon envie de militer, mes goûts, ma famille."Il met les spectateurs dans la confidence, comme avec les lecteurs de son récit, intitulé Vingt ans et après (Grasset, 1978), le seul livre qu'il ait d'ailleurs publié.

Vingt ans, c'était l'âge qu'il avait et qui plaisait beaucoup au philosophe : "C’était, je pense, l’été 1975. Je venais d’avoir vingt ans, parce que c’était à la fin du mois d’août. Michel a dit à Daniel : "J’ai rencontré le garçon de vingt ans."Ça lui plaisait beaucoup, le garçon de vingt ans."

Le prénom de Daniel revient souvent au cours de la soirée. Il s'agit de Daniel Defert, le compagnon de Michel Foucault pendant 25 ans et qui, après sa mort, du SIDA, a créé Aides.

Il est question d'homosexualité et de sexe. On pourrait se sentir voyeur. On pourrait aussi être choqué que l'amant ait l'âge du père de Thierry. Pourtant non, jamais. Sans doute parce que la parole est simple, évidente.

J’avais rencontré Michel en août 75 ; en octobre j’emménageai avec Gérard ; en septembre Leslie nous rejoignit. Je commençais à militer sur Belleville et progressivement abandonnais la fac. En 76, je fus embauché à l’hôpital Henri-Mondor et partageais mon temps entre l’hôpital à Créteil et le studio à côté de l’appartement de Michel. C’est cette année-là que nous avons commencé les entretiens pour ce livre. (...) Michel a retravaillé à partir des transcriptions faites des dialogues. Il a voulu reprendre des questions, revenir sur des choses qui lui semblaient essentielles, la famille, le travail... Pour la mise en forme du livre, Michel a pensé à une amie, Madeleine Laïk. Elle n’était pas disponible. C’est une de ses amies à elle, Mireille Davidovici, qui a tiré un livre de cette conversation.

Le livre ne rencontra pas le succès escompté. Michel Foucault avait cherché des anagrammes avec les lettres du patronyme de Thierry. C'est ainsi qu'il avait trouvé Letzlove qui est presque un jeu de mots. Thierry avait refusé ce titre, préférant publier sous son propre nom.

Pierre Maillet a eu l'excellente idée de s'atteler à ce texte qui est dit à la virgule près, en menant l'interview depuis la régie mais en s'autorisant aussi à descendre sur le plateau pour pousser Thierry à se livrer encore davantage.
L'interprétation est excellente. La vérité historique est respectée et on perçoit parfaitement les enjeux sociologiques des années qui suivirent la Révolution (de 1968). On ressent ce qui a pu rapprocher et diviser les deux hommes, sans provoquer pour autant la moindre critique. On assiste en quelque sorte à une leçon d'écoute et ça fait du bien. La vitalité est une constante tout au long du spectacle.

Ce qui est dit à propos du fonctionnement des hôpitaux est purement abominable et néanmoins il est inutile de se voiler la face, les dysfonctionnements existaient et existent encore. J'en ai moi-même des preuves. Comme le dit Thierry : on répare en faisant des merveilles mais on fait pas de prévention.

Thierry Voeltzel est né en 1955. Ancien militant actif dans les mouvements homosexuels et maoïstes d’après-68, il vit désormais à Saigon au Viêtnam où il fabrique et commercialise du mobilier d’art.

Maurin Olles est sorti de l’Ecole de la Comédie de St-Étienne en juin 2015 après 3 années de formation sous le parrainage de Marion Aubert, où il a notamment travaillé avec Arnaud Meunier, Alain Francon, Matthieu Cruciani, Caroline Guiela Nguyen, Marion Guerreiro, Claude Mourieras... Il a également mis en scène un spectacle intitulé Jusqu’ici tout va bien présenté notamment au Festival d’Avignon 2015. Cette saison il a joué dans Un beau ténébreux de Julien Gracq mis en scène par Matthieu Cruciani et il sera au Festival d’Avignon 2016 dans Truckstop de Lot Vekemans mis en scène par Arnaud Meunier.

Metteur en scène, comédien, Pierre Maillet a suivi l’enseignement de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne. Il est membre fondateur du Théâtre des Lucioles, compagnie conventionnée à Rennes. 
Letzlove-Portrait(s) Foucault
à partir du livre de Thierry Voeltzel, Vingt ans et après, réédité aux éditions Verticales en 2014
mise en scène Pierre Maillet
avec Maurin Olles et Pierre Maillet
Au Monfort 106 Rue Brancion, 75015 Paris - 01 56 08 33 88
Du 5 au 21 janvier 2017 du mardi au samedi à 20h30
En tournée ensuite du mardi 28 février au samedi 4 mars 2017, au CDN de Haute-Normandie à Rouen, puis du mardi 25 au jeudi 27 avril 2017, au Quartz-Scène Nationale de Brest

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Tristan Jeanne-Valès

Esquif

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Dès l'installation sur les gradins notre oeil est attiré par cet énergumène, en kilt écossais bleu,  (Hanno Baumfelde, qui jouera tout à l'heure du trombone), arpentant une planche en équilibre sur deux bonbonnes de gaz orange vif et qui harangue le public de propos incohérents.

Certaines voix s'élèvent pour tenter le dialogue mais notre homme ne dévie pas d'un iota, obnubilé par des X sur lesquels des spectateurs seraient assis par mégarde et qui répète en boucle qu'on parle dans le vide jusqu’à ce que la lumière baisse, facilitant la concentration des spectateurs.

A ce stade on ne sait encore rien de ce qui nous attend, si ce n'est que ça sera surprenant.

On devine dans la pénombre les instruments de musique d'un orchestre au grand complet. Un bruit de roulement se superpose à la musique. Un puis deux, trois, …. Quatorze musiciens rétroéclairés progressent plus ou moins aisément sur leur support orange, en jouant de leur instrument dans un canon chaotique et bientôt assourdissant. 
Pour le moment, Esquif est un ovni. Un de plus me direz-vous. Oui mais si différent. Dérangeant au départ. On se demande si on va supporter longtemps leur balade à dos de bonbonnes de gaz. La musique est dissonante et le parti pris artistique ne saute pas aux yeux. On comprendra plus tard que tout est question de point de vue, que le vide est relatif et que l'équilibre n'est pas précaire.

Une heure et demi plus tard on sera conquis, ravi d’avoir assisté à un moment à la fois spectaculaire et intense.

Le trompettiste mène la troupe qui se dandine pour ne pas tomber. Une fois l’espace investi ils se regroupent en file indienne à la manière des manchots empereur et se placent en rang d’oignon avant de se hisser un par un sur une poutrelle de bois. On se dit que cela va craquer, mais en vertu du principe que quand il y a de la place pour 3, il y en a pour 4, puis pour 5, etc … les 14 sont coincés certes mais tous positionnée sur ce curieux balancier.
Un étrange acrobate, mais on ne sait pas encore qu'il exerce cet art, (Rémy Beuzacier) arrive chaussé de skis avec un ventilateur démesuré, sorte de bourdon géant qui en vrombissant parviendra à enclencher un mouvement à l'ensemble qui se met à tourner.

Deux autres artistes commencent alors une étrange partie de kapla géant, bricolant un carré qui à force de transformations deviendra un escalier déstructuré permettant aux musiciens de descendre de leur perchoir avec une élégance orchestrée et tricotée. Place maintenant aux fildeféristes et aux planchistes.


Les planches sont manipulées de diverses manières, de plus en plus acrobatiques, un peu comme on l’avait apprécié avec IETO. A l’horizontale comme à la verticale ou même en diagonale pour former ce que l’on pense devenir un tipi. C’est là que le public entre dans la danse, happé par les circassiens qui prennent par la main les volontaires et davantage. Ils ne sont pas trop d’une bonne vingtaine pour tirer la corde et hisser les poteaux.
L’idée est fabuleuse parce que les petites mains sont conviées à s’asseoir sur la piste pour suivre le prochain numéro le nez en l’air.
La funambule, Tatiana-Mosio Bongonga, qui a toutes les qualités d'une contorsionniste, fait un emploi inhabituel du balancier. La troupe réinvente le concept de balançoire et de grande roue avec une prise de risques qui parait audacieuse, osant le balancement parfait entre musique, équilibre et voix.

Après l'émotion, place à l'humour au détriment de l'insecte perché en haut du mât et qui devra trouver le moyen de redescendre sur terre.

Plus tard Yann Ecauvre, qui signe la mise en scène, excellera dans un numéro de bascule très impressionnant.

Les bonbonnes seront tout au long de la soirée des partenaires exploités à fond. Tantôt cales, parfois moyen de locomotion, ils deviennent aussi instruments et susceptibles de produire des sons harmonieux à l’instar d’un alignement de verres en cristal ou des bidons d'acier employés comme percussions par les Tambours du Bronx.
Outre l’originalité de la démonstration ils nous offrent tous des moments doux et beaux, aussi bien dans un mouvement processionnaire que dans un lâcher prise qui pourrait être propice à une brève séance de méditation. C’est du jamais vu, jamais entendu.
On n'a pas vu le temps passer ... On aimerait même avoir le droit de revenir pour apprécier encore davantage ce moment exceptionnel.

Il faut tous les citer car ils sont remarquables, issus du Cirque Inextremiste (avec les Acrobates : Yann Ecauvre et Rémy Beuzacier), la funambule Tatiana-Mosio Bongonga de Compagnie Basinga et les musiciens du Surnatural orchestra :
Flûtes et voix : Fanny Ménégoz
Flûte : Clea Torales
Sax soprano, alto : Adrien Amey
Sax alto, clarinette : Baptiste Bouquin
Sax alto, cavaquinho : Jeannot Salvatori
Sax ténor, clarinette : Robin Fincker
Sax ténor, voix : Nicolas Stephan
Sax baryton, effets : Fabrice Theuillon
Trompette, bugle, mellophone : Izidor Leitinger
Trompette, bugle, euphonium : Julien Rousseau
Trompette, bugle : Antoine Berjeaut
Trombones : François Roche-Juarez, Hanno Baumfelder
Trombone basse : Judith Wekstein
Claviers, guitare : Boris Boublil
Sousaphone : Laurent Géhant
Batterie : Emmanuel Penfeunteun ou Antonin Leymarie
Percussions : Arthur Alard
Esquif
Mise en scène de Yann Ecauvre
Coordination artistique, Camille Secheppet
Son : Zak Cammoun et François-Xavier Delaby ou Guillaume de la Villéon
Lumière : Jacques-Benoît Dardant
A partir de 8 ans
Du 6 au 15 Janvier, à 16, 18 ou 20 heures
Espace Cirque d'Antony, Rue Georges Suant, 92160 Antony
Voir le site de La Piscine pour connaitre les actions programmées autour du spectacle.

Le spectacle partira ensuite le jeudi 16 mars 2017 à 20 H 00 sur la Scène Nationale, quai Bérigny 76374 Dieppe
Du mardi 21 mars 2017 au mercredi 22 mars à 20 h 30 au Théâtre Municipal de Coutances, 2 rue Milon, 50200 Coutances
Le samedi 25 mars 2017 à 20 H 00 au Mail de Soissons - 7 rue Jean de Dormans - 02200 Soissons
Téléphone : 01 41 87 20 84

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Pierre Puech.

Letter to a man

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Le Théâtre de la Ville (en travaux cette année), présente à l’Espace Pierre Cardin, Letter to a man, un spectacle puissant et inoubliable qui voit s’associer pour la seconde fois deux artistes majeurs : le metteur en scène Robert Wilson et le grand danseur Mikhaïl Baryshnikov. Cela faisait longtemps que nous parlions, Misha et moi, de créer une oeuvre ensemble. Une de nos idées était de travailler sur un texte russe... confie le metteur en scène.

La pièce concerne justement un danseur et chorégraphe de génie, Vaslav Nijinsky (1889-1950) et plus précisément la période où il bascule dans la folie. En 1913, Nijinsky avait quitté son amant Diaghilev, le fondateur des ballets russes dont il était le danseur étoile, pour épouser Romula de Pulszky, une danseuse hongroise. Par dépit amoureux, Diaghilev le congédie et le rapport entre les deux hommes se détériore.

Vaslav Nijinsky a commencé à écrire son journal en janvier 1919. En moins de six semaines, il couche sur le papier de manière complètement décousue, mais avec une intense sensibilité, ses questionnements sur la vie, la mort, le mal, la guerre, Dieu, sa relation brisée avec Diaghilev, sa soif de pureté, et son immense désespoir … Il a 29 ans et sombre dans la schizophrénie. Il survivra pendant 30 ans encore, muré dans le silence, allant d’asiles en hôpitaux psychiatriques.

L’altération de l’esprit du danseur est la source d’inspiration de cette pièce magnifiquement interprétée par Mikhaïl Baryshnikov, lequel âgé de 68 ans, fait preuve d’une souplesse et d’une fluidité dans les mouvements que nous sommes nombreux à lui envier. Il incarne Nijinsky aux prises avec ses démons. Ce n’est pas à proprement parler un spectacle dansé mais plutôt une "performance" dans laquelle mime et gestuelle sont les principaux modes d’expression. Il ne s’agit pas, explique Baryshnikov, de ressembler à Nijinsky (il n’en a pas du tout l’âge) mais d’en faire une figure abstraite car ce n’est pas lui en tant qu’acteur et danseur, c’est lui en tant que passant tragique, une personne durement affectée par sa terrible maladie et en même temps, il est toujours un artiste. Il ne peut pas être simplement un homme.
Le portrait de Nijinsky occupe le centre de l'espace sur le rideau de scène avant que le spectacle ne débute. Il s'ouvre sur un homme (forcément Nijinsky) assis sur une chaise, sanglé dans une camisole de force dont il va se débarrasser pour pouvoir s’exprimer une dernière fois. Les premiers mots, je comprends la guerre, seront à décrypter, on le devine, au second degré.
Nous entendons les réflexions et divagations du personnage par des hauts-parleurs diffusant des voix enregistrées. J’aime les fous car je sais leur parler. Les mêmes incantations sont répétées en boucle comme peuvent l’être les pensées obsessionnelles d’un malade mental. Le texte apparait simultanément en français en surtitrage sur trois écrans. Elles nous parviennent alternativement en anglais, en français, en russe, sur un ton parfois doux, parfois violent très déstabilisant.

Ces voix sont troublantes par leur phrasé, surtout lorsqu'on sait qu'il s'agit de Robert Wilson lui-même et de Lucinda Childs, la grande chorégraphe (qui a collaboré à la réflexion sur les mouvements). Baryshnikov prononce lui aussi parfois ces mêmes phrases, en russe qui est sa langue maternelle, habitant ainsi au plus près l’âme de Nijinsky.

Les musiques sont intimement mêlées aux extraits des carnets. Hall Willner nous donne à entendre Tom Waits, Arvo Pärt, Henry Mancini, ainsi que le compositeur soviétique d’avant-garde Alexandre Mosolov. Le spectre est large, entre le style enlevé, presque pompier du Rabbit hop du groupe Hipnotic brass Ensemble, la Beer Barrel Polka que l'on devine brièvement et un negro spiritual.

Dans ses carnets, Nijinsky qui admirait grandement Diaghilev, en a parlé comme d’une bête féroce : Tu aimes qu’on s’incline devant toi. Je ne veux pas de ton sourire car il sent la mort. On verra la photo de Diaghilev, dans une baignoire, traverser la scène, image tout à fait surréaliste tandis qu’à cour une croix prend soudainement feu et se brise. Tu es méchant et moi je te berce, Tu veux me perdre, je veux te sauver.
Il faut accepter, on pourrait même oser dire "se laisser bercer" par l'univers expressionniste que Robert Wilson parvient à le construire. Visage fardé de blanc, sourcils noircis, bouche rougie, queue de pie noire et mains gantées, Baryshnikov enchaîne les mimiques hystériques. Il est à la fois Faune (comme le fût Nijinsky dans le ballet qu’il créa) et Bela Lugosi dans le rôle de Dracula (film de Murnau, 1931). On sent chez Bob Wilson l’influence des films muets au travers d’évocations de Buster Keaton ou Charlie Chaplin et celle du théâtre japonais. Le visage blanc augmente l’expressivité des traits. Malgré la distance, on voit les yeux qui s’écarquillent, la bouche immense qui s’ouvre pour crier la souffrance.
Tout est schizophrénie dès le début du spectacle. Où est le réel, où est l’illusion quand on perd la raison ? C’est la question que semble chercher à poser l’ombre omniprésente du personnage, savamment orchestrée par la mise en lumière de Robert Wilson. Cette ombre est comme un dédoublement envahissant de soi-même, une part sombre de l’esprit dont il n’arrive plus à se défaire.

Pour mieux refléter le vacillement de la raison de Nijinsky, le comédien avance, recule, trébuche. Il est l’homme au bord du précipice : I am not afraid to fall and therefore will not fall.

Pourtant de nombreuses pensées paradoxales l’envahissent. Le metteur en scène parvient même à glisser des moments humoristiques avec la parodie d’une folie (Bergère). Le métronome, maître du temps s’étouffe. Trois arbres gelés zèbrent le ciel de leur silhouette.
Ses contradictions sont métaphorisées par les mouvements de Baryshnikov. L’homme se déplace avec légèreté puis soudain se fige dans une longue immobilité comme hanté par une forme de rêve éveillé où il écoute ses voix intérieures. Quand la répétition des pensées se fait trop lancinante, le danseur écarte un bras, fait mine de se débattre contre quelque chose d’horrible, suspend son geste puis le reprend, accompagné cette fois par le bruit d’un éventail qui claque. Le mouvement est rapide, s’interrompt et le silence accompagne l’immobilité, comme pour signifier qu’il parvient encore à faire taire sa folie. Chacun de ces instantanés s’accompagne d’une couleur particulière, toujours intense, et la dernière est d’un rouge sang, presque poudré.

C’est cet obsédant monologue intérieur éternellement répété qui peut paraître un peu pesant. Le spectateur a vraiment besoin de reprendre son souffle quand est suspendu quelques secondes ce chaos de sons et de lumières syncopées ou lorsque l’acteur élève le regard vers la lumière d’une grande fenêtre permettant ainsi au public de se remettre de la violence de son faciès grimaçant.

Par moment il est convaincu d’être un homme mauvais. Je suis un homme méchant, je n’aime personne. Je me tirerai une balle dans la tête si Dieu le veut. Quelques instants après, il est tout autre : Je suis un homme d’amour. Je suis un homme simple. J’ai de mauvaises habitudes. Je veux les changer.

Sa relation à Dieu aussi est intense et contradictoire. Parfois il se demande si Dieu le teste tandis qu’à d’autres moments il sent Dieu vibrer en lui au point qu’il se demande s’il n’est pas le fils de Dieu. D’où cette répétition : Je ne suis pas le Christ, je suis Nijinsky, je ne suis pas le Christ, je suis Nijinsky… qui finit par devenir une scansion comme pour tenter de s’auto-convaincre alors que s’élève une valse romantique.

L’écran tombe. Les gens vont à l’église parce qu’ils ont peur de Dieu. Je suis un homme d’amour. La voix se mue en cri rauque. On entend des cris de paon. Les couleurs sont saturées, intenses comme l’était probablement son rapport au sexe. Je n’aime pas la luxure. Il est déchiré entre sa soif de pureté et son passé de boulimie sexuelle. Il confesse avoir beaucoup fréquenté les "cocottes" dans sa jeunesse et considère sa vie de débauche passée comme un errement. Apparait alors sur scène une poule de taille gigantesque en carton tirée par une toute petite fille. L’image surprend et fait sourire tout le monde ! Vous la retrouverez dans l'extrait qui figure à la fin du billet.

C’est un spectacle dérangeant qui fera fuir certains spectateurs après les applaudissements d’usage. C’est une soirée magique qui clouera d’autres sur leur siège longtemps après les rappels. Pourquoi cela nous touche-t-il si profondément ? Certainement parce que nous avons tous ces moments de panique où la folie n’est pas loin et qu'il est peut-être préférable de ne pas chercher à tout expliquer au profit des émotions suggérées par les différents tableaux. Chacun son ressenti et Isabelle (qui a co-rédigé cette chronique) ne partage pas totalement mon avis.

Baryshnikov n’a pas connu Nijinsky mais il a rencontré sa femme dans les années 1970 ainsi que ses filles dont la cadette de 96 ans, Tamara, qui a récemment assisté au spectacle à Los Angeles. Les deux hommes sont toujours considérés comme les plus grands danseurs sortis de l’école et du ballet de Marinsky de Saint- Petersbourg. 

A la toute fin, alors que la voix de Barrelhouse Woman volume 2 (1925-1928) envahit l’espace on perçoit le titre de cette chanson, Nobody knows, alors qu'une ultime citation nous est offerte : je travaille beaucoup la danse.
LETTER TO A MAN
d'après les carnets de Vaslav Nijinski (première française)
Spectacle en anglais et russe avec des sous-titres français
Texte Christian Dumais-Lvowski
Mise en scène, scénographie, lumières Robert Wilson
Avec Mikhail Baryshnikov
Dramaturgie Darryl Pinckney
Musique Hal Willner
Costumes Jacques Reynaud
Collaboration aux mouvements et textes parlés Lucinda Childs
Création lumière A.J. Weissbard
Du 15 décembre 2016 au 21 janvier 2017
Théâtre de la Ville - Espace Pierre Cardin
1 avenue Gabriel - 75008 Paris
Téléphone : 01.42.74.22.77

Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Lucie Jansch

Visite du chantier des fouilles de Septmanville d'Evreux (27)

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L’objectif du chantier de la place Sepmanville qui a démarré en septembre 2016, est de mettre en valeur les vestiges médiévaux d’Évreux en lui conférant une vocation touristique. C’est le second volet d’un aménagement global du centre-ville, après la place du Grand-Carrefour et avant celle de l’hôtel de ville.

Il faut une clé pour pénétrer sur le site des fouilles. Et cela ne suffirait pas. Sans les explications de quelqu'un comme Guillaume, qui sait "lire" les traces du passé, on aurait du mal à voir ici les anciennes lignes de fortifications, malgré les reconstitutions grand format qui figurent sur les barricades du chantier, percées de temps en temps, il faut y être attentif, de deux trous à hauteur d'homme pour jeter un regard sur l'avancée des travaux.
Il existe néanmoins des endroits dans la ville d'Evreux où l'ancienne muraille médiévale est encore perceptible. Par exemple en bordure du restaurant le Matahari où je vous emmènerai un jour prochain.
Tout le monde peut s'inscrire (sur le site de Grand Evreux) pour cette visite (gratuite) au cours de laquelle, les guides de l’office de tourisme évoqueront Evreux à l’époque médiévale ! Les travaux de la place Sepmanville visent en effet à notamment mettre en valeur l’une des portes principales de la ville au Moyen-Age. Aspect défensif et aspects économiques seront abordés pendant cette visite – en l’état bien sûr des connaissances scientifiques vérifiées ce jour.

Les habitants étaient  enfermés derrière une muraille il y a 1700 ans pour se protéger des invasions barbares. Depuis elle a pu par endroit servir de mur porteur pour certaines maisons.

Si on regarde la muraille médiévale, et non plus la muraille gallo-romaine, on observe que ce qu'on appelle la Porte peinte, aujourd'hui disparue, était avec la porte aux Fèvres, une des portes d'entrée les plus importantes de la ville. A cet endroit, les magnants, c'est ainsi qu'on appelait ceux qui travaillaient le métal, qu'on appelait alors fevre. Fèvre est l'ancien terme désignant un ouvrier travaillant le fer. Ces artisans faisaient office de chaudronniers ambulants.

Le véritable lit de l'Iton, la rivière qui irrigue la ville, lui valant le surnom de "vile aux cent ponts", a sans doute été détourné il y a plus de 2000 ans et nous ne voyons plus que des canaux artificiels partout où l'eau coule désormais. C'était une rivière puissante qui a participé au creusement des coteaux Saint Michel, assez tendres puisque calcaires. Mais il ne faut pas oublier la vigueur de l'érosion marine. S'il a pu y avoir plus de 300 ponts de pierre, bois, et passerelles pour enjamber l'Iton il en subsiste tout de même 170 aujourd'hui.
Les bombardements de la dernière Guerre mondiale ont fait de considérables dégâts. De vieilles cartes postales, dont quelques-unes sont reproduites sur les barricades, témoignent de la beauté des façades médiévales dont hélas il ne reste que très peu de traces.
On découvre en poursuivant la marche, une illustration du dernier château ébroïcien, resté sur pieds presque jusqu'à la Révolution. Il est détruit en 1780 et c'est la mairie qui s'élève maintenant sur son emplacement. Le propriétaire a pris prétexte d'un début d'incendie pour le faire raser. Sa véritable motivation était que le terrain ne lui permettait pas d'implanter de beaux jardins autour de la construction.

La clé permet donc d'accéder aux chantier ordinairement interdit au public, visitables deux fois par mois. C'est tout de même la cinquième fois que des fouilles y sont entreprises, avec entretemps des périodes de recouvrement et donc des frais supplémentaires. On pense que d'ici la fin de l'année 2018 une succession de terrasses accessibles aux piétons redonnera vie à cet place Sepmanville ... Avec aussi des plantations qui feront oublier la perte d'un parking. On peut imaginer la reconstruction de certains morceaux pour suggérer comment étaient les anciennes fortifications ainsi que la remise en eau de portions de canaux, par exemple en lien avec le tracé de l'ancien moulin à grains, royal. Un incendie accidentel l'a fait disparaître en 1937. Peut être y eut-il une zone semi marécageuse au centre.
En se plaçant face à la trace de l'ancienne Porte peinte, on distingue remarquablement le rempart Sud, et on remarque combien l'entrée dans la ville était étroite, inférieure à 2 mètres, et donc bien défendue. Evidemment il ne fallait pas chercher à pénétrer avec de larges chariots.
Ce dispositif s'ajoutait au coude institué par la Barbacane, empêchant les attaquants de tirer en face d'eux. Ce mode d'édification a été ramené de Terre Sainte par les Croisés. Une des barbacanes les plus spectaculaire est celle de la Porte Guillaume à Chartres. Celle-ci a été ajoutée au XV° siècle, peut-être quand les anglais, qui occupaient Evreux, auraient cherché à se protéger ... des français.
Les deux tours qui supportaient la Porte devaient faire une hauteur "classique" de 7 à 8 mètres.
Leur base est évasée, pour assurer davantage de stabilité. Le mortier de couleur rose est encore visible par endroit. Il était composé d'un mélange de tuiles et de briques qui mélangées avec de la chaux avait la propriété de sécher assez vite en milieu humide.
On remarque une pierre saillante, triangulaire, de grès ferrugineux qu'on appelle "corbeau" et qui est la preuve de l'existence d'un pont-levis à cet endroit. Et puis derrière on aperçoit un trou qui n'était rien d'autre qu'une chausse-trappe, ultime piège destiné à se protéger de l'ennemi, à condition qu'il ait réussi à passer le sas de la Barbacane, puis le pont-levis, sans compter les attaques possibles par els meurtrières ponctuant les deux tours.

La porte n'était pas peinte sur son intégralité. On ignore ce que représentaient les motifs à l'origine, mais on sait que lorsqu'elle fut repeinte, au XV° siècle, on y a placé une statue de la Vierge.

Guillaume nous apprend aussi l'étymologie du mot boulevard, qui vient du néerlandais bolwerk,  signifiant place forte. C'est une «promenade plantée d'arbres sur l'emplacement d'anciens remparts» permettant ainsi de contourner une ville de l'extérieur. Le mot date de 1860. Mais c'est en 1670 qu'ils apparurent sans s'appeler ainsi. Ainsi à Paris, Louis XIV décida de reporter la défense du royaume sur la frontière avec la constitution du pré carré et de faire de la capitale une ville ouverte. L'enceinte bastionnée datant de Charles V est détruite et transformée en nouveaux cours carrossables plantés d'arbres qui deviennent rapidement des lieux de promenade à la mode.

Le même processus fut initié à Evreux. L'ancienne route qui mène vers le centre historique actuel. se laisse deviner dans le prolongement des tours. Mais il n'est pas question de poursuivre les fouilles dans cette direction.

Les quartiers marchands/laics/religieux étaient juxtaposés au Moyen-Age, sans imbrication. Les couvents se trouvaient en quelque sorte "rejetés"à l'extérieur des murailles, donc sans le bénéfice d'une protection.

Les deux tours et la Porte peinte disparurent dans les années 1767-69 parce qu'on n'en avait tout simplement plus l'utilité. Au contraire, l'intérêt de Louis XIV était alors de faire abattre tout ce qui pouvait encourager les habitants à se rebeller, car Evreux était une ville sympathisante à la Fronde.

Depuis on a récupéré les pierres et un projet définitif d'aménagement sera annoncé en avril 2017 avec pour objectif de valoriser l'espace dans un cadre de vie agréable et respectueux du passé.
 
Si la cathédrale est prestigieuse, avec ses vitraux superbes, le Beffroi, qui n'est pas visitable, est insuffisant pour permettre à Evreux de constituer un dossier de qualification ville d'art et d'histoire. 
On espère que la finalisation de ce projet autorisera de nouvelles perspectives à la Ville qui, il faut le préciser, a totalement financé les travaux actuels.

Cliquez sur le tag "Normandie" pour suivre l'ensemble des articles consacrés à la région, et en particulier à Evreux entre octobre 2016 et janvier 2017.

Inertia, un film de Idan Haguel, avant-première

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J'ai eu l'opportunité de visionner Inertia avant sa date de sortie officielle (le 1er février 2017) du réalisateur israélien Idan Haguel dont c'est le premier long métrage.

Catégorisé "drame", ce film est néanmoins difficilement classable parce que de nombreux plans sont puremetn surréalistes. A commencer par l'affiche qui représente le visage d'une femme pénétré par des vagues, à moins que ce ne soit le contraire, de l'eau qui jaillirait de ses yeux.

La mer s'impose dans le scénario. On la découvre dès les premières images, où elle apparait paisible avant de devenir angoissante quand le cri Mira (Ilanit Ben-Yaakov) se réveillant brutalement suggère qu'il s'est passé un évènement tragique.

On n'entend plus que le souffle du vent, une sorte de silence et il faut attendre plus de 4 minutes 30 pour découvrir les premiers dialogues.

Inertia est troublant mais également envoutant. Si le spectateur apprend assez vite la disparition du mari de Mira il devra faire preuve d'imagination pour tenter de recomposer l'histoire. s'est-il enfui de son plein gré ? Sa femme est-elle impliquée comme victime ou coupable ?
La conversation entre la fille et la mère (Galia Ishay) fournit des pistes fugitives à nos fantasmes : J'ai entendu parler de cette femme de Bucarest qui a cuisiné son mari comme des lardons et l'a mangé dit-elle.

- Pourquoi ? semble s'étonner la fille ....

Evidemment on verra Mira la poêle à la main sur le plan suivant. On la pense sombrer dans la folie en la découvrant parler à un dauphin à travers un écran de télévision, alors qu'elle est simplement au téléphone.
Plusieurs images ne dépareilleraient pas dans un univers signé par un peintre surréaliste, comme ce bateau qui évoque une tombe. Ou Mira perdue au rayon plomberie d'un magasin de bricolage.
La force du film est de nous surprendre régulièrement par des moments de pure comédie qui s'infiltrent de manière naturelle dans des scènes de la vie quotidienne. Par exemple cette scène où un homme à la tête débonnaire est assis à l'extrémité d'un canapé où se trouve à l'autre bout un coussin avec une tête de chien noir et blanc.
On comprend que Mira vit une sorte d'amnésie et son obstination à vouloir nettoyer une tache de sang sur le plateau de verre de la table du salon ne peut que nous rendre suspicieux. Elle multiplie les démarches pour chercher son mari. Pourtant, plus le temps passe, plus elle se rend compte qu'elle est beaucoup mieux sans lui...

Notre vigilance est en alerte. La présence d'une canne à pêche en plein salon... procure un effet comique ... ou tragique si on pense que c'est un indice.
C'est un autre homme que la police a retrouvé. Les plans sont extrêmement lents, et construits de manière à entretenir le mystère. Ainsi par exemple l'eau sous la douche devient la mer rouge, et prend la couleur rouge sang.

Le personnage de Max n'apporte pas de résolution même si on remarque que Mira devient de plus en plus jolie à mesure qu'elle le fréquente.

Idan Haguel a travaillé le scénario depuis plusieurs années. Il avait réalisé un court métrage dans le même coin d'Haifa, intitulé Haifa Fish-Soup en 2005, et depuis ce tournage il a reconnu avoir le désir de faire un long métrage dans cette rue et ce bâtiment en particulier, où vivaient ses grands-parents. 

Il a rédigé le scénario avec une de ses amies, Ifat Makbi, qui est également réalisatrice. Et le producteur Elad Peleg (de Daroma Productions) l'a accompagné. Le titre du film, Inertia, s'est imposé après le montage pour caractériser l'état d'esprit des personnages principaux et leurs interactions.

Ce film étonnant qui nous emmène en terre inconnue a reçu plusieurs distinctions.

Vie et mort de H, pique-assiette et souffre-douleur de Hanokh Levin

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J'entends parler de Vie et mort de H mais le titre entier de la pièce a son importance. Car l'individu (on ne saura jamais très bien qui il est) est pique-assiette et souffre-douleur, l'un justifiant l'autre et vice versa.

C'est une comédie qui fait beaucoup rire parce qu'on s'imagine d'abord assister à un spectacle vaudevillesque. Les portes claquent, les rebondissements s'enchainent, la folie envahit le plateau qui prend des allures de manège.

Chez les Boubel, chacun est à sa place. Monsieur et sa femme Emnopée sont si bien installés dans leur confortable vie de petits bourgeois qu’ils se paient même "le luxe" d’héberger depuis dix-sept ans un drôle d’individu un "parent éloigné, pas même un cousin" nommé H, quadra infantile dont l’utilité semble essentiellement de servir de faire-valoir à leur bonheur conjugal, en échange de quoi il est accepté (toléré ?) quand il serait ailleurs perçu comme un pique-assiette.
Mais à l'instar des romans manichéens, le personnage principal, après avoir connu des heures heureuses, ne peut plus que dégringoler dans le tragique. C'est à ce drame que nous sommes conviés. Et quand H entre en scène, immédiatement repérable à la lettre brodée sur son pull, le spectateur n'est pas dupe. Il a beau lécher avidement une assiette d'une quelconque gourmandise on le sent touché par l'ironie du couple qui le font bisquer d'un "tu en seras jamais aussi heureux que nous !"

Son auteur, Hanokh Levin, a publié le texte sous le titre Hefetz, en Israël en 1972 mais la traduction est récente. Je remarque que H est autant l'initiale du titre original que du prénom de l'auteur.

Il n'a pas inventé le concept de souffre-douleur au pair. Le bouffon du roi n'était rien d'autre. Sauf que celui-ci avait la garantie d'une liberté de parole et d'une impunité totale. H n'est pas insensible. On peut considérer qu'il s'est incrusté dans la famille faute d'avoir trouvé un emploi et des revenus associés, voire même par paresse de chercher à s'émanciper, car il est resté assez adolescent dans ses comportements. Mais en fait sa motivation essentielle est la proximité avec la merveilleuse, sublime Fogra, fille unique du couple– et objet secret de ses rêves  – qui hélas va se marier ... pas avec lui ... et de surcroit hors de sa présence puisqu'il est écarté de la cérémonie.
H fanfaronne : T'arriveras pas à me blesser dit-il à Boubel (Eddie Chignara), tu peux bien te pavaner avec tes mèches, crie-t-il à Emnopée. Il va pourtant péter un câble, comme on le dirait aujourd'hui, brandir les ciseaux et les conséquences seront catastrophiques, surtout pour lui d'ailleurs. Bruno Blairet interprète le rôle avec une large palette de sentiments.

Le contrat est en quelque sorte rompu. H ne supporte plus l'humiliation et se révolte, se place en retrait (Si seulement je pouvais me replier su moi-même et devenir une boule qui roulerait sous l'armoire) et annonce qu'il va se tuer.

Cette rébellion n'est pas acceptable par ces gens qui perdraient le souffre-douleur indispensable à leur propre existence. C'est une folle farandole que leur panique enclenche avec des situations de plus en plus inextricables et pathétiquement comiques. C'est aussi un vrai pur vaudeville enthousiasmant, délirant et drôle.

Le décor, qui m'évoque les suspensions de l'artiste Cécile Bart, fonctionne comme un emboîtement de manèges.

Lors de la présentation de saison, Clément Poirée, avait confié que le pièce touchait une de ses fortes préoccupations. Notre société fonctionne à l'humiliation et au bouc émissaire. Beaucoup de gens ont besoin de faire-valoir ou d'un souffre-douleur pour sentir que leur vie a un sens. La situation décrite par Levin n'est donc pas tant absurde qu'il n'y parait.

Le texte mérite d'être écouté. Il n'est pas aisé de savoir qui est heureux et qui ne l'est pas explique Pilo (Emilien Diard-Detœuf). La question du respect est bien entendu centrale, qui on est et ce que l'on vaut ... Fogra (Camille Bernon) joue admirablement la fille capricieuse qui fait toujours ce qu'elle a envie. Y compris se marier en petite culotte et casque d'aviateur.
La mère (Luce Mouchel) tente de jouer la copine. Capable d'échanger ses vêtements avec ceux de son mari. Tout le monde disjoncte ...La serveuse (Louise Coldefy) est facétieuse et surprenante de façon renversante.

Après une crise terrible tout le monde est enfin rassemble H pourrait crier victoire mais un ultime  et terrible retournement de situation aura lieu in extremis.

Attachants et drôles, les personnages participent à l’inexorable et douloureuse hiérarchisation des rapports humains et tous les comédiens participent au succès. A l'exception de deux d'entre eux ils ont tous déjà joué sous la direction du metteur en scène.

Longtemps artiste associé du Théâtre de la tempête (dont il devient le directeur, sur proposition de Philippe Adrien) Clément Poirée y a notamment mis en scène deux pièces de Hanokh Levin : Kroum, l'ectoplasme et Meurtre. Il a aussi monté plusieurs Brecht et Shakespeare, la dernière étant La Nuit des Rois, l'année dernière.

En tant que collaborateur artistique de Philippe Adrien, il a participé à la Tempête à de nombreuses créations de comme Le Dindon de Georges Feydeau, Les Chaises d'Eugène Ionesco, L'Ecole des femmes de Molière ou Le Bizarre Incident du chien pendant la nuit de M. Haddon, une pièce formidable qui est de nouveau programmée en avril-mai 2017.
Vie et mort de H, pique-assiette et souffre-douleur de Hanokh Levin
Texte français traduit de l'hébreu en 2010 par Laurence Sendrowicz in Théâtre Choisi VI, Pièces mortelles. Editions Théâtrales, éditeur et agent de l'auteur.
Mise en scène Clément Poirée
Du 10 Janvier au 5 Février 2017
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Au Théâtre de la Tempête - salle Serreau
Cartoucherie, Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Antonia Bozzi
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